Elections britanniques: résultat en demi-teinte
Pour une fois, chacun peut légitimement crier victoire (et même la participation a augmenté):
- Les libéraux démocrates de Charles Kennedy enregistrent une forte progression en voix et surtout en sièges.
- Après deux défaites cuisantes, les conservateurs sont de retour comme alternative crédible et gagnent quelques dizaines de sièges.
- Tony Blair et les travaillistes, pour la première fois dans l’histoire de la gauche britannique, remportent un troisième mandat consécutif.
La victoire travailliste est bien sûr tempérée par la perte de près de cinquante élus, qui laisse néanmoins une majorité confortable de 66 sièges: mais ce n’est probablement pas assez pour neutraliser, comme dans le parlement sortant, les votes dissidents occasionels avec l’opposition, et trop pour les dissuader (l’expérience montre que ce sont les majorités parlementaires courtes qui sont les plus disciplinées). L’élection du rouge-vert-brun George Galloway à Bethnal Green and Bow (pour quelque 800 voix!) est une énorme déception, et elle a probablement une implication bien plus profonde et bien plus inquiétante sur les conditions de viabilité de la société multiculturelle qu’est véritablement le Royaume Uni (bien davantage que la France, par exemple).
Le parti conservateur revient de loin (il a, de manière symbolique, récupéré le siège que Stephen Twigg lui avait pris en 1997): menacé d’extinction hors de la seule Angleterre et de vieillir avec ses électeurs, il retrouve une implantation dans toutes les régions de la Grande-Bretagne (L’Irlande du Nord étant, elle, entièrement livrée aux partis locaux) et amène du sang neuf à son groupe parlementaire. Mais il a encore du chemin à faire avant de prétendre retrouver le pouvoir, à la prochaine élection ou à la suivante. Personnellement je trouve que Michael Howard a mené une bonne campagne et, à l’échelle européenne, se situe près de la CDU allemande ou du PP espagnol, et nullement à l’extrême-droite populiste comme on le caricature volontiers ici: ce n’est pas lui qui se laisserait aller des remarques sur « le bruit et l’odeur » des immigrés comme Chirac.
Charles Kennedy a beau proclamer que le Royaume Uni est désormais (?) entré dans l’ère du tripartisme, le succès libéral démocrate me paraît nettement le plus artificiel, sans conséquence durable. La réalité, c’est qu’il a échoué tant à empêcher les conservateurs de progresser nettement en sièges (y compris à ses dépens) qu’à les déstabiliser en « décapitant » les futurs leaders potentiels, de manière à préparer un retour des libéraux démocrates comme deuxième parti et un renvoi des Tories à la troisième place. Le parti a capitalisé un vote protestataire contre l’intervention en Irak d’autant plus facile que (comme Kennedy lui-même se plaisait à le souligner) il était sans risque réel de remplacement du gouvernement travailliste par un gouvernement conservateur. Mais on ne voit pas pourquoi cela se confirmerait à la prochaine élection. Elle se jouera soit sur un véritable affrontement à l’issue incertaine entre travaillistes et conservateurs (auquel cas même les électeurs traditionnels des libéraux démocrates seront tentés de le déserter pour voter utile), soit sur l’approbation du cours donné par un nouveau leader travailliste (Gordon Brown ou un autre), auquel cas les électeurs travaillistes qui ont voulu sanctionner Blair sur l’intervention en Irak n’auront aucune raison de voter libéral démocrate.
Paradoxalement, ce résultat souligne le rôle crucial de la personnalité du premier ministre dans quelques situations historiques, et Blair rejoint Churchill dans cette solitude du leader dépositaire de l’honneur de son pays et de son camp, souvent contre ceux-ci: un Neil Kinnock, un John Smith, un Gordon Brown ou un Jack Straw n’auraient certainement pas fait preuve d’autant de lucidité, de courage et de détermination. Battu en 45, Churchill n’en a pas moins établi sa position de « plus grand Britannique », et d’icône du parti conservateur alors qu’il était fondamentalement un outsider. Réélu en 05, Blair pourrait bien connaître un destin plus tourmenté… Et, à la différence de Churchill face au nazisme, l’Irak n’est qu’un aspect du volet international (défini dès 1999 dans la Doctrine de la communauté internationale, dont d’autres aspects à haut risque d’échec concernent le développement de l’Afrique et la paix israélo-palestinienne) de sa politique, qui comporte deux autres volets contestés: la réhabilitation des valeurs de la gauche (évidemment combattues par la droite) et la modernisation de l’action publique (qui suscite des résistances aussi bien à droite qu’à l’intérieur de la gauche).
COMPLEMENT DE 14H, 19H ET 23H: Les premiers commentaires de Harry’s Place, Oliver Kamm et Norman Geras (avec en prime, via ce dernier, un article préélectoral de Christopher Hitchens).
COMPLEMENT DU 07.05: Et pour lire du français, la nuit électorale d’Emmanuel et les notes écossaises et académiques de François Briatte.
Billet précédent << Elections britanniques >> Billet suivant
Le troisième mandat historique de Tony Blair vu d’à‰cosse
Dans cette note, j’ai compilé les liens que j’ai consultés tout au long de la campagne. Je n’ai pas beaucoup de valeur ajoutée à contribuer, si ce n’est quelques commentaires et photos sur la campagne électorale telle que je l’ai perçue depuis