Lincoln était donc bi!
Alain Campiotti, le très militant correspondant du Temps aux Etats-Unis, n’a pas encore présenté le rapport sur le Rathergate: il lisait (accès gratuit seulement aujourd’hui) une nouvelle biographie du 16e président des Etats-Unis — qui a tout de même l’avantage de « (courroucer) les conservateurs », puisque The Intimate World of Abraham Lincoln, par C.A. Tripp [pas un parent de Linda Tripp, tout de même?] entend démontrer irréfutablement l’homosexualité de Lincoln, marié et père de 4 enfants.
La thèse n’est pas vraiment nouvelle: c’est une réputation que Lincoln a apparemment toujours eue (et ce serait l’origine même du nom Log Cabin Republicans que se donnent les gays membres du parti du président Bush), même s’il ne figure pas dans les listes usuelles de personnalités que réclame comme siennes le mouvement gay. Mais cela ne faisait pas encore partie de l’histoire officielle, et c’est sans doute ce que ce livre recherche. La polémique a commencé il y a un mois et bat son plein ces jours (compliquée par un conflit de propriété intellectuelle avec l’historien qui devait être co-auteur du livre avant de se retirer), autour du sempiternel affrontement:
– Pourquoi voulez-vous tant que Lincoln soit gay?!
– En quoi cela vous gêne-t-il que Lincoln soit gay?!
pimenté par la discussion de la qualité du travail académique de l’auteur, lui-même gay et ancien collaborateur d’Alfred Kinsey.
Pour ceux que cela intéresse, il faut lire:
- La défense du livre par Andrew Sullivan.
- Sa critique par celui qui devait en être le co-auteur, Philip Nobile (que Sullivan démolit de manière injuste et surtout inutile en une phrase).
Autant je trouve fondamentale la connaissance de role models gays, tant pour les hétéros qui auraient des préjugés que pour les gays qui manqueraient d’estime d’eux-mêmes, autant m’agace l’obsession à ce sujet (et plus encore leur utilisation à des fins politiciennes à court terme, comme Sullivan ne peut s’empêcher de le faire au détriment des Républicains d’aujourd’hui). Mais l’affaire rappelle utilement ce qui devrait être deux évidences: de l’hétérosexualité à l’homosexualité (et vice-versa) il y a un continuum présent dans toute personne, pas une opposition absolue comme l’est, au contraire, la différenciation sexuelle entre homme et femme (une personne est irréductiblement soit l’un, soit l’autre — et, oui, y compris celle qui se travestit ou veut adapter son corps à son moi profond); et ce qu’Andrew Sullivan, redevenant lui-même, explique avec éloquence ici:
(H)omosexuality is very easy to understand. It is exactly the same as heterosexuality, with the gender reversed.
Avant qu’on me le fasse remarquer: oui, la formule de Sullivan est en réalité littéralement absurde (et rappelle le gag sur la définition du capitalisme comme l’exploitation de l’homme par l’homme et le socialisme comme le contraire), mais elle sonne bien et se comprend aisément…
Sur l’irréductibilité du « gender » : rien n’est moins sûr. Tu confonds par ailleurs le sexe et le comportement socio-normé attribué aux hommes et aux femmes (« gender »). S’agissant de l’irréductibilité de la division homme/femme, que fais-tu des personnes naissant avec des caractéristiques génitales masculines et féminines (ex. ovaires + pénis) ? S’agissant de l’irréductibilité du comportement dit masculin ou féminin (« gender »), certains gays, travestis et lesbiennes renversent quotidiennement cette construction qu’on voudrait nous faire croire naturelle. Classer, c’est réduire, comme disait l’autre…
P.S. : le genre, en français, c’est de la grammaire. Utiliser « genre » au sens du « gender » anglais, c’est promouvoir la choucroute linguistique (et donc la réflexion nébuleuse). La preuve : dans ton billet, tu voulais parler de sexe !
Cela faisait longtemps que je n’avais plus eu le plaisir aigre-doux d’un commentaire de Steve! 😉 Je remplace dans le billet « différence de genre » par « différenciation sexuelle ».