Reconnaître que l’on s’est trompé
J’ai raté, dans la Tribune de Genève du 3 février, un article de Pierre-Yves Ghebali, professeur à l’Institut universitaire des hautes études internationales, intitulé: « Les élections irakiennes: avancée ou simulacre démocratique? » (et même mon abonnement à l’édition électronique du journal ne m’y donne pas accès sans un paiement supplémentaire). Si j’avais un doute sur la réponse de l’auteur, il est levé par cette citation reprise aujourd’hui dans une lettre de lecteur:
Si une élection de ce type avait eu lieu dans un pays africain, le monde occidental n’aurait-il pas crié haut et fort au scandale?
J’avais été, un peu au pied levé, opposé à Ghebali dans un débat contradictoire mené par deux journalistes de la Julie pour l’édifîcation des lecteurs, peu avant le déclenchement de l’intervention. Entre narcissisme et sens du devoir politique, j’y étais allé tout en craignant un peu un jeu inégal face au spécialiste, mais en définitive je n’avais pas été mécontent du résultat. C’était un débat très urbain, avec aussi des zones de convergence et, si je ne l’avais pas convaincu, lui non plus, et j’étais loin de m’être ridiculisé. Pour le reste, l’histoire jugerait!
Ce n’est évidemment pas facile d’avoir eu tort, et encore davantage dans le débat public. Le réflexe le plus commun est certainement de s’enferrer dans l’erreur, d’en rajouter, plutôt que de se taire voire de reconnaître, de plus ou moins bonne grâce et plus ou moins rapidement, que l’on s’est trompé (ce qui n’est évidemment pas la même chose que de se trouver, politiquement, dans le camp des vaincus sur un combat honorable). Une autre illustration d’actualité est donnée par Dieudonné, qui fut un humoriste coupable, ou victime si l’on pouvait encore éventuellement lui laisser le bénéfice du doute, d’un dérapage antisémite. Après quelques flottements et velléités, il a manifestement décidé de s’en faire le porte-drapeau.
Quand je me remémore notre débat, le cher professeur a vraiment eu tort sur toute la ligne: la guerre longue, la résistance acharnée, le désastre humanitaire, la guerre civile, l’inaptitude à la démocratie, le monde arabe outragé, l’effet désastreux sur le conflit israélo-palestinien… Mais déjà peu après le déclenchement de l’intervention, il publiait dans Le Temps une tribune bien plus incendiaire que ses propos face à moi, et maintenant cette autre tribune: à l’époque c’était le respect de l’ONU et du droit international qu’il défendait, maintenant il doit battre en brèche l’ONU (sans doute manipulée par l’Amérique, ou pire) pour avoir proclamé comme honnêtes ces élections!
On pense à ce qu’ont vécu les déçus du stalinisme quittant le PC, à ceux qui croyaient à la colonisation (ou à l’apartheid). McNamara a fait son autocritique sur la guerre du Vietnam — et c’est d’autant plus méritoire qu’il était acteur, pas commentateur. Mais c’était longtemps après. Ils ne me paraissent pas avoir été nombreux, ceux qui ont reconnu le moment de rompre avec le castrisme, après avoir tout naturellement soutenu le renversement de Battista et les premiers pas du nouveau pouvoir cubain. Une autre analogie qui me vient à l’esprit est celle des esprits honorables, en Grande-Bretagne ou en France dans les années 30, qui voyaient avec bienveillance Mussolini et Hitler, entre souvenir des horreurs de la Grande Guerre et naïveté: là du moins, pour quelques-uns qui s’y sont perdus, plus nombreux sont ceux qui ont eu le courage d’en revenir.
Pas encore de tel signe sur l’Irak (sinon, de plus ou moins bon gré, chez quelques politiciens européens en veine de réalisme).
COMPLEMENT DU 25.02 A 12H30: Mais si, cela arrive (via Norman Geras). Harry Barnes, un député travailliste vétéran de Labour Against the War, vient de quitter cette organisation avec fracas et déclare:
None of us who opposed the war likes how we got here but we must face the facts if we are to provide solidarity to Iraqi democrats in their hour of utmost need. My plain message to those on the left who abuse statistics and rubbish Iraqi democracy because they cannot stand the idea that Tony Blair or George Bush get some sort of credibility from them is to get real and do so quickly.