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News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

Chronique d’un scandale annoncé

Depuis dimanche passé, une vague d’antiparlementarisme submerge le Royaume-Uni, la Chambre des communes est paralysée: car lundi le Daily Telegraph a commencé de publier en feuilleton les éléments croustillants d’une compilation de quatre années de notes de frais dont le remboursement a été sollicité par des députés conformément aux dispositions en se fondant sur les dispositions applicables à  l’indemnité de résidence à  laquelle ils ont droit compte tenu du fait que leur activité est partagée entre Londres et leur circonscription[1].

Ce n’est pas vraiment l’effort et le talent qui sont récompensés: le Telegraph utilise simplement un CD-rom copié ou volé dans les services du Parlement dont les autres quotidiens ont raconté, depuis des semaines, qu’un intermédiaire le proposait à  la vente pour 600’000 £. Et il ne fait qu’anticiper de deux mois ce que la Chambre des communes allait rendre public à  mi-juillet — avec un important bonus toutefois: l’accès aux notes de frais elles-mêmes a permis aux journalistes de mettre en évidence des éléments qui sans nul doute ne seraient pas apparus dans un rapport général (situation de couples de parlementaires, ou rapport propriétaire-locataire entre deux élus, et la manière cavalière dont certains députés modifient la qualification de leur résidence)[2].

Cette transparence attendue était, elle, le fruit de la ténacité d’une journaliste du Guardian qui, aujourd’hui dans le supplément G2, raconte son combat commencé en 2004. Utilisant le Freedom of Information Act qui entrait alors en vigueur, elle s’est heurtée à  toute les ressources de la procédure invoquées (avec l’argent public, évidemment) par la Chambre des communes pour ne pas donner suite à  sa requête. Elle a dû aller successivement devant le préposé indépendant, puis un tribunal pour finir devant la Cour suprême (High Court), qui lui a donné raison le 16 mai 2008. D’abord prévue en automne 2008, la publication des indemnités a encore été repoussée jusqu’à  cet été (non sans tentative, dans l’intervalle, de l’éviter en modifiant la loi!).

Pendant tout ce temps, les parlementaires avaient la possibilité de prendre connaissance de leur dossier, voire de le rectifier. C’est dire s’il est difficile de croire à  leur bonne foi: face à  l’indignation du public (qui tombe dans le populisme), ils sont disqualifiés pour tenter de ramener le scandale à  sa juste proportion (après tout, l’indemnité de résidence s’élève au plus à  24’000 £ par an, en sus du salaire de base de 63’000 £ et des autres indemnités auxquels ont droit les élus)[3] [4].

D’autant qu’ils savent ce qui les attend depuis bien plus longtemps. Et avaient parfaitement conscience (c’est l’élément que j’ai trouvé particulièrement significatif) de l’emploi largement abusif qui est fait de l’indemnité de résidence. Car je lis ceci à  la date du 1er mai 2002 dans le passionnant Journal d’un député et ex-ministre de Tony Blair A View from the Foothills – The Diaries of Chris Mullin:

Andrew Mckinlay dropped a little bombshell at this afternoon meeting of the parliamentary committee. Apparently, under the Freedom of Information Act, by January 2005 MP’s expenses will be subject to public scrutiny, retropectively. Goodness knows what mayhem that will cause. « We are in a jam », said Robin Cook. « Few members have yet tumbled to the juggernaut heading their way. » He said he had been advised that we could probably get away with publishing headline figures and it would be desirable to start publishing a year before the deadline so that any fuss would have died down come the general election. It was agreed not to minute the discussion.

Notes

[1] Et le domicile privé, familial, peut être encore à  une troisième adresse!

[2] Complément du 19.05: Voir en revanche cette analyse du bénéfice qu’il en retire en terme de vente et de la manière scientifique dont le site est utilisé pour sortir les informations qui seront dans le journal du lendemain de manière à  maximiser la caisse de résonance offerte par la radio, la télévision… et les confrères bien obligés de suivre.

[3] C’est un des éléments de la crise: dans le régime parlementaire pur que connaît le Royaume-Uni, le gouvernement, aussi composé de députés, est tout autant compromis; Gordon Brown démontre une fois de plus qu’il manque manifestement des qualités de leadership qui seraient nécessaires (alors que David Cameron a, au contraire, saisi l’occasion de démontrer les siennes en édictant des règles beaucoup plus strictes qu’il a rendues obligatoires pour tous les députés conservateurs, applicables rétroactivement en vue du remboursement du trop perçu); le Speaker de la Chambre des communes est un élément caricatural du problème et seule sa démission rapide pourrait faire évoluer la saga, mais à  condition qu’il soit remplacé par une personne ayant le charisme nécessaire; une dissolution dans ces conditions ne ferait qu’accentuer le chaos; il ne reste que la reine… 😉

[4] Comme il ne faut quand même pas dramatiser et outrance, je signale dans le Times2 d’hier un papier sur les notes de frais des journalistes… Une manière élégante de parer au reproche d’Ann Widdecombe, une formidable députée conservatrice (et catholique) à  côté de qui Thatcher est modérée: « I must say having people from the journalist profession passing judgement on anyone’s expenses is a bit like having Satan heading a commission on sin. »

2 commentaires

  1. 16 mai 2009

    Dommage pour la journaliste du Guardian… puisque c’est le Daily Telegraph qui semble en tirer grand profit.

    Pour faire un peu de populisme, ayant un statut d’indépendant, je déclare mensuellement des notes de frais… et bien je peux vous dire que les possibilités sont tres encadrées et limitées par Inland Revenue. Je suis donc étonné de la liberté permise pour ceux qui …font la loi!

    A part ca, il faut relativiser… a regarder les avantages opaques des Sénateurs français, on se dit que franchement y’a pas de quoi en faire un plat (ou plutot si, mais tout est a revoir dans le systeme des rémunérations politiques).

  2. sebl
    16 mai 2009

    La force de la democratie anglaise c’est que des scandales comme ca peuvent exister.

    J’aime beaucoup l’introduction d’une chronique de Charles Bremner le correspondant du Times a Paris (disponible ici):

    No-one could imagine such a scandal occurring in France for a simple reason: members of the government and parliament don’t have to account for their expenses.

    tout est dit.

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