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Hymne national: les accents païens d’un cantique patriotique

Maintenant que la gauche helvétique redécouvre (par exemple ici ou là ) la légitimité du patriotisme « dont la droite n’a pas à  avoir le monopole », y aura-t-il plus ou moins de risque d’être taxé de mauvais esprit si on se livre à  un ramonage [1] théologique du cantique suisse le jour de notre fête nationale?[2]

1. Sur nos monts, quand le soleil annonce un brillant réveil, et prédit d’un plus beau jour le retour, les beautés de la patrie parlent à  l’âme attendrie; au ciel montent plus joyeux, les accents d’un coeur pieux, les accents émus d’un coeur pieux.

2. Lorsqu’un doux rayon du soir joue encore dans le bois noir, le coeur se sent plus heureux près de Dieu. Loin des vains bruits de la plaine, l’âme en paix est plus sereine, au ciel montent plus joyeux les accents d’un coeur pieux, les accents émus d’un coeur pieux.

3. Lorsque dans la sombre nuit, la foudre éclate avec bruit, notre coeur pressent encore le Dieu fort; dans l’orage et la détresse il est notre forteresse; offrons-lui des coeurs pieux: Dieu nous bénira des cieux, Dieu nous bénira du haut des cieux.

4. Des grands monts vient le secours; Suisse, espère en Dieu toujours! Garde la foi des aïeux, vis comme eux! Sur l’autel de la patrie, mets tes biens, ton coeur, ta vie! C’est le trésor précieux que Dieu bénira des cieux, que Dieu bénira du haut des cieux.

Commençons par prévenir les malentendus. Je suis patriote – au sens où je l’ai professé dans ce billet. Et full sentimental: entendre jouer cet hymne (sans les paroles – par exemple au début d’une manifestation sportive que je ne suivrai pas) me fait régulièrement frémir. Les paroles me font aussi frémir, mais dans le sens contraire des poils.

C’est le mythe d’une Suisse identifiée à  ses montagnes. La ville n’existe pas, ou plutôt elle est négativement connotée dans les vains bruits de la plaine. Le texte construit donc une opposition sur un axe qui s’inscrit dans la proximité de Dieu: les concepts d’âme, de nature, de beauté, de bonheur, de sérénité. C’est aussi une vision paradoxalement aristocratique: ceux qui produisent de vains bruits, ce sont quand même des gens qui travaillent (et qui font peut-être vivre le pays). Tout ça n’est pas très protestant! Là  où il y a une résonnance avec les textes les plus anciens de nombreuses civilisations (bibliques, grecs etc.), c’est l’idée qu’une montagne peut être la résidence d’un ou de plusieurs dieux .

Mais il y a d’autres assertions hétérodoxes (du point de vue authentiquement protestant):

Un protestant (avec Paul) rechignerait à  mettre en avant sa propre piété. Avoir la foi, être croyant, c’est accueillir avec gratitude un don qu’on n’a pas mérité, qu’on ne peut surtout pas mériter par sa piété. De la même façon, il est funeste de laisser entendre que Dieu accordera sa bénédiction en raison du fait de lui avoir offert des coeurs pieux. C’est le fameux do ut des du paganisme, c’est la pensée magique: je donne pour qu’on me donne en retour, la divinité est quelque chose que je peux manipuler.

L’idée d’une proximité de Dieu conditionnée par la nature m’est suspecte. Soit on dira que l’aliénation universelle des humains signifie qu’ils sont pareillement loin (coupés) de la source de leur être, soit on dira que Dieu est pareillement proche de tout être, soit on dira que Dieu se rend proche de qui il veut. Il est vrai que le père du protestantisme libéral a fondé toute sa dogmatique sur le sentiment que l’être humain a de sa finitude et de ce fait de sa dépendance à  l’égard d’un pourvoyeur de son être. Dans ce sens, le rapport à  la nature peut jouer un rôle…

L’idée que la foudre est la voix de Dieu est évidemment importante dans l’Ancien Testament. Mais cette conception a été transcendée dans l’Ancien Testament déjà  avec l’histoire du prophète Elie qui a droit à  une théophanie. [3] Or il est rapporté que Dieu n’était ni dans le vent fort, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu qui le précédaient – mais qu’Elie l’a reconnu dans le bruissement d’un souffle ténu.[4]

Dans ce sens, ce qui dans ce cantique exalte la sérénité a aussi du bon, quand même. De la même manière, je suis attaché à  sa tonalité foncièrement pacifique, autrement dit dépourvue de références martiales. Il y a une humilité qui sonne juste et qui m’est touchante. C’est la superposition d’un mythe commun et d’un élément minimal de foi commune (dans laquelle un juif ou un musulman devraient pouvoir se retrouver). Ce chant est plein d’optimisme ou plutôt d’espérance. Cette attitude ne correspond pas à  une présomption qui enferme mais à  une confiance en une supérieure bienveillance. Enfin, cet hymne correspond indubitablement à  ce que bien des Suisses, citadins ou non, peuvent encore aujourd’hui éprouver dans les paysages auxquels ils sont légitimement attachés, en y mettant d’autres mots ou pas de mots du tout.

Notes

[1] ou fisking

[2] Pour une brève histoire de cet hymne, voir le site de l’administration fédérale

[3] 1 Rois ch.19

[4] Une autre interprétation, moins archaïsante, serait que la foudre représente le malheur, au-delà  duquel le croyant pressent la présence divine comme puissance protectrice.