Excuse et apologie, romantisme et culpabilité
Le Monde d’aujourd’hui fait grand cas de « deux ‘commentaires’ signés par deux musulmans qui éclairent les raisons de la sourde colère qui monte dans les communautés musulmanes et favorise le recrutement des ‘djihadistes’ prêts à passer à l’action », publiés dans The Guardian.
Pour l’un, cite-t-il (voir le texte intégral en v.o.):
Oui, les terroristes sont barbares. Mais il ne faudrait pas oublier les crimes contre l’humanité récemment commis à Falouja, Nadjaf, Qaïm, Jénine et dans les villages et les montagnes d’Afghanistan. Qui est le plus barbare? (…) Pour chaque Occidental tué par des terroristes musulmans depuis la fin de la guerre froide, au moins cent musulmans sont morts dans les guerres et les occupations perpétrées par l’Ouest.
L’autre développe la même argumentation et écrit:
Les jeunes musulmans britanniques n’en peuvent plus de ces soi-disant « leaders communautaires » qui restent silencieux tandis que monte la colère dans les rues. Je suis allé prier dans une mosquée de Leeds récemment pendant le mois de ramadan (…). Il y avait des centaines de gens, beaucoup originaires d’Irak. Pas un mot de l’imam sur Falouja [la ville irakienne qui venait d’être écrasée par l’armée américaine, précise Le Monde].
Ce dernier se présente comme « un type ordinaire du Yorkshire » mais se révèle être un militant extrémiste, sans doute infiltré au sein de la rédaction du »Guardian » car je ne peux imaginer que c’est en connaissance de cause qu’il aurait été engagé comme journaliste stagiaire. Quant au premier, c’est un ancien porte-parole de la mission des Nations Unies en Irak, ce qui en dit long sur l’état d’esprit au sein de cette organisation. Dans les deux cas, c’est la même vision déformée de la réalité, entre paranoïa et victimisation compulsive, qui oublie par exemple que les Occidentaux ont combattu pour venir au secours de musulmans (au Kosovo, en Somalie), ou qui ne compte apparemment pas au débit de Saddam les centaines de milliers de morts musulmans dont il est responsable (respectivement au crédit de l’intervention internationale les vies sauvées par la fin de la dictature). Les soi-disant crimes contre l’humanité de Falouja et de Jénine sont, dans le premier cas, une opération militaire classique contre un groupe armé, rebelle à l’autorité légitime du gouvernement irakien, qui avait pris en otage la ville (fallait-il la lui laisser?) et, dans l’autre cas, une opération d’intoxication psychologique anti-israélienne, ramenée à de plus justes proportions par Human Rights Watch en particulier. Plus fondamentalement, on retrouve ce narratif perverti dans lequel c’est l’Irak tout entier qui est agressé et non Saddam, alors que l’effet de l’intervention a été de permettre la tenue des premières élections démocratiques par le peuple irakien.
Il me semble que l’on trouve à l’oeuvre le même mécanisme d’identification tragico-romantique à une vision fantasmée de la réalité que le soutien à la cause palestinienne avancé comme explication de l’antisémitisme endémique des banlieues françaises; dans le combat des idées, cela doit faire réfléchir, mais cela doit surtout être combattu. Je ne saurais trop recommander à ce propos la lecture d’un long billet « socratique » de Norman Geras, qui démonte admirablement le fonctionnement unilatéral du principe de causalité appliqué par les nouveaux « compagnons de route »:
Note, first, the selectivity in the general way root-causes arguments function. Purporting to be about causal explanation rather than excuse-making, they are invariably deployed on behalf of movements, actions, etc., for which the proponent wants to engage our sympathy or indulgence, and in order to direct blame towards some party for whom he or she has no sympathy. Try the following, by way of a hypothetical example, to see how the exercise works and doesn’t work.
On account of the present situation in Zimbabwe, the government decides to halt all scheduled deportations of Zimbabweans who have been denied the right to remain in the UK. Some BNP thugs are made angry by this decision and they take out their anger by beating up a passer-by who happens to be an African immigrant. Can you imagine a single person of left or liberal outlook who would blame, or even partially blame, this act of violence on the government’s decision to halt the deportations, or who would urge us to consider sympathetically the root causes of the act? It wouldn’t happen, even though (ex hypothesi) the government decision is part of the causal chain leading to the violence in question. It wouldn’t happen because the anger of the thugs doesn’t begin to justify what they have done.
Dans le Times d’aujourd’hui, Gerard Baker, commente l’obsession culpabilisée des élites mais croit à tort que c’est une spécialité britannique quand elle est répandue dans l’ensemble du monde occidental: c’est le philosophe français Pascal Bruckner qui l’a analysée dans Le sanglot de l’homme blanc, et comme on l’a vu l’autre jour elle se porte bien à Lausanne. Dans la réalité, la « tentation totalitaire » est une hydre dont la tête repousse sans cesse; et peut-être suis-je en train de céder moi-même à la culpabilisation excessive en trouvant fascinant que le fondamentalisme islamique soit une idéologie politique qui trouve ses racines dans un romantisme européen qui a déjà donné au monde le nationalisme, le communisme et le fascisme de la première moitié du siècle:
Perhaps you think that Islamism is the same thing as Islam. Perhaps you think that it is some form of national liberation struggle, or a reaction against imperialism or Bush’s failure to sign up to Kyoto.
It is not.
Radical Islamism – in its most important strain – is a political doctrine which was developed principally by two arab thinkers in the first part of the 20th century – Qutb and Banna – who were deeply immersed, not in the culture of the middle east, but in the theoretical perspective of the European romantic movement. It is not an alien, exotic or even really an « oriental » doctrine. It is directly inspired by the same intellectual currents which gave rise to romantic nationalism in the 19th century, and fascism in the mid 20th century.
You might think that its main aim is to oppose military action in the middle east.
It is not.
Its main aim, explicitly, is to restore the Caliphate, abolished by Ataturk when modern Turkey was established. It is not an anti-imperialist movement. It is an imperialist movement, yearning for an imagined golden age which it hopes to recreate.
COMPLEMENT DU 22.07 à 23h44: Le Guardian s’est résolu à se séparer de son journaliste stagiaire qui posait au jeune musulman lambda en colère alors qu’il était membre d’une organisation islamiste prônant l’antisémitisme et la violence.
Les supporters de la causalite appliquee devraient se souvenir que « 2 wrongs don’t make a right ».