Harvey Milk et nous (notes postmilkiennes)
Harvey Milk? Il est très loin de nous, dans l’espace, dans le temps et surtout dans les mœurs (politiques). Voilà ce que le film de Gus Van Sant fait découvrir – enfin, il fait surtout découvrir ce que le combat politique gay et lesbien a été en un lieu et en une époque précis. «Je m’appelle Harvey Milk et je suis là pour vous mobiliser!» Qui, sous nos longitudes, miserait sur ce genre de slogan? Milk, le film, nous montre aussi que nous n’avons pas eu les mêmes ennemis. Au lieu des pieuses imprécations d’une Anita Bryant, toute à la jouissance de proclamer son homophobie suave, nous avons eu, nous avons encore, la loi du silence, du bon goût et du respect de la vie privée.
Dans le film, il n’est pas question d’outing, mais de libre sortie du placard, qui pourrait être collective (supprimant au passage la problématique chérie de la dénonciation). Harvey Milk préconise cette solution avec une conviction statisticienne: les 80% de la population qui découvriront qu’ils connaissent un gay ou une lesbienne ne voteront pas dans un sens homophobe.
Harvey Milk jubile quand les ennemis se déclarent. Ce sont Anita Bryant et les siens qui mobilisent les gays. Grâce à eux, les gays paisibles consommateurs se transforment en militants qui vont déferler dans San Francisco au risque d’affrontements. Questions: Aurions-nous ici et maintenant moins de militants parce que nous n’avons plus d’ennemis? Mais alors, si nous n’avons plus d’ennemis, comment se fait-il que tant de politiques (au niveau d’un exécutif municipal ou cantonal) qui ne se cachent pas en privé, refusent d’évoquer publiquement leur homosexualité, au point de décliner d’assister à l’avant-première de Milk?
Article paru initialement dans le magazine 360° de mars 2009