Votations du 21 mai
Si en Suisse on n’a guère de manifs, c’est notamment parce qu’il y a des votations trois ou quatre fois par an. Comme l’avait très justement écrit dans Le Temps une chroniqueuse de droite, Marie-Hélène Miauton (fichier PDF), si le Parlement fédéral avait adopté le « contrat première embauche » (CPE), la priorité des adversaires aurait été de récolter des signatures pour que la loi soit soumise à référendum. Puis il y aurait eu une campagne, avec ample présentation des arguments des uns et des autres. Et à la fin c’est le peuple qui aurait tranché.
Mais ce n’est pas toujours aussi exaltant, comme en atteste le programme de la votation du 21 mai qui fait l’objet de la nouvelle collection d’affiches que je mets en ligne: un objet fédéral et, à Genève, trois objets cantonaux. La qualité des affiches s’en ressent.
Formation
L’objet fédéral est une révision des articles de la Constitution fédérale (votation obligatoire, donc) relatifs à la formation.
Traditionnellement cette matière est de la compétence des cantons, pas de l’Etat fédéral. Ce qui nous vaut, notamment, des cantons où l’année scolaire débute après Pâques et d’autres à la fin de l’été. La globalisation, pour le meilleur et pour le pire, c’est aussi la fin de ce genre de particularisme.
Pour respecter l’apparence du fédéralisme[1], la simplicité de la règle originelle — les cantons ont la compétence exclusive de ce qui n’est pas formellement attribué par la Constitution à la Confédération — fait place à toute une panoplie d’instruments: on introduit des principes généraux fédéraux (ici la jolie notion de « perméabilité » des filières de formation), une obligation de concertation et, de fait, de convergence entre les cantons, on développe une couche intermédiaire d’accords intercantonaux qui fait la part plus belle à la technocratie qu’au contrôle démocratique, et on charge le parlement fédéral d’étendre le cas échéant ces accords aux récalcitrants… L’UE n’en est pas encore là , mais on sent que la distinction entre Etat unitaire décentralisé et régime fédéral s’amenuise. La défense d’un cantonalisme obstiné était naguère l’apanage exclusif de la droite opposée à la modernité, c’est désormais le cheval de bataille de l’extrême gauche altermondialiste, qui y voit un rempart contre « la privatisation ». (Voir la brochure envoyée à tous les électeurs pour plus de détail).
Les trois objets en votation à Genève concernent une modification constitutionnelle (votation obligatoire), une loi sur le tourisme qui, en raison du fait qu’elle comporte une taxe, fait elle aussi l’objet d’une votation sans que le référendum ait dû être demandé par des adversaires, et une initiative populaire. Là aussi, il y a une brochure officielle envoyée à tous les électeurs mais, lamentablement, son contenu n’est pas en ligne.
Frein à l’endettement
Bien que riche et prospère, le canton de Genève présente le déficit budgétaire et la dette les pires de Suisse, et tente sans succès depuis des années de se désintoxiquer. L’un des moyens, c’est de se créer des contraintes. Après bien d’autres, le canton a fini par adopter l’obligation de prévoir la couverture financière de tout projet nouveau (mais il n’y a pas de sanction), la votation obligatoire sur les lois ayant un effet fiscal (cf. l’objet suivant) et, c’est l’objet de la présente question, un dispositif cadrant la compétence budgétaire des autorités en fermant l’échappatoire du refus d’économie ou de hausse fiscale.
Concrètement, il s’agit de maîtriser une bonne fois le monstre du déficit qui gonfle la dette en obligeant le parlement à adopter des modifications législatives se traduisant par des économies, et à les soumettre en votation obligatoire avec, en alternative, une proposition d’augmentation d’impôt équivalente; le peuple est alors appelé à choisir entre l’un et l’autre.
Le système est fruste (il n’aurait pas été difficile de faire plus subtil), l’article constitutionnel proposé est abominablement rédigé (l’essentiel est en réalité dans une loi adoptée l’an dernier)[2], mais cet instrument (fichier PDF) relève en réalité de la dissuasion, au même titre, par exemple, que le dispositif existant sur la « confiscation » des logements vides: il est conçu pour ne jamais avoir à s’appliquer, la menace devant être suffisante pour amener gouvernement et parlement à jouer enfin à l’intérieur du cadre financier défini. Et que la gauche et la droite disent alors ce qui les différencient à recettes fiscales égales, plutôt que, pour la droite (majoritaire!), se donner des airs de bonne gestionnaire contraire à son bilan, et pour la gauche, se limiter à revendiquer le budget de droite plus 10%.
Une curiosité institutionnelle: au mépris du principe élémentaire de continuité de l’Etat, le gouvernement à majorité écolo-socialiste issu des élections de novembre 2005 appelle à voter contre le projet adopté durant la législature précédente! Alors qu’il proclame son intention de maîtriser les finances publiques en ne recourant « ni » à la baisse des prestations « ni » à l’augmentation des impôts, il aurait tout aussi bien pu se féliciter d’un dispositif qui vise précisément à cela… Mais la palme de l’hypocrisie revient néanmoins à mes amis socialistes (qui aime bien châtie bien) pour qui un choix ne laissant pas d’autre issue que la diminution des dépenses ou de nouvelles recettes est un « frein à l’intelligence » alors que ce dispositif a été précisément proposé par un projet socialiste (fichier PDF)!
Loi sur le tourisme
Ce texte (fichier PDF) est soumis en votation populaire en raison du fait qu’il contient une taxe de séjour et une taxe sur l’industrie touristique, afin de financer la politique d’encouragement du tourisme… Il n’est pas combattu.
Initiative « Sauvons le vivarium de Genève »
Le dernier objet se prête certes à la plus belle affiche, mais il donne prise de manière caricaturale à la critique élitiste de la démocratie directe. C’est une initiative populaire rédigée, comme cela est possible, sous la forme d’un voeu[3] (fichier PDF) que le parlement sera contraint de concrétiser en cas d’adoption, lancée par une fondation: menacée de faillite, elle en appelle benoîtement à l’argent public[4] pour poursuivre son activité! Et ça peut marcher, comme on l’a vu dans une votation en Ville de Genève où des squatters avaient obtenu que la collectivité achète à son propriétaire et leur remettre l’immeuble qu’ils occupaient de manière illicite. L’extrême gauche et les socialistes ne se gênent d’ailleurs pas pour appeler à voter oui, alors que les Verts (dont un des magistrats est responsable des finances) font cette fois passer l’amour de la nature au second plan et appellent à voter non — sans aller jusqu’à le mentionner sur leur affiche.
Notes
[1] Ou, si l’on est moins pessimiste, sa substance…
[2] L’ensemble est le produit de pas moins de 8 projets déposés entre 2000 et 2004; voir le rapport (fort peu synthétique) de la commission parlementaire (fichier PDF).
[3] C’est l’expression consacrée.
[4] Comme on le voit, ce projet est bien évidemment présenté sans couverture financière.
Sur le frein à l’endettement : la proposition est directement inspirée de l’article 165 de la Constitution vaudoise. que je connais bien. Les autorités cantonales ont tenté de l’appliquer une fois, mais le Tribunal fédéral avait annulé la votation populaire pour défaut de base légale. On lit entre les lignes de cet arrêt que les juges fédéraux sont pour le moins réservés sur la constitutionnalité d’un système de vote « bloqué » qui oblige les électeurs à choisir entre réduction des charges et augmentation d’impôts…
@Alex: Je ne doute pas qu’il se trouve des constitutionnalistes, et mêmes quelques juges fédéraux, pour croire sincèrement qu’ils défendent les droits populaires en permettant au peuple d’être inconséquent si tel est son bon plaisir… A mon sens ils oublient que la démocratie directe est un instrument au service de la prise de décisions reconnues légitimes, et non une thérapie de groupe recherchant l’épanouissement personnel des citoyens.
Plus sérieusement, je vois très bien quels sont les problèmes techniques pour parvenir à établir un dispositif satisfaisant tant du point de de la lisibilité du pilotage financier (qui aujourd’hui est en définitive le fruit du hasard!) que de la loyauté du processus de décision. Ils ne sont nullement insurmontables, mais il est clair que le nombre d’acteurs, les problèmes de susceptibilité ou de vanité partisane, sans parler de la pure mauvaise foi de ceux qui croient trouvee leur intérêt dans la confusion, ne facilitent pas les choses.
Voilà le bon lien vers l’arrêt du TF (publié aux ATF 131 I 126). @François: je partage ton opinion. Dans une certaine mesure, le constituant (sur le plan cantonal, le peuple) peut à mon avis choisir en connaissance de cause un système de vote particulier. C’était aussi l’avis que certains juges ont exprimé lors des délibérations publiques….