WikiLeaks et la guerre contre la démocratie
La deuxième guerre mondiale serait-elle été gagnée par Hitler si elle survenait aujourd’hui? C’est une des questions que pose la mise en ligne par des adversaires résolus de l’intervention militaire en Afghanistan (et en Irak) de documents supposés embarrassants — alors même qu’ils ne contiennent rien de vraiment nouveau[1].
La question est d’ailleurs double. Il y a non seulement celle, évidente, des moyens redoutables[2] que, par nature, l’Internet, offre aux ennemis de la démocratie aussi bien qu’à ses amis, mais aussi celle de la vulnérabilité accrue aux traîtres et autres whistleblowers (choisissez votre camp) que représente l’usage de moyens électroniques: les documents en question, qui contiennent en particulier les détails personnels d’Afghans qui ont eus des contacts avec les militaires et sont aujourd’hui offerts aux représailles des Talibans par WikiLeaks, étaient disponibles sur un Intranet… Les choses étaient, respectivement, plus difficiles et plus simples au temps du papier et de la TSF. Qu’on pense, par comparaison, au centre ultra-secret de Bletchley Park ou étaient décodés les messages chiffrés allemands, grâce au « craquage » d’Enigma: rien n’a transpiré, et cela a bien sûr joué un rôle crucial dans la victoire des Alliés.
Dans les justifications avancées par Julian Assange[3] il y a deux outrances (la comparaison avec l’ouverture des dossiers de la Stasi est-allemande, la prétention de contribuer à la révélation de sources pour l’histoire quand en réalité, celle-ci étant loin d’être terminée, il contribue sciemment à la faire dans le but assumé de faire perdre la guerre aux Américains et autres pays de la coalition quitte à faire triompher les Talibans en Afghanistan, puis sans doute rétablir une dictature en Irak) et une illustration de la parabole de la paille et de la poutre: le sentiment vertueux de dénoncer ce qu’il voit comme des crimes de guerre par les troupes de la coalition.
Je ne doute pas qu’il y a eu des crimes de guerre[4], encore que s’il y avait un My Lai dans les documents révélés, on nous l’aurait dit, et toute victime civile n’est de loin pas le résultat d’un crime de guerre[5], mais évidemment ni Assange ni les médias ne s’appesantissent sur la vraie révélation de ces documents: le bilan des victimes civiles des mines posées par les Talibans (et là ce sont des crimes de guerre, car la population afghane est visée sciemment ou sans aucun effort de l’épargner) s’élève à quelque 2’000 hommes, femmes et enfants.
Notes
[1] Ce qui explique peut-être pourquoi les médias et la blogosphère du monde francophone semblent y attacher si peu d’intérêt — mais en se concentrant sur le contenu des documents ils passent aussi à côté du vrai débat qui est celui sur la nature de l’action de WikiLeaks et la possibilité pour une démocratie de mener une guerre à l’heure de l’information 24 heures sur 24 et de l’Internet.
[2] Ici la rapidité, l’ubiquité et l’invulnérabilité qu’offre un site basé en Suède et en Belgique, répliqué un peu partout, créé par un Australien, Julian Assange, et géré évidemment par un réseau international anonyme.
[3] Assassin qui fait l’ange? Par sa certitude de la justesse de sa cause et de sa supériorité morale, Taliban libertaire, si je puis me permettre un oxymore.
[4] Au même titre que les crimes civils, on doit tenter de les prévenir, on doit poursuivre et condamner les auteurs, mais il est illusoire de croire qu’ils pourraient ne pas exister.
[5] Comme l’illustrent par exemple les trois cas mettant en cause des troupes françaises.
Est-ce que votre prochain billet proposera de décorer les soldats de l’axe du bien qui ont la présence d’esprit de tirer directement sur les journalistes?
Mais comment ai-je mis si longtemps avant de revenir sur ce blog intelligent?
C’est la réflexion que je faisais l’autre jour sur Twitter: Les Talibans n’ont pas Wikileaks. Ils disposent donc d’un avantage psychologique et militaire certain en l’espèce à être face à des démocraties dans lesquelles il y des Wikileaks.