Votations à Genève: six questions pour tous les goûts
A part les enfants et la santé, c’est non à tout
Quatre votations fédérales, deux votations cantonales. Quatre initiatives populaires dont le traitement a été imposé aux autorités (deux acceptées, une acceptée via un contreprojet, une refusée), deux référendums contestant des lois adoptées par le législatif (une acceptée, une refusée). Une bonne journée pour la démocratie directe, qui explique aussi pourquoi en Suisse les élections, elles, ne soulèvent pas les passions: elles sont à la proportionnelle, sans alternance, ce qui vaut mieux quand les élus sont de toute façon loin d’avoir carte blanche!
Voir ici les brochures d’information fédérale et cantonale envoyées il y a trois semaines à l’ensemble des électrices et électeurs avec leur bulletin de vote pour réponse postale1.
Et voir la galerie d’affiches2 qui est une idosyncrasie genevoise3, mais qui est hélas de moins en moins représentative: s’il est naturel que certains points de vue soient davantage illustrés que d’autres, il est regrettable qu’un objet entier (l’article constitutionnel sur la médecine de base) ou un des côtés de l’argumentation (le non au Gripen ou à l’initiative contre les pédophiles) fassent défaut.
Votations fédérales
Soins médicaux de base: un cas d’école de l’utilisation de la démocratie directe par un groupe de pression, seulement tempérée par la constation que c’est plus facile quand l’objet est consensuel et n’a pas non plus vraiment d’impact financier.
S’estimant peu considérés dans les débat autour de l’assurance-maladie obligatoire qui tend à se concentrer sur ce qui coûte cher (l’hospitalisation, les spécialités), les médecins de famille ont lancé une initiative populaire pour figurer dans la Constitution fédérale. Sagement, les autorités l’ont accueillie favorablement en enveloppant la chose dans un contreprojet. Tout aussi sagement, les initiants ont préféré s’y rallier. Le résultat est un score quasi-soviétique, d’autant qu’un curieux comité d’opposants ne s’est soudain manifesté dans les médias qu’à dix jours du vote.
C’est un peu différent avec le deuxième objet au score à peine moins impressionnant: l’initiative populaire « pour que les pédophiles ne travaillent plus avec les enfants ». Là aussi, les autorités étaient d’accord pour l’essentiel et ont d’emblée adopté une révision du code pénal plus complète et mieux formulée4. Toutefois les initiants ne sont pas un groupe de pression défendant son intérêt corporatif, mais un mouvement idéal passionné par sa cause, elle même inévitablement émotionelle… De méfiance en malentendu, peut-être aussi enivrés par leurs précédents succès populaire, ils ont engrangé l’amélioration du code pénal qu’ils ont suscitée mais maintenu leur texte, qui a donc été adopté.
Troisième sujet: l’initiative de l’Union syndicale suisse demandant l’introduction d’un salaire minimum légal, comme il a été inventé aux Etats-Unis sous Roosevelt déjà et existe dans différents pays dont la France. J’ai déjà dit ici et là tout le mal que j’en pensais. Son rejet par plus de trois quarts des votants indique en quelque sorte l’étiage de la gauche la plus doctrinaire, celle qui préfère l’égalité imposée à la prospérité partagée et croit que l’Etat peut diriger l’économie.
A relever que les initiants n’ont pas bénéficié de l’introduction d’un salaire minimum par la coalition CDU/SPD en Allemagne, divine surprise intervenue pendant la campagne. Il est vrai que celui-ci, renforçant encore la démonstration que l’on pouvait faire avec le Smic français, contribuait à souligner le caractère fantaisiste du montant de 22 francs l’heure (4’000 francs par mois)5 qui aurait été inscrit dans la Constitution: il aurait représenté les 2/3 du salaire médian, là où dans les pays où le salaire minimum légal joue son rôle6 (les Etats-Unis, le Royaume-Uni, bientôt l’Allemagne) il n’est pas supérieur à 50%.
Mais même là la démocratie directe fait la preuve de ses vertus: la campagne extrêmement dynamique des syndicats et la pression exercée par la menace de l’initiative a indéniablement permis, en prélude au vote, des progrès pour les bas salaires dans les secteurs où c’était possible, et des protestations d’attachement renouvelé à la voie conventionnelle et à la paix du travail de la part des milieux patronaux ou professionnels traditionnels. Bien joué si c’était un habile coup de billard du mouvement syndical, mais pas un changement de stratégie, comme semble le dire le principal syndicat suisse: « Unia mise désormais pleinement sur les conventions collectives de travail afin de combattre les bas salaires et le dumping salarial ». D’un autre côté le Sit à Genève se la joue romantique: « Ce n’est que partie remise et l’histoire montre par ailleurs que le peuple a déjà dû s’y prendre à plusieurs reprises afin d’obtenir les avancées sociales nécessaires! ».
Dernier objet fédéral: l’achat d’une flotte de Gripen suédois pour l’armée de l’air. Techniquement, la votation est un référendum contre une loi instituant un fonds particulier dans ce but. Mais si les autorités avaient essayé de l’éviter en inscrivant, comme c’était juridiquement possible, la dépense au budget de la défense, elles auraient inévitablement été confrontées à une initiative populaire pour interdire la chose, comme cela avait été le cas en 1993 pour l’achat de F/A 18 (l’initiative avait été rejetée). Bref: c’est non.
A souligner que ce résultat national doit tout aux électeurs des cantons latins, dont l’apport massif a été décisif à la minorité opposée à cet achat dans le reste du pays. La différence, c’est que les Alémaniques, eux, n’en font pas une crise.
Votations cantonales
Elle avait déjà été soumise au peuple l’an dernier (voir ce précédent article). Profitant d’une erreur matérielle dans la procédure, des opposants à l’initiative avaient obtenu l’annulation judiciaire du scrutin, confirmée par le Tribunal fédéral. Eh bien même avec le recul, la mauvaise surprise initiale se répète et une initiative insensée « contre la hausse des tarifs des transports publics » est adoptée. Elle se traduit principalement par une hausse massive pour les clients entre 18 et 25 ans et un gel des autres tarifs accréditant l’idée que l’on peut avoir de bons transports publics sans en payer le prix.
Manifestement ce premier résultat témoigne du même ras-le-bol et de la même méfiance à l’égard d’autorités cantonales qui se cachent derrière la technocratie que que le second: le refus, à la suite d’un référendum, du financement de parkings d’échange P+R à construire en France voisine. L’intérêt égoïste pour Genève de réduire le trafic automobile frontalier est manifeste, mais le principe de territorialité de l’action politique (et des ressources fiscales) reste bien ancré. Les incantations régionales (passablement désordonnées à Genève) mais sans concrétisation institutionnelle et démocratique ne suffisent pas.
- Le scrutin à l’urne n’est plus ouvert, à Genève, que deux heures le dimanche matin dernier jour de scrutin [↩]
- Merci Martin! [↩]
- En raison de l’encouragement financier dont elle fait l’objet par l’Etat pour les partis et comités qui déposent une « prise de position » officielle. [↩]
- Contre laquelle aucun référendum n’a été lancé. [↩]
- Comme minimum légal absolu, loin de moi l’idée qu’un salaire de 4’000 francs soit en soi excessif évidemment! [↩]
- Certes plus humble que celui voulu par l’USS, plus adapté à un projet gouvernemental technique qu’à une initiative populaire: celui d’une voiture-balai. [↩]