Après les élections britanniques: pire que la 4e République!
Mon scénario de dimanche était bien trop raisonnable… Pour toutes leurs protestations de ne rechercher que « l’intérêt national » et le respect du suffrage populaire (qui a clairement désavoué les travaillistes au pouvoir et placé les conservateurs en tête), les libéraux-démocrates de Nick Clegg n’ont qu’une obsession: profiter de la situation qui leur donne un rôle charnière pour tenter d’imposer une représentation proportionnelle que les deux grands partis rejettent. En deux jours Clegg est passé de Monsieur Propre à Machiavel, de rencontre secrète dans le dos des conservateurs en ouverture officielle d’une négociation parallèle avec le Labour: et que montent les enchères… L’intérêt des lib-dems se conjugue par ailleurs à cet archaïsme fascinant de la vie politico-sociale britannique: un affrontement de classe toujours vivace qui explique une véritable haine portée aux conservateurs[1].
Pour l’occasion Brown se fait enfin hara-kiri… en vue de rester trois mois de plus premier ministre dans le cadre d’une coalition hétéroclite exclusivement vouée à dénier le pouvoir aux Tories. On voudrait dégoûter les Britanniques de la proportionnelle et des tractations entre partis qu’on ne s’y prendrait pas autrement, comme le dénoncent les travaillistes qui s’expriment publiquement contre cette façon indigne de s’accrocher au pouvoir (avec l’argument très pratique que les deux partis ne manqueront pas d’être sanctionnés dans les urnes le moment venu).
Outre le mode de scrutin de la Chambre des Communes[2], ce qui est en jeu c’est aussi la structure territoriale du Royaume-Uni: la coalition anti-Tories a fâcheusement pour effet d’exclure le parti majoritaire en Angleterre du gouvernement, alors même que ce dernier est seul compétent pour les affaires intérieures[3] anglaises (contrairement aux affaires intérieures écossaises, nord-irlandaises et, dans une moindre mesure, galloises, gérées par des parlements et gouvernements distincts). On devra bien un jour revenir à la solution que le New Labour n’est pas parvenu à « vendre »: la mise en place d’institutions régionales en Angleterre permettant de parachever la devolution du pouvoir de Westminster et Whitehall.
Attendons la suite: le pire n’est pas toujours sûr (et au moins la vraie nature des lib-dems est-elle apparue).
COMPLEMENT DU MERCREDI 12 à 23h55: La négociation secrète engagée entre travaillistes et libéraux-démocrates pendant le week-end dans le dos des conservateurs, officialisée par Nick Clegg et Gordon Brown le lundi, a tourné court dès le mardi matin. Il est rapidement apparu que, s’ils étaient prêts à surenchérir dans les concessions pour rester au pouvoir, les travaillistes n’offraient qu’un engagement contingent, sans commune mesure avec le programme commun de gouvernement sur 5 ans avec les conservateurs (dont une version encore plus détaillée sera rendue publique d’ici quelques jours). Outre que le compte n’y était pas pour assurer une majorité solide à la Chambre des Communes, le soutien du groupe travailliste lui-même était peu probable: nombre de MPs se sont exprimés contre en soulignant qu’ils n’avaient à aucun moment été consultés sur un dernier « coup » préparé dans les officines de Downing Street par Peter Mandelson et Alastair Campbell, tous deux non élus… Chacun des deux partis rejette sur l’autre la responsabilité de l’échec. Avec le recul, je suis un peu moins sévère avec Nick Clegg: il s’est engagé dans cette opération sous la pression de son parti, pas enthousiasmé par la perspective d’une alliance avec les Tories, et cela lui a permis à la fois de convaincre ses troupes que cette voie était sans issue et d’obtenir des concessions supplémentaires de Cameron. Bien joué donc. Le double act de Cameron premier ministre et Clegg vice-premier ministre, si inusuel pour les Britanniques, rappelle évidemment l’alliance SPD-FDP forgée entre Willy Brandt et Walter Scheel dans les années 60, ou plus récemment SPD-Verts entre Gerhard Schröder et Joschka Fischer[4].
Notes
[1] Les travaillistes sont devenus un parti pour tous, y compris la classe moyenne supérieure et les riches, mais les Tories, eux, ne sont toujours pas parvenus à dépasser les préjugés qui les stigmatisent comme parti des riches et d’une élite héréditaire, d’une manière inconnue en Allemagne pour la CDU, en France pour l’UMP ou en Suisse pour le PLR.
[2] Mais on ferait mieux d’inclure pleinement la réforme de la Chambre des Lords dans cette réflexion, en imaginant plutôt une seconde chambre aux pouvoirs réduits élue, elle, à la proportionnelle.
[3] Qui constituent l’essentiel de l’Etat moderne: éducation, santé, politique sociale, promotion économique, aménagement, transports…
[4] Toutes deux impliquaient des compromis bien plus emblématiques que l’actuelle coalition CDU-FDP d’Angela Merkel et Guido Westerwelle.
ce ne sont que connivences et dessous de table. L’un ou l’autre parti quelle réelle différence ?