En marge du débat sur le renvoi des étrangers délinquants: pour un discours de gauche sur la sécurité
Cela fait bien longtemps que je n’ai plus participé à un Congrès du parti socialiste suisse. Il se réunit ce week-end à Lausanne pour un débat rituel (c’est tous les vingt ans) sur son orientation programmatique et pour déterminer le mot d’ordre du parti fédéral (en réalité, ce sont les partis cantonaux qui décident) sur l’initiative de l’UDC pour le renvoi des étrangers délinquants et sur le contre-projet. J’y aurais volontiers tenu le petit discours suivant.
La politique policière et pénale est un domaine essentiel de l’action publique, qui s’exerce au travers des trois pouvoirs: législatif, exécutif et judiciaire. Elle a pour objet de prévenir, d’empêcher la commission d’actes anti-sociaux et, à défaut, de punir les auteurs d’infractions, qu’ils soient Suisses, étrangers résidents ou étrangers de passage ou résidant en territoire frontalier. C’est un domaine que la gauche aurait tort de laisser à la droite. S’il n’y a pas de sécurité sans liberté, la sécurité contribue à la liberté individuelle, à la confiance en la société et à l’amélioration des conditions de vie. Si l’Etat ne joue pas son rôle, ce sont les milieux défavorisés qui ont le plus à souffrir et le moins de possibilités de se protéger de la délinquance et des comportements anti-sociaux.
La prévention vaut à la fois en amont, avant toute infraction (une absence de victime est toujours préférable à l’arrestation d’un délinquant, même si cela se voit moins, se prête moins à la comptabilisation et n’est pas compris de ceux qui s’indignent des contrôles d’identité et autres caméras de surveillance), et en aval, pour éviter toute récidive. Même la punition englobe un objectif de prévention plus large, au-delà de la peine elle-même, pour éviter que l’auteur ne commette d’autres crimes ou délits, à la fois par l’effet direct de la condamnation et par les mesures qu’elle permet de mettre en place pour le suivi des personnes condamnées.
Et la gauche ne doit pas confondre compréhension des situations sociales, culturelles, économiques ou autres qui favorisent la criminalité, la délinquance et les comportements anti-sociaux, et excuses cherchées aux auteurs d’infraction: il s’agit bien plutôt d’utiliser cette compréhension pour prévenir les actes tout en remédiant aux situations problématiques (pas seulement prévenir les actes, comme le pense une certaine droite, pas seulement remédier aux solutions problématiques, comme le pense une incertaine gauche).
La nationalité, dans ce débat, définit essentiellement un rapport à un territoire: soit on vit dans le pays dont on est ressortissant, dans les bons comme dans les mauvais jours, soit on est l’hôte d’un pays étranger, ce qui est subordonné à la condition évidente qu’on en respecte les lois et les usages. Si ce n’est pas le cas, eh bien on n’y est plus le bienvenu, que l’on soit un Suisse pédophile en Thaïlande ou un Kosovar violent en Suisse. Ici deux éléments doivent entrer en ligne de compte: non seulement la nature et la gravité de l’infraction, mais aussi la durée, le statut du séjour du ressortissant étranger.
Schématiquement, je dirais que même des comportements anti-sociaux moins graves mais significatifs doivent permettre l’expulsion et l’interdiction d’entrée d’étrangers non résidents ou au au bénéfice d’une autorisation de séjour depuis peu[1]. En revanche, seules des infractions graves peuvent justifier l’expulsion d’un étranger établi de longue date (au bénéfice d’un permis C). Et aucun crime, aussi abominable soit-il, ne devrait entraîner l’expulsion d’un étranger né en Suisse, où il aurait toujours vécu, de mère ou père ayant grandi en Suisse.
Ni l’initiative, ni le contre-projet ne sont satisfaisants à cet égard (même si je voterai oui au contre-projet pour tenter de dénier une victoire aux initiants). L’UDC mélange deux chevaux de bataille: la loi et l’ordre (la lutte contre l’insécurité) et l’hostilité à l’égard des étrangers. Et elle les confond allègrement pour que la première vienne fonder la seconde, mais au détriment de l’efficacité.
La gauche peut et doit présenter une alternative politique conjuguant son attachement à l’ouverture internationale, source d’enrichissement réciproque, avec une politique de sécurité plus efficace que celle de l’UDC parce qu’elle se confronterait aux réalités pratiques et non aux oeillères xénophobes. Par exemple, une question qui n’a jamais été sérieusement empoignée et qui ne peut trouver qu’une solution internationale est celle du renvoi d’étrangers (auteurs d’infractions ou auteurs de requêtes d’asile irrecevables ou infondées) qui s’avère impraticable en raison du refus du pays d’origine ou du danger que l’intéressé y courrait. Je verrais bien Simonetta Sommaruga prendre l’initiative soit d’une convention bilatérale avec un pays comme la Suède pour échanger la prise en charge de nos “expulsés” ressortissants de pays tiers, soit même d’une convention multilatérale ayant le même but: faire en sorte qu’un étranger soit bel et bien expulsé du pays dans lequel il s’est rendu indésirable, pour qu’à la fin force reste à la loi. Mais c’était bien trop pragmatique pour intéresser Blocher lorsqu’il était chef du DFJP.
En matière de sécurité (et c’est la même chose lorsqu’elle parle de politique sociale ou d’éducation), l’UDC ne propose qu’un exutoire illusoire: l’étranger comme bouc-émissaire. Or ce sont tous les comportements anti-sociaux, de Suisses comme d’étrangers, qu’il faut prévenir et réprimer en fonction de leur nuisance et de leur gravité. Pour le bénéfice de tous ceux, Suisses ou étrangers résidents, respectueux des lois et des usages, qui en sont pratiquement ou potentiellement les victimes.
COMPLEMENT DU MERCREDI 3.11 à 20h: J’avais commencé un billet sur les résultats déprimants du Congrès du PS, et puis j’ai laissé tomber. Mais je me retrouve assez bien dans le commentaire d’un militant blanchi sous le harnais, Rudolf H. Strahm, et dans cet article du chroniqueur de politique fédérale de Largeur.com à la plume toujours féroce, Nicolas Martin.
Notes
[1] Du moins pour les ressortissants non UE: car de même qu’un Suisse ne peut plus être renvoyé dans son canton d’origine depuis la fin du 19e siècle, l’UE (dont la Suisse est un membre passif grâce aux accords bilatéraux: les avantages, les inconvénients, mais aucun droit de participer aux décisions) tend à devenir une grande Confédération pour le bénéfice des Suisses qui y vivent comme des Européens en Suisse.
la question est: c’est quoi un comportement antisocial