Bonne retraite, Edith!
De mes Monde en retard, je retiens avec satisfaction la condamnation, au moins symbolique, d’Edith Cresson, pour une embauche de complaisance, suivie d’un détournement d’affectation[1], alors qu’elle était commissaire européenne (voir aussi le communiqué de la Cour de justice des communautés européennes, condensé d’arrêt particulièrement limpide).
Je ne sais s’il s’agissait alors de fournir à M. Berthelot, chirurgien-dentiste de 66 ans, le complément de revenu qu’il n’avait pas su s’assurer précédemment pour sa retraite? Mais c’est un autre aspect, rappelé par Le Monde, qui m’interpelle à cet égard: la réquisition (non suivie) de l’avocat général de déchoir Cresson de la moitié de ses droits à sa propre pension de retraite.
Le droit disciplinaire contient certes assez ordinairement, dans sa palette, des sanctions financières sous forme de retenue sur le traitement, voire de rétrogradation dans un traitement inférieur. Mais que l’on y inclue la pension de retraite me paraît reposer sur une conception fausse de celle-ci. J’y suis d’autant plus sensible que le contraste ne saurait être plus grand entre la Suisse (où ce débat est inexistant en raison du statut clairement indépendant de l’employeur du « deuxième pilier », qui est aussi le plus gros, entre le premier, la pension étatique par répartition versée à tous, et le troisième, l’éparge individuelle affectée, dotée d’avantages fiscaux), et la Grande-Bretagne: ici, le désir ardent que le vilain du moment ait une vieillesse misérable, respectivement l’indignation devant la retraite insouciante qui l’attendrait après tout le mal qu’il a fait, est l’ordinaire des journaux, et c’est effectivement une sanction en usage[2].
Car cela revient à dire, au fond, que la pension de retraite relève du bon plaisir de l’employeur (s’exprimant ici par la plume de la Cour de Luxembourg)… qu’elle n’est jamais sûre, que l’on ne peut pas compter sur elle. Or, conceptuellement et dans la pratique, quelle qu’en soient les modalités (et même s’il ne devait y avoir aucune comptabilisation régulière durant la période d’activité), la retraite n’est rien d’autre qu’un salaire différé (pour l’employeur, c’est le montant total, y compris d’éventuelles créances futures, qui définit le coût du travail): c’est une réduction du revenu disponible actuel en vue de constituer un revenu futur. Pour garantir son intégrité, il faut évidemment que le droit suive, et manifestement ce n’est pas le cas au niveau européen. Pour ma part, je suis résolument pour des régimes de financement de la retraite, la santé ou de l’éducation attachés à la personne et inaccessibles aux manipulations de l’Etat et de l’employeur (voire du syndicat): un nouveau « ni Dieu, ni maître »?
Notes
[1] N’aurait-elle pas mieux fait de plaider l’erreur de droit et la bonne foi, tant ces pratiques « l’Etat, c’est moi » paraissent courante dans le milieu politique français?
[2] Je n’ai bien sûr rien contre le fait qu’une personne, condamnée par exemple à réparer un tort moral, doive le faire par prélèvement automatique sur sa pension de retraite pour tout montant supérieur au minimum vital insaisissable; mais c’est tout autre chose.
Bonjour, Juste pour dire que trouve cette idée de « régimes de financement de la retraite, la santé ou de l’éducation attachés à la personne et inaccessibles aux manipulations de l’Etat et de l’employeur » très séduisante. ça mériterait, sans vouloir te commander, une (longue) note à part entière
Euh… En attendant une synthèse générale, il y avait déjà une esquisse ici (et non, je n’ai toujours pas lu le livre!).
Sur la santé, je médite depuis longtemps un billet. Ca viendra peut-être. En attendant, il y a dans The undercover economist, de Tim Harford (voir ici), une excellente analyse des mérites et surtout défauts respectifs du système de santé étatique et gratuit (GB) et de l’assurance non obligatoire (US), avec en contrepoint ce qui est vraisemblablement le modèle idéal: Singapour.
Sur l’éducation, j’avais une fois commis ceci.
Sur la retraite, il y avait déjà eu ça (voir aussi ça).