En attendant les Oscars (retour à Brokeback Mountain)
Rien qu’avec son titre The sermon on the mountain cet article de spiked apporte la dose de pointes hebdomadaires nécessaire pour bien passer le week-end. Il confirme des pressentiments que je n’osais énoncer ni avant que le film soit sorti, ni après. En effet, dans le prolongement d’une revanche à prendre sur la réélection de Bush, le film a été instrumentalisé au service d’un objectif dépourvu de grandeur, de romantisme, de noblesse, de tragique (à choix) ou même de cette virilité (osons ce gros mot) des cow-boys: démontrer sa supériorité par rapport à une classe de gens particulière
« Singing the praises of Brokeback Mountain has become a shortcut to demonstrating your superiority over a certain class of people. »
Il fut une époque où afficher sa supériorité morale s’appelait pharisaïsme. Ici, on a plutôt affaire à un manichéisme, à un clivage impitoyable entre le bien et le mal – l’attitude par rapport au film scellant un jugement éternel et définitif des âmes.
« … if you’re a good, nice, sensitive liberal you will see the movie (…); if you’re a bad, insensitive, probably Bush-supporting conservative you will fail to see the movie. (…) The discussion of Brokeback Mountain, its social rather than artistic impact, shows how accusations of homophobia are used to bash the masses these days for what are presumed to be their incorrect attitudes. »
Plus reluisant, moralement parlant, le fait que, pour la gauche, le film relèverait d’abord de l’éducation des masses (et le sermon sur la montagne s’adressait bien à une foule). Au point que « Si Brokeback remporte l’Osacar du meilleur film, ce sera davantage pour son impact social présumé (le fait qu’il donne un bon sentiment d’eux-mêmes aux gens de gauche battus par Bush) que pour ses mérites artistiques. »
Et maintenant que j’ai fait droit à l’esprit libre et critique, je mets ma casquette de militant gai et je poursuis:
Certes, on peut quand même donner un petit peu raison à cette brokebackmanie, on peut comprendre que pour un très grand nombre de gais, le film a aussi un côté missionnaire. Pour la première fois, on montre sur un mode crédible l’amour avec sa composante physique entre deux hommes évoluant dans le milieu qui semble le plus éloigné de cet amour-là , un milieu constitué par des valeurs machos, homophobes etc. Deux hommes auxquels on ne peut attribuer les clichés habituels. Toutefois, certains esprits chagrins et militants auront aussi raison de bouder leur plaisir en trouvant que le courage ou la militance auraient constitué à permettre à ces cow-boys de vivre finalement un amour heureux. A défaut, le signal qui est envoyé aux ceux qui se découvrent gais dans un milieu hostile (ça existe encore) n’est pas très encourageant: c’est un no future qui leur est signifié. (De ce point de vue, on pourrait se demander si Brokeback Mountain fait plus de bien que La cage aux folles qui, lui, finit bien pour le couple et qui, malgré les hénaurmes clichés, était, à l’époque, un plaidoyer généreux pour la tolérance en amenant gentiment les rieurs du bon côté.)
Si le film remporte une distinction importante, ce ne sera certainement pas un grand jour pour le cinéma, mais ce ne sera pas la première fois – on a l’habitude des distinctions accordées selon des critères extra-cinématographiques. Certes, ce sera la victoire du pharisaïsme, du politiquement correct et du terrorisme intellectuel réunis. Au moins on peut se consoler en se disant que ça permettra peut-être à quelques-uns d’être un peu moins exposés à la haine ou au mépris d’autrui… ou de soi-même.
Le choix final des oscars n’apporte pas d’eau à votre moulin. Je n’ai pas vu le Secret mais j’en ai entendu beaucoup de bien au niveau cinématographique. En donnant l’oscar du meilleur réalisateur, c’est le côté artistique et non militant que l’Académie a récompensé.
Comme quoi le pire n’est pas toujours sûr, ouf! Ce résultat tout en nuance me ravit (et va voir le film, il en vaut la peine, même si ce n’est surtout pas pour les raisons qu’on a dit!).
Visiblement certains s’offusquent du non-primage (ça existe ?) du Secret :
Les cinéphiles et tous ceux qui ont une conscience politique se demandent ce matin si « Collision » a remporté l’Oscar du meilleur film pour son mérite ou parce qu’il était la meilleure solution de secours pour l’Académie des Oscars pour ne pas avoir à attribuer la récompense au « Secret de Brokeback Mountain », a commenté Tom Shales, le critique du Washington Post.
Des films ràƒ©ellement courageux
Citant l’actrice noire de l’àƒ¨re pràƒ©-droits civils, Hattie McDaniel, Oscar en 1939, George Clooney dàƒ©clara, lors de la càƒ©ràƒ©monie de remise des Oscars, apràƒ¨s avoir reàƒÂ§u sa statuette pour le meilleur second ràƒ´le : I’m proud to be… part of this…