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News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

Du PACS au mariage gay: le zèle tardif des néos-convertis

Un peu d’histoire et des éléments de typologie pour mettre en perspective le débat français sur le statut des couples de même sexe, relancé par le parti socialiste.

Sept ans après la loi « relative au Pacte Civil de Solidarité » de 1999, mais aussi 17 ans après la révolutionnaire loi danoise qui a instauré, en 1989, un « partenariat » pour les couples de même sexe, le PS s’est prononcé en faveur de l’extension du mariage, aujourd’hui destiné aux couples formés d’un homme et d’une femme, aux couples de deux hommes ou de deux femmes. Et, sans même attendre les élections qui, espère-t-il, lui donneront l’an prochain le pouvoir, il dépose deux propositions de loi à  l’Assemblée nationale ouvrant à  la fois le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, afin de témoigner de son ardeur.

Si l’homosexualité (quelle que soit son nom et les caractéristiques qu’on lui a données ou qu’elle a prises à  différentes époques et sous différentes cultures) est aussi ancienne que l’hétérosexualité, la notion de « couple » de même sexe est très récente: elle est apparue, à  la fois à  la société et aux intéressés eux-mêmes, avec le sida. Face aux ravages de la maladie, aux drames auxquels étaient confrontés les proches, l’ignorance ou le non-dit tacite n’étaient plus possibles. Et l’on s’est aperçu qu’à  la faveur de la tolérance plus grande dont ils bénéficiaient, dans les sociétés occidentales au moins, dans le sillage de 68, les gays n’étaient guère moins sensibles que les hétéros à  la sagesse biblique: « Il n’est pas bon que l’homme (ou la femme) soit seul ». La mort d’un des partenaires à  la fleur de l’âge rendait cela incontournable.

En Europe, c’est en Scandinavie que les moeurs sont les plus libres et que le mouvement gay est à  la fois le plus organisé et le plus pragmatique. Il n’est donc pas étonnant que ce soit au Danemak qu’un gouvernement social-démocrate se laisse convaincre de cette idée nouvelle: il n’est pas normal que les hétéros puissent obtenir, par le mariage, un statut pour leur couple qui témoigne de la considération de la société et de la protection de l’Etat, par exemple en matière d’assurances sociales et de succession, et pas les homos. Et les Danois ont inventé de toute pièce le « partenariat », un état civil analogue au mariage, déployant les mêmes effets que celui-ci, mais pour les couples de même sexe.

L’idée était tellement bonne, simple et évidente qu’elle s’est répandue sans problème dans pratiquement toute l’Europe, et au-delà , depuis le début des années 90. Au Royaume-Uni, le « Civil Partneship » est entré en vigueur le 21 décembre 2005. Même la Suisse, si conservatrice et si lente, a adopté le 5 juin 2005 par référendum, avec 58% des suffrages, une loi sur le « partenariat enregistré » pour les couples de même sexe qui entre en vigueur le 1er janvier 2007.

Et le village gaulois? Dès mai 1990 le socialiste Jean-Luc Mélenchon dépose une proposition de loi incluant, pêle-mêle, sous le nom de « partenariat civil », les couples de même sexe, les hétéros en concubinage et même les fratries. Elle n’est même pas discutée. Toute une série de projets et de rapports sont présentés durant la décennie pour aboutir à  cette « exception française »: le PACS, adopté non sans réticence sous le gouvernement du socialiste Lionel Jospin. Un simple contrat de droit privé (pas un statut d’état civil). Qui évite de mentionner les couples de même sexe, puisqu’il est ouvert à  toute paire de personnes (y compris, voire surtout, les couples hétéros réticents au mariage mais qui souhaitent un peu plus de sécurité juridique que dans le concubinage); pour cette raison justement, le PACS confère des droits très inférieurs au mariage (par exemple en cas de couple binational), ce qui ne répond pas aux besoins de ceux qui n’ont aucun autre choix que l’union de fait: les couples homos. En bref, une solution croupion: mieux que rien, mais qui ignore et perpétue la discrimination dont sont victimes les gays et les lesbiennes.

Depuis lors, le débat continue et se diversifie dans ses formes comme dans son contenu:

  • Dans l’Etat américain du Vermont (car le droit civil n’est pas de la compétence fédérale aux Etats-Unis), c’est un tribunal constitutionnel, saisi par un couple que l’on refuse de marier, qui enjoint au Parlement de l’Etat de mettre fin à  la discrimination qu’il constate. Le Vermont est alors le premier Etat américain à  adopter le partenariat, en avril 2000.
  • Les Pays-Bas sont les premiers, en 2001, à  proposer un pas symbolique supplémentaire: c’est désormais le mariage lui-même qui est ouvert aux couples de même sexe par la voie parlementaire.
  • Dans deux Etats canadiens et au Massachusetts, en 2003, les juges vont plus loin que leurs homologues du Vermont: ils ne laissent pas de choix au Parlement, c’est par ukase jurisprudentiel que la définition immémoriale du mariage est dématrimonialisée.

En résumé, dans toutes les démocraties, que ce soit par la voie parlementaire ou par la voie judiciaire, la discrimination à  l’égard des couples de même sexe est en train de disparaître. La manière dont le débat est conduit et la solution adoptée ne sont toutefois pas indifférentes et reflètent le climat socio-politique. Le partenariat ne cherche pas à  tout prix l’affrontement avec les autorités ecclésiastiques, qui le combattent néanmoins le plus souvent. L’ouverture du mariage aux gays et lesbiennes a facilement quelque chose de revanchard à  l’égard du poids religieux passé dans la morale ou la société: c’est en tout cas mon hypothèse pour expliquer son adoption aux Pays-Bas, en Belgique et en Espagne. En Amérique, la revendication politique a choisi comme terrain de prédilection le prétoire, plus propice aux constructions abstraites et à  l’égalité géométrique: c’est une loterie où l’on peut gagner gros, mais le danger est alors de susciter l’incompréhension et la révolte. On le voit aux Etats-Unis où les homophobes se donnent l’allure d’une défense du mariage hétéro dans les Etats, voire cherchent à  couper court par un amendement à  la Constitution de l’Union. En Suisse, au contraire, la certitude qu’il y aurait à  en découdre devant le peuple lui-même, par référendum, a conduit à  une revendication pragmatique et consensuelle dont l’accueil confirme, s’il en était besoin, l’ampleur de la transformation socio-culturelle intervenue ces 30 dernières années en Occident.

Et l’adoption? En réalité, la question est distincte: le Danemark l’avait exclue en 89, pour l’accorder par la suite. Le Royaume-Uni connaissait l’adoption par des couples de même sexe avant même l’introduction du partenariat civil. Quand la Belgique adopte le mariage pour tous, en 2003, elle exclut néanmoins l’adoption pour les couples de même sexe. A plus long terme, on peut parier que là  aussi elle finira par s’imposer partout. Pas comme un droit (l’adoption n’est pas un « droit », ni pour une personne seule ni pour un couple), mais simplement si et parce que c’est l’intérêt de l’enfant.

Avec ses propositions de loi, le PS cherche à  se faire pardonner son PACS timoré. Le génie du « mariage gay » étant sorti de la lampe, qui voudrait avoir l’air de s’en tenir à  un vrai partenariat civil spécifique aux couples de même sexe, qui aurait pourtant le même effet? Ségolène Royal combine rigueur et réalisme en rappelant qu’il s’agit surtout de mettre fin à  une discrimination, et en se ralliant à  la dématrimonialisation du mariage qui est un moyen d’y répondre… Tant qu’à  agacer les milieux religieux, elle pourrait simultanément faire plaisir aux fondamentalistes de la laïcité: laisser le mot « mariage » aux Eglises et adopter « union civile » pour l’institution juridique. La France a bien déjà  remplacé l’inculpation par la mise en examen…

COMPLEMENT DE 20H32: Rectifié ci-dessus le contenu de la proposition de Mélenchon en 90: sur la foi d’un mémoire de DEA, j’avais eu la fausse joie de croire qu’il avait été d’avant-garde en s’inspirant du Danemark. Il se confirme qu’il est au contraire l’inspirateur de la confusion française sur le sujet.

ACTUALISE A 23h10: Rendu son antériorité aux Pays-Bas (2001, avant la Belgique en 2003) dans l’introduction du mariage neutre.

COMPLEMENT DU 26.06 à  23h55: Je prends connaissance avec retard d’une double page pas inintéressante (1, 2, 3) sur l’hoparentalité dans Le Monde daté de samedi 24. Mais qui trop embrasse mal étreint: l’infographie sur « La législation en Europe », si je veux bien croire qu’elle est exacte sur l’adoption par un couple d’homosexuels (Islande, Suède, Danemark, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Espagne), débloque complètement sur le statut des couples de même sexe. C’est bien simple, je ne sais par où commencer pour rectifier! Il y a d’abord certains pays dont le nom est écrit en noir, d’autre en blanc, sans que la couleur de fond justifie cette distinction, ni rien dans la légende, ni un critère apparent tel que l’appartenance ou non à  l’UE; il y a ensuite ce regroupement arbitraire entre les 3 pays du mariage neutre (Pays-Bas, Belgique, Espagne) et l’Islande, la Suède et le Royaume-Uni (la légende « pays qui autorisent le mariage ou une union ouvrant les mêmes droits que le mariage » ne permet pas de distinguer ces trois pays du Danemark ou de la Suisse — en fait de tous ceux qui ont un statut sauf la France!); l’autre regroupement arbitraire met le Danemark ou la Suisse avec la France dans les « pays qui ont créé un partenariat de type Pacs », ce qui est tout aussi inexact. Si l’on veut vraiment essayer de prétendre que la France n’est pas seule de son espèce, il faut créer une catégorie: « Pays qui connaissent un statut de type Pacs pour des concubins hétéros ou homos », et outre la France il y en a quelques autres; mais tous les autres ont, eux, en plus soit un partenariat équivalent au mariage, soit le mariage qui est ouvert aux couples de même sexe.

COMPLEMENT DU 08.07 à  11h50: Le Temps de ce jour rencense « Légaliser les unions homosexuelles en Europe: innovations et paradoxes », par Patrick Festy, revue Population & Sociétés, INED, Paris, juin 2006, un article lui-même fondé sur le travail d’un chercheur néerlandais, Kees Waaldijk.