Couples de même sexe: partenariat enregistré ou mariage?
Le gouvernement britannique veut mettre fin à une discrimination qui n’en est pas une, tout en en perpétuant une autre
Comme en Suisse (et dans la plupart des pays d’Europe[1]), l’égalité entre couples homos et hétéros est assurée au Royaume-Uni par une institution parallèle au mariage, reconnaissant les mêmes droits que ceux conférés par ce dernier aux couples formés d’un homme et d’une femme aux couples de même sexe, sous un nom différent: Civil Partnership en Grande-Bretagne, partenariat enregistré en Suisse.
Dix ans après l’adoption de cette législation sous l’impulsion du gouvernement de Tony Blair, le gouvernement Cameron propose maintenant ce qu’il présente comme un upgrade: permettre aux gays et aux lesbiennes d’avoir un Civil Marriage plutôt qu’un Civil Partnership sous prétexte d’abolir une ultime discrimination. J’ai eu le plaisir de publier un guest post chez Harry’s Place pour expliquer en quoi cette proposition me semble inopportune et hypocrite: The non issue of marriage for same sex couples.
Je suis toujours fasciné par la manière dont les réformes apparaissent, se mettent en place et se fondent dans le paysage quand elles réussissent. Mais je n’avais pas réalisé à quel point le développement de cette question à Londres et à Berne avait suivi un cheminement similaire. Dans les deux cas une concession à l’égalité absolue s’est imposée pour permettre le passage de la loi. En Suisse (comme au Danemark qui a été le pionnier en 1989 de l’égalité pour les couples de même sexe) ça a été une disposition interdisant l’adoption d’enfant en couple, dont l’inexistence aurait probablement compromis l’approbation du Parlement ou le vote populaire positif de juin 2005. Ce problème ne se posait pas au Royaume-Uni, qui mystérieusement connaissait l’adoption par couple de même sexe avant même que ce dernier dispose d’un statut juridique. En revanche, en Grande-Bretagne les autorités civiles reconnaissent directement un mariage religieux célébré par la Church of England[2] (religion anglicane, dont le souverain est nominalement la tête depuis Henri VIII)… Pour préserver la paix des ménages, la loi a expressément exclu ce volet du partenariat pour se limiter au volet civil.
Dans les deux cas (adoption, cérémonie religieuse) on a indubitablement affaire à une discrimination résiduelle, qui touche encore une frange de la minorité dont la discrimination principale a été abolie.
En Suisse, le Conseil fédéral propose de faire un pas (mais pas la totalité du chemin) dans la bonne direction, pour répondre à des situations concrètes, en autorisant l’adoption par la ou le partenaire de l’enfant qui a un lien de filiation avec l’autre partenaire (cas le plus évident: l’enfant biologique d’une lesbienne dont le père est inconnu). En Grande-Bretagne, le gouvernement propose donc de moderniser le vocabulaire pour coller le label « marriage » aux deux types de couples – mais il souligne qu’il conserve l’interdiction légale d’un mariage religieux pour les couples de même sexe, et cela même si une confession décidait que sa théologie le reconnaît!
J’avoue que ces démarches me laissent sceptiques. A Londres, au-delà des bonnes intentions proclamées c’est manifestement de l’opportunisme politicien pur. A Berne, on veut bien faire mais on prend un risque en rouvrant si rapidement le dossier, sur ce volet spécifiquement, alors que manifestement la question ira en votation populaire. Personnellement je préférerais de loin que l’on se donne plus de temps. Et que ce ne soit pas pour répondre (ou prétendre répondre) à une préoccupation des milieux gays et lesbiens que l’on procède à de nouvelles réformes, mais simplement parce qu’elles iront de soi, en passant, dans des révisions législatives générales débordant largement ces sujets.
COMPLEMENT DU 22.03 à 11h45
Répondu à quelques commentaires sur Harry’s Place[3]. Et c’est fou comme après coup il est plus facile d’aller à l’essentiel! J’ai conclu par un petit résumé lapidaire de ma position sur le sujet (qui vaut pour la Suisse également):
1. I think for the time being it’s best to affirm diversity by keeping the distinction between two institutions equal in rights and dignity: marriage for opposite sex couples and civil partnership for same sex couples.
2. In due course I’m in favour of both marriage and civil partnership being folded into a generic “civil union” institution, and churches being free to conduct, or not, the ceremony according to their rules.
3. I won’t demonstrate and go on hunger strike againt the Government’s proposal, in fact I’m quite resigned it might become law during this Parliament. It’s still worth exposing their hypocrisy, though.
Notes
[1] L’exception la plus choquante étant la France dont le Pacs présente des caractéristiques sans commune mesure avec le mariage des hétéros.
[2] Sans avoir, comme c’est le cas en France ou à Genève, une cérémonie civile distincte obligatoire avant toute cérémonie religieuse.
[3] Qui sont effacés après une semaine, ce que je trouve un intéressant compromis entre l’espace de discussion stimulant offert par un blog, la prééminence légitime que les éditeurs attachent à leurs billets par rapport aux commentaires et, comment faut-il le dire, l’intérêt très relatif de certains de ces derniers, dont les auteurs (certes souvent anonymes) devraient parfois être reconnaissants que ce qu’ils ont jeté sur le clavier sans trop réfléchir ne reste pas accessible pour l’éternité.
Un mariage – deux labels : il fallait y penser !? Dans l’immédiat, je vais aussi devoir penser et songer avant de savoir… ce que j’en pense et ce que je rêve.