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Maintenant, prendre au sérieux l’Etat de Palestine en devenir

Rêvons un peu, après le vote de l’Assemblée générale de l’ONU

carte WikipédiaAprès l’échec, l’an dernier, de la tentative d’obtenir à  l’arraché le statut d’Etat reconnu par la communauté internationale[1], Abbas a donc marqué un coup diplomatique en faisant accéder la délégation palestinienne à  l’ONU au statut d’Etat observateur.

Je suis de ceux qui pensent qu’un tel geste (la Suisse a voté pour[2]) était une erreur – mais je ne demande qu’à  avoir tort si, comme ceux de ses nombreux partisans qui ne veulent pas l’élimination d’Israël le proclament, il ne conforte pas les représentants des Palestiniens dans le déni de réalité mais leur permet d’avancer enfin vers un accord de paix avec Israël. Essayons donc de voir le verre à  moitié plein!

Il faut rappeler que s’il n’y a pas actuellement de négociations directes entre les deux parties principales[3] – le Gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne – c’est parce que cette dernière pose une condition préalable qu’Israël refuse: l’arrêt de toute construction destinée à  des ressortissants israéliens en Cisjordanie. Que cette condition soit levée (et la question renvoyée au contenu de la négociation, sous l’angle de la fixation précise de la frontière entre les deux Etats et d’éventuels déplacement de population comme, même si on n’en parle jamais, du droit – et des obligations que cela entraînerait pour eux – de ressortissants de l’un des deux Etats de résider sur le territoire de l’autre) et plus rien ne s’oppose à  ce que les négociations s’ouvrent… Fort de son avantage psychologique, Abbas peut et doit maintenant faire ce pas.

Je vois un autre pas important à  franchir. Puisque la Palestine (même divisée, même sans que l’Autorité palestinienne présente vraiment encore les caractéristiques d’un gouvernement réel ne serait-ce que dans la partie de Cisjordanie qu’elle est censée administrer) est indéniablement un Etat en devenir, il faut mettre fin sans délai à  l’épouvantable scandale des réfugiés palestiniens: leur maintien dans un statut précaire indigne, de génération en génération depuis que 700’000 d’entre eux ont fui, en 1948, le conflit provoqué par la tentative des Etats voisins coalisés d’anéantir le nouvel Etat d’Israël qui venait de proclamer son indépendance[4].

Après l’armistice qui a suivi en 1949, la Jordanie et l’Egypte se sont partagés le territoire de ce qui aurait dû devenir l’Etat de Palestine (la Cisjordanie / West Bank, y compris alors Jérusalem-Est, et la bande de Gaza) mais ni eux, ni les autres Etats voisins (Liban, Syrie, Irak) qui ont accueilli des réfugiés ne les ont intégrés, en s’appuyant sur un effort de solidarité de la communauté internationale qui a été complètement dévoyé de son objectif via une agence spécialisée de l’ONU, l’UNRWA[5]: le gagne-pain de ses collaborateurs repose sur le fait que les Palestiniens dont ils ont la charge demeurent des réfugiés à  perpétuité – à  moins éventuellement qu’Israël finisse par disparaître et que son territoire leur soit attribué…

Prendre au sérieux un Etat de Palestine c’est, en particulier pour la Suisse et l’Union européenne, réorienter l’UNRWA vers le démantèlement de tous les « camps de réfugiés » par le choix donné entre l’intégration dans le pays d’accueil (avec acquisition de la citoyenneté) ou l’installation sur territoire palestinien, avec l’appui financier que cela implique. Ce serait un renforcement considérable de la crédibilité de l’Autorité palestinienne tant auprès de la population qu’elle prétend représenter que vis-à -vis d’Israël (et cela n’empêche nullement d’inscrire au programme des négociations de paix une éventuelle contribution financière d’Israël voire des dispositions sur la liberté de déplacement d’anciens réfugiés sur le territoire israélien, comme il faudra aborder la possibilité pour les Israéliens de se rendre sur le territoire de l’Etat de Palestine – les « lieux de mémoire » des deux peuples comme des trois religions monothéistes ne sont pas réductibles à  la géographie des Etats de la région).

Un autre pas concret que j’aimerais voir évoqué, c’est la question de la contiguïté territoriale. Non seulement en Cisjordanie même (je ne sais pas pour vous, mais pour moi il paraît peu raisonnable de vouloir imaginer des enclaves de l’un des deux Etats à  l’intérieur du territoire de l’autre: un tracé continu devra donc prendre la place des « taches de léopard » actuelles issues des négociations d’Oslo) mais, me semble-t-il, aussi pour relier la Cisjordanie à  la bande de Gaza.

Car on n’est pas ici dans la situation de l’Alaska par rapport au reste des Etats-Unis, ou du Pakistan quand il y avait toute l’Inde entre son territoire oriental (qui a depuis acquis son indépendance sous le nom de Bangladesh) et le Pakistan occidental: une route douanière traversant en continu l’Etat d’Israël pour relier Hebron à  Gaza-ville (avec les quelques tunnels ou viaducs que cela impliquerait pour la continuité du réseau routier israélien)[6], voilà  un projet concret que la communauté internationale peut porter. Il renforcerait lui aussi la crédibilité des Palestiniens – tout en étant un modeste signal qu’ils acceptent qu’Israël est un Etat voisin, étranger, qui existe pour l’éternité – non un simple obstacle temporaire résultant d’une « occupation » juive illégitime en attendant une Palestine « de la Méditerranée au Jourdain »…

On peut rêver. Mais mes rêves sont plutôt précis et concrets, non?

Notes

[1] Cette décision n’est pas du ressort de l’Assemblée générale de l’ONU mais du seul Conseil de sécurité, et celui-ci a constaté (à  la majorité, sans même usage du droit de veto des membres permanents) que les conditions pratiques et politiques d’une telle reconnaissance n’étaient pas réunies.

[2] Curieusement, les partisans ont évoqué une sorte d’exceptionnalisme suisse qui s’est manifesté dans la reconnaissance précoce de la Chine populaire et du Kosovo là  où, au contraire, il s’agissait de s’aligner, de faire comme tout le monde… L’exceptionnalisme suisse, traditionnellement à  cheval sur le droit et non sur la force car c’est la seule chance des petits Etats, aurait été de réaffirmer contre la majorité le refus du coup de force, l’avènement de l’Etat de Palestine devant impérativement être subordonné à  la fin de l’état de guerre avec Israël.

[3] J’imagine que le traité de paix lui-même devra également lier les Etats arabes et apporter des garanties politiques et militaires pour assurer à  perpétuité l’intégrité des deux Etats, qui incomberont en particulier aux Etats-Unis, à  l’UE et à  la Russie.

[4] Il intégrera par la suite, sans contribution onusienne, quelque 900’000 Juifs fuyant les pays arabes où ils vivaient précédemment.

[5] Elle est unique en son genre, dans aucun autre conflit suivant cette erreur a-t-elle été répétée.

[6] Au passage, une telle route donne du grain à  moudre pour les échanges de territoire à  prévoir dans le tracé de la frontière orientale dans l’hypothèse idéale (qui est je crois celle de l’Initiative de Genève) de s’en tenir à  une surface finale de l’Etat d’Israël identique à  celle qu’il avait dans ses frontières reconnues entre 1949 et 1967.

4 commentaires

  1. 2 décembre 2012

    J’ai longtemps pensé que la seule manière d’aider les deux parties à  aller vers la paix était de refuser de prendre partie pour l’un ou l’autre camp

    Au moment des accords de Camp David, le refus du camp Palestinien de renoncer à  un « droit au retour » était une manière déguisée de ne pas reconnaître l’à‰tat d’Israël

    Je ne peux que constater aujourd’hui que la continuation de la politique de colonisation est une manière pour Israël de refuser toutes chances à  la paix, et je trouve légitime que la Palestine en fasse un préalable, alors qu’il ne serait pas légitime de faire de la décolonisation un préalable.

  2. 3 décembre 2012

    Les palestiniens- et en tous les cas Mahmoud Abbas-ont compris que le leitmotiv israélien d’une négociation nécessaire et préalable à  la constitution d’un Etat est un manœuvre dilatoire. On ne peut pas à  demeure utiliser cet argument-qui donne au dehors le sentiment d’une attitude raisonnable-en laissant l’autre pieds et poings liés.

  3. Mireille
    3 décembre 2012

    Oui, on peut rêver. Mais tout ce que tu proposes implique d’avoir en face de soi des gens sincères et pas des hypocrites. N’est-il pas par exemple nécessaire d’entendre le Hamas dire qu’il accepte un Etat d’Israël et que ces négociations ne sont pas qu’une étape vers sa destruction? Et négocier avec des groupements, dont l’AP, qui veulent un Etat islamiste… Bref, rien n’est simple alors que le manichéisme en défaveur d’Israël règne en maître. Il est en tout cas important de rappeler que ce n’est pas Israël qui a mis les Palestiniens dans des camps et les y a laissés…

  4. 3 décembre 2012

    @Verel: Je suis bien d’accord que les implantations dans les Territoires occupés sont une erreur et une faute, et de nombreux Israéliens eux-mêmes le disent avec force. Mais cela n’a rien d’irréversible, comme l’on montré l’évacuation du Sinaï après le traité avec l’Egypte ou l’évacuation unilatérale de la bande de Gaza (et par la force des Israéliens qui s’y étaient installés).

    Ton évolution vers l’impatience à  l’égard d’Israël est hélas très représentative des opinions dans nos pays. Elle se focalise à  mon avis trop sur une analyse à  courte vue de la situation qui voit Israël comme le puissant méchant, occupant de surcroît, et les Palestiniens comme faibles et défaits. Elle oublie le contexte général: Israël, Etat existant en vertu du droit des peuples à  disposer d’eux-mêmes et reconnu internationalement, qui a toujours souhaité pouvoir vivre en paix, n’a connu depuis 1948 que l’hostilité de ses voisins qui, à  la proclamation de son indépendance puis à  nouveau en 1967 (où Israël a mené une guerre préventive alors que les troupes arabes se massaient à  ses frontières), ont tenté de l’envahir pour l’anéantir. Il n’y a pas de paix possible sans attaquer ce problème à  la racine (plus solidement que ne l’ont fait les traités de paix intervenus ultérieurement avec des régimes sans légitimité démocratique en Egypte et en Jordanie), en particulier mais pas seulement avec les Palestiniens. Quoi qu’il en soit, poser un préalable à  une négociation ne fait rien avancer.

    @Suzanne: Il ne faut pas inverser les responsabilités. Ce n’est pas la faute d’Israël si les Arabes ont refusé la partition en 48, rien envisagé d’autre en 1967 que de tenter à  nouveau de jeter les Juifs à  la mer, manifesté une solidarité de façade avec les Palestiniens tout en les maintenant enfermés dans des camps, si les Palestiniens de Gaza ont voté pour le Hamas et si le Fatah et l’Autorité palestinienne sont largement corrompues.

    @Mireille: les pas que je suggère n’impliquent pas Israël mais bien les Palestiniens (négocier sans préalable) et la communauté internationale (régulariser les réfugiés et dissoudre l’UNRWA); quant à  la route douanière reliant Gaza à  la Cisjordanie, elle ne pourra manifestement se concrétiser que dans le cadre d’une paix à  trouver, mais dessiner le plus précisément possible cette perspective me paraît de nature à  mettre l’accent sur l’amélioration pragmatique de la vie quotidienne, et ramener la discussion sur le type de paix à  rechercher, ce qui peut faire évoluer les esprits…

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