Le discours de Bush aux anciens combattants américains
Il mérite la lecture intégrale, une fois de plus! Surtout en ce moment où, même si une hirondelle ne fait pas le printemps, la visite de Bernard Kouchner à Bagdad semble annoncer que la France est prête à cesser de punir les Irakiens pour avoir été libérés malgré elle.
Il n’y a pas que le retournement dialectique de la comparaison entre l’Irak et le Vietnam invoquée par ses adversaires depuis des années, mais sous l’angle embarrassant des conséquences funestes sur le plan humain et sur le plan stratégique lorsque l’Amérique abandonne la partie comme certains proposent de le faire à nouveau. Bush rappelle combien le Japon aujourd’hui démocratique, prospère et allié a été un ennemi impitoyable qui paraissait à beaucoup sans espoir:
There are other critics, believe it or not, that argue that democracy could not succeed in Japan because the national religion — Shinto — was too fanatical and rooted in the Emperor. Senator Richard Russell denounced the Japanese faith, and said that if we did not put the Emperor on trial, « any steps we may take to create democracy are doomed to failure. » The State Department’s man in Tokyo put it bluntly: « The Emperor system must disappear if Japan is ever really to be democratic. »
Those who said Shinto was incompatible with democracy were mistaken, and fortunately, Americans and Japanese leaders recognized it at the time, because instead of suppressing the Shinto faith, American authorities worked with the Japanese to institute religious freedom for all faiths. Instead of abolishing the imperial throne, Americans and Japanese worked together to find a place for the Emperor in the democratic political system.
And the result of all these steps was that every Japanese citizen gained freedom of religion, and the Emperor remained on his throne and Japanese democracy grew stronger because it embraced a cherished part of Japanese culture. And today, in defiance of the critics and the doubters and the skeptics, Japan retains its religions and cultural traditions, and stands as one of the world’s great free societies.
Pour ceux qui persistent à sous-estimer Bush, il y a ce passage dans lequel il se paie le luxe du parallèle entre l’attitude républicaine sous un président démocrate, Harry Truman, à propos de la guerre de Corée, et les démocrates aujourd’hui:
After the North Koreans crossed the 38th Parallel in 1950, President Harry Truman came to the defense of the South — and found himself attacked from all sides. From the left, I.F. Stone wrote a book suggesting that the South Koreans were the real aggressors and that we had entered the war on a false pretext. From the right, Republicans vacillated. Initially, the leader of the Republican Party in the Senate endorsed Harry Truman’s action, saying, « I welcome the indication of a more definite policy » — he went on to say, « I strongly hope that having adopted it, the President may maintain it intact, » then later said « it was a mistake originally to go into Korea because it meant a land war. »
Throughout the war, the Republicans really never had a clear position. They never could decide whether they wanted the United States to withdraw from the war in Korea, or expand the war to the Chinese mainland. Others complained that our troops weren’t getting the support from the government. One Republican senator said, the effort was just « bluff and bluster. » He rejected calls to come together in a time of war, on the grounds that « we will not allow the cloak of national unity to be wrapped around horrible blunders. »
Many in the press agreed. One columnist in The Washington Post said, « The fact is that the conduct of the Korean War has been shot through with errors great and small. » A colleague wrote that « Korea is an open wound. It’s bleeding and there’s no cure for it in sight. » He said that the American people could not understand « why Americans are doing about 95 percent of the fighting in Korea. »
Many of these criticisms were offered as reasons for abandoning our commitments in Korea. And while it’s true the Korean War had its share of challenges, the United States never broke its word.
Today, we see the result of a sacrifice of people in this room in the stark contrast of life on the Korean Peninsula. Without Americans’ intervention during the war and our willingness to stick with the South Koreans after the war, millions of South Koreans would now be living under a brutal and repressive regime. The Soviets and Chinese communists would have learned the lesson that aggression pays. The world would be facing a more dangerous situation. The world would be less peaceful.
Instead, South Korea is a strong, democratic ally of the United States of America. South Korean troops are serving side-by-side with American forces in Afghanistan and in Iraq. And America can count on the free people of South Korea to be lasting partners in the ideological struggle we’re facing in the beginning of the 21st century.
Mais lisez tout!
Je suis toujours un peu étonné de cette volonté de parallèle entre l’Irak et le Japon. Le Japon est quand même un pays millénaire, plus ou moins isolé géographiquement, quasiment homogène éthniquement et culturellement, avec une forte identité nationale (notamment basé sur le Shinto) et une culture assez particulière. Rien à voir à ma connaissance avec l’Irak qui a moins d’un siècle et est la juxtaposition de nombreuses communautés; ce qui peut expliquer pas mal de choses, notamment la guerre civile actuelle. Le Japon avait une notion de ce qu’était l’état, et respectait l’état; il suffisait changer le régime au plus haut niveau pour que cela fonctionne. Par ailleurs, il y avait le général MacArthur qui avait pris le Japon sous son aile pendant des années : qui est le MacArthur de l’Irak ?
Par ailleurs, la remarque sur le Shinto est un peu de mauvaise foi : l’Empereur est le descendant de la déesse Amaterasu dans cette religion et est donc lui-même un Dieu, or après la guerre les Américains ont obligé l’empereur à reconnaître publiquement qu’il n’était pas de nature divine afin justement d’atténuer les sentiments nationalo-religieux. Une pierre dans le jardin de la liberté religieuse et de la bonne cohabitation entre Shinto et Amérique.
Dire également que les Japonais étaient poussés par l’idéologie pendant la seconde guerre mondiale me semble inexact; je pense plutôt qu’ils étaient poussés par le nationalisme, le Japon n’étant pas tellement différents des autres états-nations sur ce plan-là .
Sinon, sur le discours en lui-même, je ne vois pas comment on peut être d’accord avec ce passage :
« I stand before you as a wartime President. I wish I didn’t have to say that, but an enemy that attacked us on September the 11th, 2001, declared war on the United States of America. And war is what we’re engaged in. The struggle has been called a clash of civilizations. In truth, it’s a struggle for civilization. We fight for a free way of life against a new barbarism — an ideology whose followers have killed thousands on American soil, and seek to kill again on even a greater scale. »
La rhétorique de la guerre en Irak comme réponse au 11 Septembre est donc toujours là implicitement.
@ Tom: De même que les parallèles ne sont pas à prendre littéralement (mais pour montrer que le pire n’est pas toujours sûr, et que la pression médiatique sur l’instantané ne doit pas faire oublier la dimension du temps et de l’histoire), de même je n’ai personnellement aucun problème avec cette phrase: l’intervention en Irak s’inscrit pour moi très logiquement dans la contre-offensive (multiforme et sur plusieurs fronts: de manière assez intéressante, Gordon Brown l’a comparée à l’ensemble de la guerre froide, c’est-à -dire toute la période qui va de la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’en 91 avec la disparition de l’URSS) à l’agression islamo-fasciste, qui ne vise d’ailleurs pas que les Etats-Unis. Ce n’était pas seulement Al Qaida qu’il y avait lieu de mettre hors d’état de nuire, c’est aussi tout le contexte d’oppression et de misère qui lui permet de prospérer qu’il faut transformer par le développement de l’économie de marché et de la démocratie: non seulement bombarder les camps d’entraînement en Afghanistan mais chasser les Talibans, libérer l’Irak, établir si faire se peut un Etat palestinien démocratique vivant en paix avec Israël, etc.
Je ne suis pas du tout d’accord; je trouve même assez inquiétant cette idée qu’on puisse décider du jour au lendemain d’envahir un pays pour « nettoyer » une région. D’autant plus quand on le fait en manipulant sa propre opinion publique (toute la campagne sur les armes de destruction massive), en soutenant d’autres dictatures qui ont peut-être plus de liens avec Al Qaeda (au hasard l’Arabie Saoudite); quelle belle image offerte de la « liberté » et de la « démocratie » ! Sans parler de l’alignement systématique sur Israël ce qui n’est pas très malin vis-à -vis des pays arabes diplomatiquement si le but est de créer deux états indépendants en Palestine. Comme dirait l’autre, il faut quand même de sacrées contorsions pour justifier de tuer des gens pour leur bien : si une fraction conséquente de la population meurt dans la guerre ou la guerre civile, si le pays est complètement détruit, on aura du mal à justifier cette guerre en Irak (qui, rappelons-le encore, n’a agressé les US qu’en paroles et n’a rien à voir avec Al Qaeda; cet aspect là ne risque pas d’aider non plus à une « réconciliation »!). Le chemin est au moins aussi important que le résultat final : pour reprendre l’analogie, c’est d’ailleurs pour cela que les Américains ont utilisé la bombe atomique au Japon pour forcer le pays à capituler sans être obligé de le raser comlètement et éviter une guerre se poursuivant ad vitam aeternam qui aurait pu empêcher toute réconciliation future.
Pour un commentaire satyrique plus léger sur ce discours, voir aussi le daily show : http://www.comedycentral.com/motherload/?lnk=v&ml_video=92012 Comme le dit Jon Stewart à propos de l’attaque de Pearl Harbour : « That is why in 1941 America invaded China ».
@ Tom: « Je ne suis pas du tout d’accord »
A vrai dire je m’en doutais, ma réplique était surtout destinée aux autres lectrices et lecteurs… 😉
« Irak (qui, rappelons-le encore, n’a agressé les US qu’en paroles et n’a rien à voir avec Al Qaeda »)
A. La réalité du danger posé par l’Iraq (inscrit dans les résolutions du Conseil de Sécurité, qui ont d’ailleurs autorisé l’usage de la force pour y remédier) et des liens avec le terrorisme islamique (mis en évidence sous l’administration Clinton après les attentats en Afrique) est beaucoup plus complexe, mais passons.
B. Quant au fond du discours de Bush, ce qui me pose le plus de souci, c’est cette volonté de stigmatiser l’islam comme un danger pour la démocratie et de le comparer à un nouveau totalitarisme. L’islam ne présente aucun danger pour le monde occidental :
1. il n’y a pas d’unité islamique (l’Arabie saoudite, la Turquie ou l’Indonésie sont des entités parfaitement hétérogènes, dont l’histoire, le développement humain et les pratiques politiques ne sont pas réduisibles à un projet unique universellement valable ; même en Iraq, les commentateurs occidentaux qui nous parlent « des » Kurdes, « des Chiites » et « des Sunnites » comme si les communautés formaient un tout unitairement solidaire passent à côté de l’essentiel)
2. le Proche-Orient ne présente qu’un intérêt géostratégique mineur (hormis pour les ressources naturelles énergétiques, et encore) : s’il n’y avait l’obsession pro-israélienne des Démocrates américains (soutien qui nourrit la haine anti-américaine dans le monde entier, compte tenu du biais palestinomane des media), et désormais des Républicains depuis que Bush s’est entouré de néo-conservateurs/juifs likoudniks (c’était bien différent au temps des Baker, Bush père et autres Scowcroft – le lobby saoudien, dirait un Muraviec), les Etats-Unis d’Amérique se seraient désengagés de la région depuis longtemps
3. les Etats-Unis d’Amérique sont le pays le plus puissant de tous les temps ; leurs équipements sont les plus performants, leur budget supérieur à celui de tous les autres pays du monde réunis, leur réseau d’alliances en Europe et en Asie inégalé : la plupart des autres pays disposant d’une armée opérationnelle sont des alliés indéfectibles des Américains (UK, Japon, Israël, Australie, Turquie, Taiwan,…) ; les autres n’ont strictement rien à voir avec l’islam (Russie, Chine, France) : au sein de la mosaïque islamique, aucun ne dispose d’une industrie d’armement (leurs avions, missiles, radars, vaisseaux,… sont de fabrication américaine ou chinoise/russe) ; quant au Pakistan, il est entouré de puissances nucléaires qui le surclassent largement (la dernière crise, celle de Kargil en 99, s’est achevée par une nouvelle déculottée d’Islamabad contre l’Inde, as usual). L’Iraq de Saddam Hussein n’était plus en mesure d’inquiéter le Koweit, et encore moins les USA ; c’est encore plus vrai de Ben Laden et du mollah Omar (combien de porte-avions, de sous-marins, de frégates, de missiles ballistiques ?).
4. les Etats-Unis s’épuisent aujourd’hui inutilement dans des guerres qui sont perdues (le rapport entre les pertes alliées et les dommages chez l’ennemi est non-pertinent s’agissant d’un conflit asymétrique ; quant aux attentats dans le monde, ils se sont multipliés depuis que les USA sont intervenus en Afghanistan et en Iraq) ; le président Bush peut bien se montrer courageux et visionnaire, le coût prohibitif (humain et financier) des opérations en Afghanistan et en Iraq découragent le peuple américain, peu importent les conséquences terribles que cela entraînerait (il ne fallait pas y aller, mais maintenant qu’on y est, il serait irresponsable de s’en aller comme ça : pour les populations locales, évidemment, mais aussi pour la crédibilité et le pouvoir de dissuasion des USA) ; or l’opposition Démocrate, sauf quelques figures exceptionnelles (Joseph Lieberman,…), est complètement obsédée par le désir de revenir au pouvoir et capitalise donc sur l’impopularité de la guerre et du président Bush (c’est à celui qui demandera le retrait le plus rapide)
5. si les Etats-Unis d’Amérique et le président Bush pensaient réellement que la résistance à l’Islam relevait d’une lutte existentielle, comme le furent les guerres contre le nazisme et le marxisme, ils y mettraient bien davantage de moyens (150.000 soldats en Iraq est, tous les experts le disent, largement insuffisants ; et ils ouvriraient d’autres fronts contre les autres Etats voyous) ; or il n’en est rien. Pourquoi ? Parce que même les Républicains les plus extrémistes à la Dick Cheney savent bien que le jeu n’en vaut pas la chandelle, que 3.500 morts Américains pour la libération de quelques millions d’arabes est déjà un prix trop élevé…
à€ propos du parallèle avec le Vietnam, que l’administration Bush essaie de récupérer, avez-vous lu ceci ?
http://nielsenhayden.com/makinglight/archives/009310.html
@ François : désolé pour le troll alors… 😉
@ Fleur : en ce qui concerne l’Irak, je ne suis pas naïf, bien sûr que la réalité est plus complexe, mais c’est le parallèle avec le Japon et Pearl Harbour que je trouve fallacieux. Autant attaquer l’Afghanistan était légitime dans le contexte du 11 Septembre, autant l’Irak, j’ai quelques doutes … Sinon, je suis d’accord pour dire que c’est assez surprenant cette façon de considérer l’islam comme un bloc et que cela déforme complètement raisonnement et perspective, et qu’il est absolument nécessaire que quelqu’un « fasse la police » en Irak (en cela, je ne comprends pas très bien la position des Démocrates dont certains promettent un retrait quasi-immédiat). Il me semble que dans les « favoris », c’est encore Hillary Clinton qui est la plus modérée (elle joue sur les mots pour ne pas promettre un retrait rapide).
Sinon, pour le parallèle avec le Vietnam, il faut regarder le lien vers le daily show plus haut : Bush a effectué un renversement à 180° là -dessus…
@ Tom: Pas un troll! Ce qui m’intéresse dans le blog (tant à écrire qu’à lire), c’est la zone de crête où l’on est prêt à discuter de choses sur lesquelles on n’est pas à 100% d’accord ou en désaccord! 🙂
« la France est prête à cesser de punir les Irakiens pour avoir été libérés malgré elle. »
Quel dommage que les soldats américains eux-mêmes ne semblent même plus croire à cette théorie :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0,36-947957,0.html
« Nous, soldats américains en Irak…. »
« Les » soldats américains ou « des » soldats, trahissant leur pays et la Constitution américaine (le Président est le Commander in Chief, les USA n’étant pas encore une dictature militaire) ? Que les Etats-Unis aient gaspillé des ressources énormes en attaquant inutilement les Talibans puis Saddam Hussein est une chose, qu’ils aient sous-estimé la culture de haine et de violence endémique aux sociétés islamiques en est une autre, mais pourquoi continuer plus de trois ans après le vote de la résolution 1546 à parler d' »occupation » comme si il n’y avait jamais eu de transfert de souveraineté, de tenue d’élections démocratiques et le désir des Iraquiens de voir la communauté internationale les aider à combattre l’insurrection ? Il est fascinant que les crimes commis par les insurgés soient imputés à la seule nation qui consente réellement à des sacrifices pour aider le peuple iraquien (le Conseil de Sécurité loue régulièrement son action et renouvelle systématiquement son mandat annuel depuis des années) : en imputant la responsabilité de la violence en Iraq, non aux terroristes et à une religion barbare, mais aux victimes de ceux-ci et à ses alliés, la gauche vient de franchir un nouveau palier.
Ben tiens voyons : Nettoyons ! Si si ! ce sera bon mais sur le long terme, croyez moi ! Ca mange pas d’pain comme dirait l’autre !
De toute amnière Bush s’exprime devant un public convaincu donc il peut se permettre de faire des raccourcis, des parallèles hasardeux voir tragico-comique à faire hurler n’importe quel historien lambda de base. Les vétérans n’y verrons que du feu.
En attendant des 100aines de milliards se sont évaporés en Irak. Ce magot n’a certes pas été perdu pour tout le monde mais quel gâchis tout de même! Bref de la rhétorique à 2 balles qui ne peut faire plaisir qu’à un public de convaincus.