Ni à gauche, ni à droite, et encore moins au centre
Parmi mes amis, un jeune qui n’a pas 30 ans et que je qualifierais de politiquement pur, déplorait (avec un large sourire) que je fusse à droite. C’est en effet une posture que je revendique quand il s’agit, en avocat du diable, de contribuer à rendre les conversations moins convenues et d’extraire mes interlocuteurs, quand ils sont de gauche, de la pensée unique.(Cela ne s’applique d’ailleurs pas tout à fait à ce jeune homme qui se situe à la gauche des socio-démocrates, c’est-à -dire à « la gauche de la gauche » comme on dit chez nous). Or, comme je cherchais une fois de plus à définir dans quelle mesure j’étais de droite, c’est la réponse suivante qui m’est venue à l’esprit (et qui m’a permis de clarifier pour mon propre bénéfice certaines notions):
‘La gauche n’existe que parce qu’il y a eu une droite à qui s’opposer. La gauche, c’est l’opposition à un état des choses, au pouvoir en place, aux nantis, à l’idéologie aux idées dominante par laquelle les puissants justifient le statut quo, etc. De ce fait, c’est au moment où il y a une opposition, que ceux qui combattent cette opposition[1] deviennent des conservateurs, c’est-à -dire une vraie droite-de-chez-droite.[2]
Les libéraux ont en commun avec la gauche de ne pas aimer les conservateurs, l’immobilisme et l’injustice des privilèges, le racisme, le corporatisme[3], la censure etc. Toutefois, leur conception de la liberté comme condition de possibilité de toute vie politique, économique, philosophique, morale, spirituelle (et j’en passe)[4] les met en contradiction tant avec la droite qu’avec la gauche sans qu’on puisse parler de centrisme. Théoriquement, les libéraux, souvent minoritaires, seront susceptibles de s’allier tantôt avec le centre-gauche tantôt avec le centre-droite.[5]
A noter que bien des pays ne connaissent pas la notion même de libéralisme, et qui doivent choisir entre le totalitarisme égalitariste révolutionnaire et le conservatisme[6] des nantis et autres privilégiés — sans compter les structures mafieuses qui, à mon avis, sont encore pires. Pour faire court, l’absence d’une option libérale de choix caractérise quelques pays du sud de l’Europe et d’Amérique latine. Quant aux Etats-Unis, les libéraux[7] auront tendance à se sentir chez eux plutôt dans le parti Républicain, tout en étant opposition avec sa majorité sur des sujets concernant la société et les moeurs (avortement, droits des gais , pour ne prendre que ces exemples). Mais les libéraux nord-américains se trouveront en conflit avec les deux grands partis sur des sujets comme le protectionnisme et les barrières douanières.[8]
Moralité Plus j’avance en âge, en réflexion et en sagesse, plus je me sens libéral au sens historique du terme[9], et moins je me sens de gauche, de droite ou même du centre.
Notes
[1] Que ce soit par pure peur de perdre des biens, des pouvoirs ou des privilèges ou que ce soit par pur réflexe de crainte devant tout changement
[2] L’exemple par excellence est l’histoire de la Révolution française.
[3] par ex. fasciste
[4] L’absence de règles étant pour eux inconcevable, exactement comme la circulation routière serait en elle-même impossible sans règles
[5] Parfois en alternance (par ex. Allemagne), parfois de manière plus durable (par ex. en Suisse)
[6] éventuellement populiste
[7] au sens européen du terme, et non au sens anglo-saxon désignant une gauche social-démocrate c’est-à -dire non-communiste
[8] A noter que si on devait s’en remettre uniquement à nos médias, on pourrait croire qu’un tel débat n’a pas lieu là -bas.
[9] Donc humaniste, religieux, philosophique, politique, ET économique-avec-des-règles-du-jeu
J’aime bien votre réflexion initiale sur la raison d’être de la gauche et de la droite… cela me semble un excellent résumé.
Personnellement, je ne me sens pas forcément obligé de me classer sur l’échelle gauche-droite, notamment parce que je suis en opposition avec les deux camps sur certains sujets. Mais il m’arrive aussi de choisir la gauche, ici en Suisse, parce que la droite m’a mis en prison lorsque j’étais objecteur de conscience (alors que la gauche proposait un service civil !). C’est un symbole, parce qu’il y a nombre de sujets qui s’apparentent pour moi à ce cas précis.
Et cela pose pour moi une question centrale, lorsqu’on parle de « libéralisme », au sens historique du terme bien sûr, puisque le néo-libéralisme est plutôt un déguisement pour faire plein d’autres choses. Cette question, c’est : « Qui sont les vrais libéraux aujourd’hui en Suisse ? »
Qui sont les humanistes qui acceptent une société (et donc aussi une économie) libérale qui se donne des règles du jeu démocratiques ? Sont-ils majoritairement à droite ? 😉
@ Dani: la question du service civil et de l’objection mériterait certainement plus qu’un billet. A cause d’une parenté un peu encombrante, j’y ai très souvent réfléchi (pour ne pas dire torturé-déchiré les méninges, et c’est paradoxal quand il s’agit de pacifisme) sous différents points de vue dont l’approche théologique, invoquée par bon nombre d’objecteurs. Mais, ayant été réformé pour des raisons de santé, je me suis dit par la suite que, n’étant plus concerné, il serait indécent de clamer l’opinion que j’ai fini par me forger.
Le néolibéralisme aspire à être une pensée unique, comme les différentes gauches (rose, verte, démocratique ou autoritaire) ont su en développer. Ce sont les néo-libéraux qui ont prôné l’absence de règles, mais à leur décharge (attentio l’avocat du diable repointe son nez), c’était en réaction à la pensée dominante de gauche qui elle-même était née en réaction à l’indécrottable conservatisme de droite etc.
La question de savoir qui sont les vrai-e-s libérales et libéraux ne se pose pas qu’en Suisse. Je pense qu’on en trouve dans tous les partis gouvernementaux + les Verts. C’est souvent des gens qu’on admire ou dénigre en les qualifiant de pragmatiques ou de centristes. François Brutsch (que je considère être un socialiste de droite, ce qui ne revient pas forcément à le qualifier de libéral de gauche), m’a promis qu’il apporterait incessamment sous peu son commentaire…
Voici un échantillon d’exemples de libéraux-de-droite mais ni néo-libéraux ni socio-conservateurs. Pour ne pas trop me mouiller en parlant de la Suisse, je me contenterai de citer Jacques-Simon Eggly, Ruth Metzler, Eveline Widmer-Schlumpf, Doris Leuthardt, David Hiler, Jean Studer. En France, c’est une tarte à la crème que de citer Alain Madelin et Valéry Giscard d’Estaing. J’ajouterais Pierre Lellouche et Frédéric Mitterrand, pour le peu que je connais d’eux. Peut-être Michel Rocard (François aime bien DSK, mais pas moi)? François Léotard n’a pas tenu assez longtemps pour que je m’en fasse une idée. Pour la Grande-Bretagne: c’est Tony Blair (pardon François), sinon je ne connais pas. Margaret Thatcher et Ronald Reagan, souvent cités comme les pionniers de la révolution conservatrice, ont juxtaposé libéralisme économique et conservatisme social.) Mais en fait je n’y connais rien et ce sont de pures intuitions, telles que les réprouverait mon maître Kant, qui a défini déblayé et posé les catégories importantes du libéralisme avant la lettre, tant sous l’aspect théologico-philosophique que politique.
Je me garderais bien de répondre à l’interpellation de Guillaume Barry dans le commentaire ci-dessus car j’y suis perdu (Studer, Rocard, Blair libéraux de droite? Thatcher ou Reagan ni néo-libéraux ni socio-conservateurs?).
Le billet initial rencontre en revanche mon adhésion coomplète, en miroir en quelque sorte vu de gauche. Et j’aimerais apporter, pour relativiser ces étiquettes, un exemple qui n’est pas celui de l’objection de conscience mais celui du racisme. Je me suis en effet trouvé interpellé dernièrement par une lettre au Spectator de cette caricature de la droite néo-libérale et socio-conservatrice (et, aurais-je facilement cru, raciste), Lord Tebbit. Admirer déjà r le titre que la rédaction lui a donné:
Racism isn’t right
Sir: Reference is made in the headlines of Fraser Nelson’s article on the BNP (‘The rise of British racism may be horribly close’, 30 May) to ‘far Right politicians’. Surely Mr Nelson does not imagine that there is anything right-wing about the BNP? As its 2005 general election manifesto shows, it is a hard-left Old Labour-style party which supports nationalisation and trade union power, and opposes free trade. And surely he cannot think of racism as right-wing. As with nationalism, racism’s greatest supporters – Mao, Pol Pot, Stalin – were hard leftists, as is Mugabe today. And Hitler was the leader of the National Socialist German Workers party.
I cannot believe that The Spectator has bought into the Guardianista/BBC line that anything nasty, corrupt or vicious has to be labelled ‘right-wing’.
J’aime cette posture de prime abord paradoxale de la droite récusant le monopole du racisme au même titre que celle de la gauche réclamant sa part du patriotisme ou du besoin de sécurité (qui mettent mal à l’aise les catégories traditionnelles).
@ François: Pour Thatcher et Reagan, je croyais que je m’étais correctement exprimé: je trouve qu’ils étaient bel et bien des libéraux économiques (voire des néo-libéraux si on y tient) tout en étant des socio-conservateurs. C’est pour cela que je dis qu’ils ont juxtaposé (soit cumulé) le (néo-)libéralisme et le socio-conservatisme.
Pour Hiler, Studer, Blair, Rocard, c’était de la provoc. peut-être un peu gratuite, car je m’y connais si peu. Ce n’est pas parce que ces gens sont dans des partis soi-disant de gauche qu’ils ne pensent pas selon des catégories de droite. A contrario, en Suisse, nous avons (eu) des membre du parti Radical qu’on pourrait prendre pour des socialistes, comme les deux Yves vaudois, ou un agriculteur genevois…
« Plus j’avance en âge, en réflexion et en sagesse, plus je me sens libéral au sens historique du terme, et moins je me sens de gauche, de droite ou même du centre ». Bref, vous vous sentez de plus en plus calviniste !