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Mamma Mia au Collège de France

Jeudi dernier, j’ai eu le privilège d’assister à  une leçon inaugurale au Collège de France (une première pour moi). L’orateur était le professeur Thomas Römer, avec qui, en son temps j’ai étudié l’hébreu, et pour qui a été créée la chaire Milieux bibliques.

Il a passé en revue les domaines et les aspects de la recherche vétérotestamentaire où il est impliqué. Les conséquences d’une approche scientifique comme la méthode historico-critique séculaire sont encore ignorées du grand public. Mais, à  ses yeux, les médias — inertie ou manque de curiosité — contribuent aussi à  entretenir une vision naïve et fondamentaliste de la Bible.[1] Cela fait pourtant des décennies que les spécialistes bibliques officiels (et pas seulement du côté protestant) ont découplé la vérité historique du sens (littéraire, théologique, philosophique etc.) des textes. [2]

Parmi les découvertes récentes autant iconoclastes qu’insoupçonnées mentionnées par Thomas Römer, il y a le polythéisme hébreu qui a précédé le monothéisme. Au départ, Yahwé était un dieu parmi d’autres, le dieu d’Israël, chaque « nation » ayant son dieu, comme Baal pour les Cananéens. [3]

Autre révélation qui n’a pas encore eu d’écho médiatique proportionné, des textes extrabibliques et des « graffitis » contemporains ou antérieurs à  la rédaction biblique donnent à  penser que Yahwé, à  l’instar de tous les dieux de son temps, a eu une compagne, nommée Ashérah. Certains passages bibliques y font allusion, mais ont été amendés dans un sens théologiquement correct.

La cerise sur le gâteau de cette leçon inaugurale prononcée dans un lieu que j’imagine vénérable, ce fut la (brève et sobre) mention du film Mamma Mia, pour illustrer le phénomène de composition narrative secondaire. La comédie musicale repose en effet sur une histoire prétexte qui reprend et réunit « artificiellement » des chansons du groupe Abba dans un ordre chronologique différent. Chaque chanson a été écrite pour elle-même et n’a aucun rapport avec les autres.[4] Il en va de même, selon Thomas Römer (et toute une tendance de la recherche biblique) pour les récits de la création, du déluge, les traditions sur les patriarches, l’histoire de Moïse, les rédactions législatives, etc. Tout ces matériaux proviennent de temps et de milieux différents et ont été agencés postérieurement (à  l’époque de l’exil à  Babylone) dans un grand récit dont la visée ne coïncide pas forcément avec celles de ses composants.

Ce rapprochement avec le film ou la comédie musicale[5] était une trouvaille, la comparaison étant des plus éclairante même si on n’avait pas vu le film ou la comédie. Mais, pour ne pas sembler sortir de la rigueur académique qu’il entendait donner à  son allocution, le professeur Römer a pris soin de minimiser et banaliser l’ouvrage qui servait pour la comparaison. Mais les amateurs ne furent pas dupes: on ne pouvait pas citer ce film en pareille circonstance sans l’avoir aimé. J’ignore quelle était la proportion de l’assistance qui partageait cet amour (ma voisine archéologue ignorait jusqu’à  l’existence du quatuor suédois), mais l’accueil réservé au nouveau membre du Collège de France fut sans équivoque. Et pour conclure avec les divinités scandinaves et en jouant à  la composition narrative secondaire

And let us say when all is said and done,
that the winner takes it all,
far away from Waterloo;’
and let us say further, in the name of the game:
Mamma mia, Thomas, thank you for the music gimmick!

Notes

[1] A côté bien sûr des milieux fondamentalistes proprement dit.

[2] En revanche, les médias ont bien compris qu’on puisse utiliser le mythe d’Š’dipe comme une vérité anthropologique découplée de la vérité historique des faits.

[3] Le Psaume 82 présente l’assemblée des dieux autour du dieu suprême El comme une cour de princes autour d’un roi. A chaque dieu a été attribué une nation, et c’est ainsi qu’à  Yahwé a été attribué Israël.

[4] A l’exception d’une suite trilogique sur l’album Abba, The Album.

[5] Qu’on voudrait qualifier de culte, mais le titre serait probablement usurpé

3 commentaires

  1. 8 février 2009

    Passer de l’idée que son Dieu est le plus fort à  l’idée qu’il est le seul Dieu pose un gros problème à  celui qui se considère comme le peuple élu

    Comment ce Dieu unique pourrait il limiter son Alliance au seul peuple élu? Ou on tombe dans une attitude raciste, ou on considère qu’on est l’instrument choisi par Dieu pour un plan plus vaste, qu’on ne peut évidemment définir à  sa place!

  2. 8 février 2009

    Très intéressant.

    Merci: je vais essayer d’aller l’écouter mercredi.

    Mais je serais aussi curieux de savoir ce qu’il dit dans son ouvrage à  deux (avec L. Bonjour) de 2005 sur « L’homosexualité dans le Proche-Orient ancien et la Bible » …

    Quelqu’un l’aurait-il lu?

  3. Guillaume Barry
    9 février 2009

    En plus de l’avoir j’ai entendu les auteurs s’exprimer à  ce sujet. Le livre est caractérisé par la prudence, la rigueur et la modération scientifiques:

    On apprend que l’homosexualité n’était pas absente des cultures environnantes ou précédentes. En effet, des lois interdisant sa pratique prouven qu’elle existait. Sur des tablettes d’interprétation des rêves, on apprend que si on (=un homme) rêve qu’on couche avec un autre homme, ça veut dire qu’on aura de la chance (ou le contraire, je ne me rappelle plus).

    On apprend ce qui s’est vraiment passé à  Sodome, on découvre avec stupeur les enjeux éthiques de l’époque comparés aux nôtres (le respect du droit de l’hospitalité et de l’intégrité d’un hôte prime sur le respect de l’intégrité de sa propre fille mineure.

    On s’imprègne des abominations du Lévitique. Encore une fois, comme pour toute loi, si interdit il y a, c’est que pratiques il y a. Römer/Bonjour mettent en question la traditionnelle justification par le besoin de se démarquer des pratiques de prostitution sacrées des peuples alentour. On a « simplement » affaire à  cet conception méditerranéenne qui veut qu’il n’y a rien de pire (humiliant, dégradant au sens de faire passer dans la catégorie inférieure) pour un homme que de se voir jouer le rôle censément féminin lors d’un acte sexuel. La question du consentement n’intervient pas (de même que de nos jours, dans certains pays, une femme violée est lapidée au même titre qu’une femme adultère – note de GB.) A noter que les femmes, justement, ne font l’objet d’aucun interdit sexuel symétrique, comme si leur sexualité n’était intéressante que par rapport aux hommes.

    L’histoire de David & Jonathan est longuement étudiée. Tous les parallèles possibles sont cités et analysés (comme le couple de Gilgamesh et Enkidu). La conclusion pourra décevoir: les traits homoérotiques sont indéniables quand on lit le récit sans a priori théologiques, pour autant, on ne peut pas solliciter le texte pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas dans le sens d’une relation homosexuelle au sens sexuel et physique proprement dit.

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