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Gouverner au risque de la démocratie directe

Brexit et régime politique

Bien sûr, ce n’est pas la fin du monde. Mais c’est quand même une très mauvaise nouvelle pour la paix, pour l’Europe et pour le Royaume-Uni (les autres articles de cette série de quatre à ls suite du référendum britannique du 23 juin 2016).

En guise de mise en jambe, une réflexion sur la place du référendum dans le système politique.

J’escomptais le résultat inverse. Mais à 51,9%, après quatre mois d’une campagne intense, le résultat est net et sans bavure. D’autant que la participation est élevée (72%) et la cohérence régionale indéniable: seules Londres, l’Ecosse et l’Irlande du Nord ont donné une majorité au Remain, le Pays de Galles, toutes les régions d’Angleterre (à part Londres), et celle-ci dans son ensemble, ont majoritairement voté Leave.

Cameron avait d’abord annoncé qu’il resterait premier ministre et conduirait lui-même la procédure de retrait de l’UE si tel était le choix du peuple. Mais en annonçant avec beaucoup de dignité sa démission, il est immédiatement revenu à une lecture plus conforme à la nature représentative du système politique britannique, dans lequel le référendum est encore plus une exception à la discrétion des autorités qu’en France: c’est le troisième au niveau national1, mais le premier perdu par le chef de l’exécutif.

Bien sûr, en Suisse une telle démission serait impensable, mais cela s’explique parfaitement. Car l’introduction, à la fin du 19e siècle, de la démocratie directe2 a complètement transformé la culture politique et le fonctionnement des institutions et ceci en deux étapes:

  • Le gouvernement, sachant qu’il n’avait plus la maîtrise de l’agenda politique sur la base d’une majorité parlementaire3, a dû élargir son assise pour tenter de minimiser le risque de conflit entre représentants élus (Parlement et gouvernement) et représentés (le peuple et les cantons), se résignant par ailleurs à administrer le pays plus qu’à le conduire.
  • Le système a été parachevé en 1918 avec le passage à l’élection proportionnelle du Conseil national.

Gouvernement collégial associant le plus grand nombre de partis possible, Parlement stable et éclaté, démocratie directe: telles sont les trois caractéristiques de la démocratie de concordance qui est l’anti démocratie représentative d’alternance dont le Royaume-Uni est l’incarnation la plus pure.

C’est pourquoi même Jean-Pascal Delamuraz et René Felber n’ont pas démissionné après l’échec en 1992 du vote sur la participation à l’Espace économique européen4. Ni bien sûr personne après le vote du 9 février 2014 « Contre l’immigration de masse » (et la liberté de circulation avec l’UE) qui, en moins franc5, est très similaire au vote britannique d’hier en remettant en cause le fondement des rapports entre la Suisse et l’UE.

Curieusement, un reproche à Cameron qui revient souvent dans la bouche des Britanniques partisans du maintien dans l’UE n’est pas tant d’avoir perdu la campagne que d’avoir pris le risque du référendum. Je l’avais déjà entendu au moment du référendum écossais de 2014 que le gouvernement national avait dûment autorisé.

Dans les deux cas, pourtant, la légitimité de la procédure me paraît indiscutable: droit d’autodétermination pour les Ecossais d’une part, élément central du programme sur la base duquel le parti conservateur a su occulter ses divisions pour d’abord gouverner en coalition avec les LibDems (2010), puis gagner une majorité absolue à la Chambre des Communes (2015). Au Royaume-Uni, le Manifesto présenté par chaque parti ne se compose pas de vagues « promesses qui n’engagent que ceux qui les croient » (Jacques Chirac) mais a une valeur institutionnelle: la Chambre des lords peut par exemple bloquer un projet voté par la Chambre élue – mais pas s’il était inscrit au Manifesto.

Autant dire que je ne vois pas la démarche référendaire se banaliser en Grande-Bretagne!

  1. Après le référendum européen de 1975, dont celui d’hier est une répétition, mais qu’Harold Wilson avait gagné, et celui de 2011 perdu par les partisans d’un scrutin proportionnel pour l’élection du Parlement, organisé pour prix de la participation des LibDems à la coalition gouvernementale 2010-2015. []
  2. D’abord le droit de provoquer un référendum suspensif sur une loi adoptée par le Parlement, puis le droit de provoquer un scrutin sur une proposition de modification de la Constitution (initiative populaire). []
  3. Dont il était déjà indépendant depuis la création de l’Etat fédéral en 1848, par inspiration directe du système de check and balance la Constitution américaine. []
  4. L’exception qui confirme la règle, mais relève plus du caractère personnel que de la politique, est la démission du conseiller fédéral Max Weber en 1953 après l’échec d’une votation fiscale, qui n’a que brièvement entraîné l’absence du PS à l’exécutif. []
  5. Mais c’est aussi le système politique suisse qui veut ça, puisqu’il fallait proposer une disposition précise à introduire dans la Constitution, et pas une question-programme lapidaire – voir, pour un contre-exemple, l’initiative sur le revenu de base inconditionnel: électrices et électeurs aussi ont intégré les subtilités de la démocratie directe, ils ne croient pas à l’argent gratuit et l’ont rejetée à 78%. []