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La liberté d’expression entre blasphème et courtoisie (II)

Notre société connaît aussi des tabous, mais elle n’en en a plus du tout concernant la représentation du sacré. Il y a eu deux grands épisodes de guerre de l’iconoclasme au VIIIème et au XIème siècle. L’iconoclasme (destruction plus ou moins violentes d’objets de culte représentant la divinité et des personnages sacrés) est réapparu au début de l’histoire de la Réforme, quand certains protestants se sont crus fondés à  dévaster des églises. Cette conscience iconoclaste a toujours été minoritaire dans la société occidentale. Mais il y a toujours eu des théologiens protestants, comme Jacques Ellul au XXème siècle, qui ont continué de se méfier a priori de l’image, comme quelque chose qui a la puissance de fasciner, d’accaparer, de nous garder captif, enfermé dans notre monde, qui s’avère être le monde matériel, tandis que la parole, invisible, pointe vers le sens (la signification), vers l’au-delà  de l’humain.

Mais ce point de vue est hermétique ou ésotérique aux yeux de la modernité. La modernité peut très bien comprendre qu’un dessin ou une image soit choquante, parce que pornographique, raciste, attentatoire à  la dignité de telle ou telle autre minorité, etc. Mais la modernité ne peut plus comprendre que la seule représentation d’un être humain particulier soit tabou, indépendamment de savoir si la représentation est respectueuse, gentiment ou méchamment humoristique. Cette incompréhension occidentale est d’autant plus compréhensible qu’on croit savoir, plus ou moins confusément, que l’une des caractéristiques de l’Islam est de nier avec véhémence la divinité de Jésus et de qui que ce soit, y compris le Prophète de l’ultime révélation.

Or voici qu’il y a un paradoxe. En dehors de la question de la représentation du Prophète, l’Islam est assez proche des convictions occidentales modernes et « laïques », puisqu’il simplifie et rationalise le divin. Bien des chrétiens contemporains convertis à  l’Islam expliquent qu’ils ne pouvaient plus adhérer à  des dogmes absurdes comme la Trinité, la filiation divine, la mort ignominieuse réconciliatrice de l’Envoyé divin sur une Croix, une Grâce qui empêche tout calcul, toutes prévisions concernant le poids de la juste croyance et des bonnes actions dans la balance du Jugement dernier. Un Dieu un (indivisible), invisible, non représentable, qui punit le mal et récompense le bien, qui est la Cause première de tout ce qui arrive (= le Destin): c’est logique – et c’est malheureusement aussi le Dieu de bien trop des gens qui se croient chrétiens!

Pour en revenir à  la dernière querelle des images. Si le public n’était pas vraiment conscient du tabou de la représentation de Mahomet, les rédacteurs responsables l’étaient, et la provocation fut délibérée. Au bon endroit? Au bon moment? Pour de bonnes raisons? « Tout est permis, mais tout n’est pas utile » disait l’apôtre Paul. Pour ma part, j’applaudis des deux mains quand l’auteur d’ANNALES histoire société christianisme écrit

De mon point de vue, notre défense de la liberté de penser pose la question de la liberté religieuse. Pour que les hommes puissent connaître la vérité et être heureux ici-bà s et dans la vie future, il faut pouvoir manifester ouvertement ses pensées et celles de la révélation.

Par contre, quand il continue

Pour que cela ne conduise pas à  la «peste de l’indifférentisme», il faut pouvoir critiquer une famille de pensée au nom de ses effets dans le monde réel et à  la mesure d’une morale naturelle et évangélique.

je pense qu’il risque d’entretenir le malentendu. Publier une image qui par elle-même est attentatoire aux convictions n’est pas critiquer cette religion, c’est surtout couper les ponts avec les adeptes de cette religion, y compris un bon nombre de modérés, leur claquer la porte au nez, pour jouir entre nous de la liberté d’expression (une tentation dont je ne suis pas exempt, c’est pourquoi je la dénonce).

Voir aussi ce précédent billet

COMPLEMENT DU 05.02 à  12h: Indépendamment de l’origine des caricatures, qu’il y ait ou non manque de tact ou faute de goût, est-il besoin de préciser que les réactions de violence symbolique et physique qu’elles suscitent sont tellement dégradantes pour ceux qui les commettent et ce au nom de quoi elles sont perpétrées, qu’il n’est évidemment pas un seul instant, pour moi, question de symétrie…

8 commentaires

  1. 4 février 2006

    Fascinante, la remarque sur ces chrétiens musulmans qui s’ignorent!

    Il me semble qu’il y a quand même une différence entre la destruction d’images appartenant à  autrui (le fait qu’elles aient par ailleurs pour eux une valeur sacrée étant une circonstance aggravante), et la représentation à  l’usage d’un public pour qui cela ne constitue pas une transgression d’une image qui pour d’autre en est une.

    Et, pour être un peu terre-à -terre, l’affaire n’est quand même pas née d’une provocation gratuite à  l’égard des musulmans danois, mais bien d’une situation scandaleuse d’autocensure par intériorisation de menaces violentes, comme le raconte la Wikipedia:

    « Jyllands-Posten commissioned and published the cartoons in response to the inability of Danish writer Kà¥re Bluitgen to find artists to illustrate his children’s book about Muhammad, for fear of violent attacks by extremist Muslims. »

    Mais bon, cela n’enlève rien à  la pertinence de ta réflexion par rapport au projet initial de cet auteur de livres d’enfants!

  2. Assimil
    4 février 2006

    Il est certain que, par exemple, une biographie parmi tant d’autre d’un grand mathématicien arabe rédigée en danois a peu de chance de par sa simple existence de choquer qui que ce soit. Si d’aventure la qualité de cette oeuvre s’avérait exceptionnelle, nul ne doute qu’elle serait rapidement traduite en quelques dizaines de langues. A défaut, elle serait rapidement oubliée.

    Pour les mêmes raisons, il n’y a pas trop de raisons de s’inquiéter des âneries proférées par le ministre des finances de la France, vu le peu de risque que cela nuise à  qui que ce soit (qui écoute le ministre des finances de la France ? qui, à  part une personne infiniment tolérante, trouverait quelque raison que ce soit d’apprendre le français quand ce n’est pas sa langue maternelle ?)

  3. 4 février 2006

    De la Cène de Girbaud au Prophète…

    Ce qui m’étonnera toujours avec cette histoire, c’est qu’il est quasiment devenu normal qu’on puisse rigoler d’une campagne publicitaire pour de la poudre à  lessiver, mettant en scène des références chrétiennes, mais qu’à  l’inverse, sur un certain…

  4. 4 février 2006

    Ce que vous dites est très intéressant. Il est vrai que quand je rencontre quelqu’un se dire chrétien et en même temps refuser la divinité du Christ, source du « scandale pour les juifs et folie de la croix pour les païens », je m’interroge…

  5. 5 février 2006

    Je ne serais pas forcément d’accord sur la conclusion, mais l’analyse très synthétique de la différence mal comprise entre Dieu chrétien et Dieu musulman (si toutefois « Dieu obéissant » signifie quelque chose) est tout à  fait passionnante.

    Merci !

    David

  6. 5 février 2006

    Swissroll, les duettistes… 😉

    Je suis parfaitement d’accord avec ceci : Publier une image qui par elle-même est attentatoire aux convictions n’est pas critiquer cette religion, c’est surtout couper les ponts avec les adeptes de cette religion, y compris un bon nombre de modérés, leur claquer la porte au nez, pour jouir entre nous de la liberté d’expression

    Je pense que nous avons réussi, avec cette affaire, à  renforcer un peu plus les rangs des fondamentalistes qui n’hésiteront pas à  dire que ces caricatures légitiment leur discours, sur le mode « vous voyez bien , l’occident ne respecte rien, l’occident vous humilie ». Un ban pour les dessinateurs danois !

    Et je m’amuse de votre complément : il semblerait que beaucoup ne souhaitent pas comprendre que le fait de ne pas s’enrôler immédiatemment sous la bannière de la liberté d’expression ne signifie pas approuver les appels au meurtre ultérieurs des islamistes (à  ne pas confondre avec l’ensemble des musulmans).

  7. 6 février 2006

    Jacques Henric formule très bien mon point de vue sur la question: http://extremecentre.org/?p=667

    Aucun compromis, aucun dialogue n’est ici possible avec l’islamo-fascisme.

  8. 6 février 2006

    « europe, ton 11 septembre va arriver » (entendu à  une manif ce matin) > et soudain j’ai un doute quand à  l’usage de la liberté d’expression ! Lumineux billets… Mais quelle pourra-t-être l’influence de quelque lumière que ce soit sur l’obscurantisme des meneurs ?

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