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La Belgique, un modèle pour la Suisse?! Ou: quand le marketing fait perdre la tête aux élites romandes

Dernière mà j: mercredi 13 mai

Les états d’âme de la minorité sont pratiquement un « marronnier » de la vie politique des Etats composites. En Suisse c’est reparti en fanfare cette semaine, dans le magazine L’Hebdo et au travers d’un ouvrage de l’intellectuel organique local, François Cherix, titré sans excès d’originalité La question romande. Pas vraiment d’élément déclencheur, comme au temps de la première guerre mondiale la très profonde division linguistique des sympathies pour chacun des deux camps, qui ne s’est nullement retrouvée pour la deuxième; ou comme après l’échec de la participation suisse à  l’Espace économique européen (aujourd’hui, tout indique que l’europhilie, toujours forte dans le microcosme, a faibli dans toute la Suisse et aussi parmi les francophones). Pour prendre un vrai sujet brûlant, Alémaniques et Romands ne sont nullement divisés sur la question du secret bancaire: le clivage est politique, pas « ethnique », et c’est bien mieux ainsi.

Non, l’éruption présente est un pur coup médiatique, né du « besoin » de « nourrir le débat », de « faire bouger les choses », comme aiment à  dire les agités du « journalisme d’intervention ». Car l’organe créé la fonction, parfois: newsmagazine, L’Hebdo ne peut exister qu’à  l’échelle de tous les francophones de Suisses, qui vivent principalement dans sept cantons différents (trois d’entre eux institutionnellement bilingues). Pour lui plus encore que pour la Télévision suisse romande et la Radio suisse romande qui assurent le relais de cette opération[1], le marketing de ces institutions supra-cantonales comme l’ego de nos mini-stars exigent que cette population se vive comme « romande », rattachée à  un territoire identifié et à  des institutions: et voilà  comment l’on se retrouve un beau jour avec un gouvernement romand, capitale Payerne! La seule vraie question est de savoir si le quotidien Le Temps va aussi monter dans le bateau ou au contraire jouer la différence[2].

Je suis particulièrement affligé du rôle de François Cherix dans cette affaire: nous étions ensemble dans l’entreprise Vaud – Genève initiée par l’ancien conseiller d’Etat radical vaudois Philippe Pidoux et complétée par l’ancien conseiller d’Etat socialiste genevois Bernard Ziegler. Il s’agissait alors de reconstruire, en partant d’en bas, le fédéralisme suisse (car l’évolution des choses menace d’obsolescence les 26 cantons historiques et favorise l’émergenced’un niveau institutionnel intermédiaire) pour retrouver une Suisse composée d’un nombre réduit d’entités (nombre d’entre elles bilingues) permettant un fédéralisme réel. Et nous étions particulièrement attentifs à  éviter toute idée de constitution d’une « région romande », s’identifiant par la langue: car nous n’étions pas dans la posture du minoritaire (la victime n’est pas loin). L’idée n’a certes pas pris du premier coup, mais elle a marqué les esprits et fait son chemin, comme en témoigne encore tout récemment le projet d’un rapprochement entre Neuchâtel, le canton du Jura et le Jura sud.

Pressé, Cherix s’est trouvé de nouveaux amis et abandonne tout cela. Il se raccroche aux valeurs sûres du nationalisme identitaire: c’est la langue qui fonde l’unité, et on ajoute une couche institutionnelle entre la Confédération et les cantons. Dans un révisionnisme digne de Roland Béguelin, il veut d’ailleurs nous faire croire que la Suisse romande est une entité, qu’elle a toujours existé, et qu’elle est opprimée. Alors qu’elle n’est qu’une commodité descriptive: avant leur participation à  la Confédération, Genève, Neuchâtel et le Valais n’existaient pratiquement pas l’un pour l’autre alors que chacun d’eux avait des rapports avec d’autres entités devenues confédérées. Même Vaudois et Genevois, pourtant voisins, n’ont pas d’histoire commune alors que chacun d’eux a vécu d’étroites relations avec Berne. Le Jura (qui doit à  la Suisse d’exister comme canton) n’a pas une histoire romande, mais bâloise, etc. Les chantres de la Romandie oublient que celle-ci, comme ses succès, n’existent que par la Suisse (l’EPFL, l’Université dont on se regorge, ce sont dans la réalité des institutions fédérales qui ont tout à  perdre au repli identitaire, comme l’économie d’ailleurs). Une cristallisation institutionnelle ne peut que provoquer la constitution d’une Suisse alémanique qui, aujourd’hui, n’existe pas davantage mais rassemblerait deux-tiers de la population du pays (comme la Wallonie révèle la Flandre, comme les parlements régionaux d’Irlande du Nord, d’Ecosse et du Pays de Galles provoquent avec toujours plus d’insistance l’émergence embarrassante d’une Angleterre qui finit par s’apercevoir qu’elle paie pour tous les autres et n’a rien à  dire chez elle). Le sommet, c’est quand on vient nous présenter comme un modèle un pays au bord de l’éclatement et du rattachement de sa partie problématique et francophone à  la France: «En Belgique, la question existentielle de la différence est un sujet; en Suisse, c’est un tabou».

Quand un autre politologue, Pascal Sciarini, déclare à  propos du refus de l’Espace économique européen, «la fois où je me suis senti profondément Romand, c’est le 6 décembre 1992; la Suisse romande avait alors un projet, ce qui est la marque d’une véritable identité», il oublie ou omet:

  • l’objet du vote: ce n’était nullement un (lointain) rattachement des Suisses francophones à  l’UE, mais bien celui de la Suisse toute entière (et le Liechtenstein a voté oui);
  • les citoyennes et citoyens des cantons francophones qui ont voté non: 5e colonne? traîtres? à  « purifier »?
  • les cantons alémaniques qui ont également, et dans les mêmes proportions, votés oui.

Car les vrais clivages sont liés au degré d’urbanisation, au niveau de formation ou à  l’orientation politique, et réunissent ou divisent par-delà  les langues ou les religions. Mais ils sont plus difficiles à  instrumentaliser.

Notes

[1] Complément du 07.05: En fait la genèse de l’histoire est un peu différente: c’est Gilles Marchand, le patron de la Télévision romande (qui conduit par ailleurs, significativement, une technocratique opération de fusion avec la Radio romande) qui a passé commande à  Cherix… n’imaginant sans doute pas que l’innocente étude des attentes du « cher public » le conduirait dans des eaux aussi sulfureuses, que L’Hebdo s’est ensuite chargé de faire mousser. De la force centrifuge qui s’exerce quand les préoccupations commerciales font oublier la culture politique et la mission première d’un service public financé par la redevance et au bénéfice de la générosité fédérale due aux minorités.

[2] Complément du 13.05: Voir cet éditorial de Jean-Jacques Roth publié le vendredi 8 mai.

Un commentaire

  1. Guillaume Barry
    5 mai 2009

    Le problème, c’est qu’à  part toi, les gens de la gauche ouverte et secrètement intelligente oseront difficilement se dire publiquement opposés à  un Etat romand. Aux leçons d’histoire du gymnase (devenu lycée), je me rappelle que les sujets préférés (donc les plus simples à  apprendre et comprendre) était l’unité allemande et l’unité italienne, sujets qui suscitaient notre sympathie. Et nous étions tous (à  l’époque) intelligents et de gauche-mais-critique. Dans mon souvenir, l’enthousiasme pour la création du canton du Jura est venu tardivement, quand on ne pouvait plus revenir en arrière. Donc pas évident de ne pas suivre ce mouvement, peu importe si l’impulsion vient des médias, et de ne pas se retrouver avec les ronchons de l’immobilisme conservateur.

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