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News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

Mariages blancs et gouvernement des juges

Dans l’ensemble des pays occidentaux, l’humeur est la lutte contre les abus de procédure (asile politique, mariage) qui permettent de contourner les dispositions légales sur l’immigration. La motivation est multiforme: économico-sociale (éviter que n’augmente une population qui, par inadéquation, tomberait à  la charge de la collectivité), d’ordre public libéral (lutter contre les mariages arrangés), de police criminelle (ces voies sont notamment utilisées par le crime organisé pour des trafics en tout genre et la traite d’êtres humains en vue de prostitution) voire de protection anti-terroriste. Il est indéniable que cela créé des situations désagréables pour les personnes de bonne foi qui y sont confrontées, mais en même temps cela me paraît parfaitement compréhensible et défendable, quoi qu’en pensent les belles âmes qui n’y voient que racisme et hystérie sécuritaire. Reste à  trouver le bon équilibre, sous le contrôle du pouvoir judiciaire, en opérant au besoin les ajustements nécessaires. On en a un exemple aujourd’hui en Grande-Bretagne.

Le juge était saisi de trois cas de couples qui s’étaient vu dénier l’autorisation du ministère de l’intérieur pour se marier; elle est depuis 2005 obligatoire lorsqu’un des futurs conjoints est ressortissant d’un pays étranger autre qu’un membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou la Suisse. Mais son jugement dépasse ces cas et oblige le législateur à  revoir sa copie.

Il a tout d’abord déclaré discriminatoire une disposition exemptant de cette autorisation tout mariage destiné à  être prononcé par un prêtre de l’Eglise anglicane (par opposition à  un mariage effectué par un officier d’état civil ou dans le cadre d’une autre religion), ce qui paraît assez évident. Mais le remède l’est tout autant: non pas renoncer à  une procédure préalable, mais bien l’étendre également aux mariages anglicans.

Le juge a également émis des considérations qui laissent davantage perplexe:

Ruling that the measures breached human rights on grounds of nationality and religion, Mr Justice Silber said there was « no adequate justification » for the marriage regulations to be used to control immigration.

Ce qui nous ramène au traditionnel problème de la tension entre les contingences auxquelles sont confrontés les gouvernants et les principes que les juges doivent défendre. Le danger c’est qu’ils se meuvent dans une atmosphère par trop éthérée qui les conduit à  méconnaître l’autonomie du politique. C’est particulièrement vrai au Royaume Uni où leur carrière résulte d’une sélection élitaire quelque peu mystérieuse, dans laquelle les préjugés les plus exotiquement réactionnaires peuvent faire bon ménage avec un paternalisme libéral confinant à  la naïveté la plus déconcertante sur le monde réel. En l’occurrence il ne s’agit bien sûr pas de réglementer l’immigration par le biais du mariage, mais bien de veiller à  ce que le mariage (qui confère des droits en matière de séjour et d’établissement) ne soit pas instrumentalisé pour contourner la législation sur l’immigration, ce qui implique inévitablement des contrôles. Il est toutefois probable qu’ajouter une procédure de recours administratif contre la décision du ministère de l’intérieur (actuellement sans appel) devrait suffire.

On notera au passage cet archaïsme centralisateur selon lequel chaque décision est réputée émaner du ministre lui-même…

5 commentaires

  1. 11 avril 2006

    Vous êtes en pleine actualité législative française, puisque l’Assemblée Nationale vient d’examiner en première lecture une projet de loi intitulé « contrôle de la validité des mariages » et qu’un autre projet sur l’immigration vient d’être déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, pour être examiné en mai.

  2. alex
    12 avril 2006

    Et suisse. La nouvelle loi fédérale sur les étrangers, qui fera l’objet d’une votation populaire puisqu’une demande de référendum a abouti, prévoit une modification du Code civil qui a la teneur suivante :

    Art. 97a Abis. Abus lié à  la législation sur les étrangers
    1 L’officier de l’état civil refuse son concours lorsque l’un des fiancés ne veut manifestement pas fonder une communauté conjugale mais éluder les dispositions sur l’admission et le séjour des étrangers.
    2 L’officier de l’état civil entend les fiancés; il peut requérir des renseignements auprès d’autres autorités ou de tiers.

    J’avais déjà  écrit ici tout le mal que j’en pensais. Il y a une différence de taille avec la solution anglaise : c’est « l’officier d’état civil » autrement dit le fonctionnaire chargé de la célébration du mariage qui est compétent pour obtenir des renseignements (y compris de tiers: lisez une bonne enquête de voisinage) et pas l’autorité chargée de la police des étrangers, ce qui serait un moindre mal. La solution n’est à  mon avis guère tenable. On a évidemment à  l’esprit les cas crasses: un étranger en situation illégale qui contracte mariage avec une personne ayant un titre de séjour alors qu’ils se connaissent peut-être à  peine et contre rémunération. Mais, qu’en serait-il par exemple d’une personne qui fait la connaissance d’une autre en situation illégale, qui noue une relation avec et qui souhaite l’épouser ? Les mariages sont conclus pour toutes sortes de raisons pas forcément plus dignes de protection (fiscales dans bien des cas quand même). Et puis souvenez vous du film Green Card avec la ravissante Andy Mac Dowell. La frontière entre l’abus et la sincérité me paraît impossible à  tracer sans un examen des consciences, des chambres à  coucher et des sentiments.

  3. Mon point de vue est probablement scandaleusement ajuridique: l’existence même d’une procédure (plutôt à  l’anglaise, effectivement) est dissuasive à  l’égard de ce qu’il s’agit réellement de dissuader (en particulier le crime organisé qui est une réalité tout autant que les belles histoires socio-romantiques); ne manque qu’une petite procédure de recours pour rattraper, en les acceptant, les cas où l’autorité aura eu la main trop lourde. Les chiffres évoqués à  propos de la Grande-Bretagne sont éloquents.

  4. Alex
    12 avril 2006

    Tu ne crois pas que le crime organisé se procure plutôt des faux-papiers? Les chiffres évoqués en Suisse. L’association des officiers d’état civil parlaient de 30% de mariages blancs et au Conseil national un député a évoqué un taux de 6 à  9%. Mais sur quoi reposent ces chiffres? Sur des impressions en partie. Il faudrait avoir une statistique précise sur le taux de divortialité des mariages où l’un des époux n’avait pas d’autorisation de séjour ou sur le nombre d’autorisations retirées parce que l’on a constaté un abus (l’autorité administrative peut parfaitement retirer l’autorisation de séjour après coup en droit suisse).

    Je ne suis pas très romantique : au contraire, je pense qu’il y a beaucoup de mariages « gris », conclus pour une autre raison que la volonté de fonder une communauté familiale durable. Alors pourquoi protéger ceux-là  et pas ceux conclus pour obtenir un titre de séjour pour le partenaire? Je n’ai pas la réponse.

  5. Moi non plus, à  dire vrai. Mais je reste convaincu que le parlement est plus légitime qu’un juge pour donner la sienne.

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