«Il se trouve toujours des commentateurs pour défendre le droit du plus fort»
Mà j 20.08, 0h59 – Billet revu et augmenté le 20.08 à 0h45
Une litanie de précédents remontant à Louis XIV à l’appui, l’ami Sardanapale résume brillamment une attitude courante à propos de l’agression russe contre la Géorgie. Ne manquez pas de lire le billet, qui reprend et éclaire les événements qui ont conduit à cette guerre, puis au bras-de-fer actuel autour de l’armistice négociée entre les deux parties par l’Union européenne sous l’égide du président en exercice du Conseil européen, Nicolas Sarkozy; lire aussi BHL! On doit aussi rappeler la décision de l’OTAN, sous l’influence franco-allemande, de rechercher l’apaisement de Moscou sur l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie: un acte de faiblesse qui n’a pu qu’encourager Poutine.
« L’esprit munichois »[1] est une faiblesse des démocraties toujours à combattre et surmonter. Cet effort sur soi-même n’est pas un affrontement naïf entre réalisme et idéalisme, mais la difficulté de la démocratie à penser son intérêt collectif et à long terme (qui est évidemment d’aider les jeunes démocraties, d’aider les peuples à se libérer des dictatures), tant elle est tout naturellement conduite à privilégier l’intérêt à court terme, et vécu par les individus.
La « médiation Sarkozy » illustre de manière criante une spécificité de l’Union européenne: elle intervient dans cette affaire alors qu’elle est culturellement, socio-politiquement, incapable, encore pour longtemps, d’exprimer, en politique internationale, une position propre, commune, supranationale — bref qui soit autre chose que la ligne de moindre résistance entre ses membres, partagés entre leurs visions nationales: celle de la Pologne et des pays baltes ou de la Grande-Bretagne[2] n’est pas celle de l’Allemagne et de la France[3]. Que ce soit le président français qui l’incarne en ce moment lui donne certes une coloration particulière, mais il ne faut pas se leurrer: ce serait aussi le cas avec un président « permanent » (pour 5 semestres), assisté par un service diplomatique babélique: loin d’être l’expression d’une Europe-puissance, cette UE est condamnée à être une grosse Suisse dans ce que sa neutralité, même active, a pu avoir de plus caricatural. Dans The Times, Gerard Baker[4] appuie là où ça fait mal:
Dans un récit du séjour de 12 apprentis eurocrates en Géorgie, je trouve fascinant ce mouvement de recul impuissant devant la réalité de la force: « Espérons que, face à des comportements guerriers venus d’autres siècles, l’Union Européenne saura, dans un futur très proche, proposer une alternative crédible à la seule force armée ».
Et je termine, avec une question: et l’OSCE (l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, née des Accords d’Helsinki) dans tout ça? C’est probablement par son intermédiaire que des troupes russes se trouvaient curieusement garantes de la paix en Ossétie du sud et en Abkazie, ce qui évidemment ne la signale pas pour sa lucidité et sa compétence. Et conduit en fin de compte à souligner le rôle irremplaçable et fondamentalement pacifique dans le bon sens du terme d’une autre organisation: celle du Traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN.
Notes
[1] De même que toutes les révolutions sont condamnées à se mesurer en référence à la Révolution française, les circonstances de la deuxième guerre mondiale puis de la guerre froide sont la matrice d’analyse inévitable de ce type de conflit. Un autre terme de cette époque qui paraît destiné à reprendre du service est celui de « finlandisation » pour qualifier ce qui est attendu de la Géorgie: comme le neutralisme à l’autrichienne, il illustrait une sorte de doctrine de la « souveraineté limitée » décrétée par Moscou sur ses confins.
[2] Elle reste celle qu’aurait éloquemment illustrée Tony Blair s’il était toujours aux affaires, même si on ne l’a pas entendue sur le moment.
[3] Merkel déçoit ici plus encore que Sarkozy.
[4] Qui n’est à ma connaissance nullement anti-européen, comme l’en accuse un commentateur ci-dessous.
Toute cette indignation morale est sans doute très bien mais ne change pas le problème.La politique international n(‘a rien à faire avec la moral, la raison d’Etat prime.Le fait qu’on aie confondu moral et politique, ce qui est regrettable, dans les années 90 ne change rien à l’affaire. Le fait est qu’on ne peut pas à la fois demander le soutiens des russes au sujet de l’Iran et de l’Afghanistan et ensuite marcher sur leur platebande.Il faut choisir à un moment ou à un autre. Si on suit la logique de certain, il aura fallu se battre à la fois contre l’Allemagne et l’Urss pendant la seconde guerre mondiale.
Une guerre ou une confrontation diplomatique à la fois, ce n’est pas trop demandé?
Mon impression première (et qui dure) sur le traitement du sujet dans les médias suisses (radio/tv): une absence de commentaires véritables – quels qu’ils soient. Certes des experts disent des faits, les développent. Mais on ne se garde bien de poser un jugement – ou même de faire état de prise de position qu’on mettrait en perspective ou que l’on contredirait. L’effet produit (du moins sur moi) est surréaliste:
Des choses se passent. Elles doivent avoir un certain degré de gravité puisqu’elle font durablement la une des journaux, alors qu’il ne s’agit pas des jeux olympiques. Ces événements font d’ailleurs l’objet de développements très sérieux d’experts. Mais il n’y a rien à en penser: y a-t-il matière à s’alarmer (comme pour le réchauffement climatique)? à s’indigner (comme pour le Tibet)?, ou à se moquer (comme pour le dernier couvre-chef de la Ministre des affaires étrangères)?
@AK: Ramener cela à une opposition entre morale et politique (d’autres opposent idéalistes et réalistes) me paraît réducteur, trop simple. C’est plutôt une vision d’intérêts différente, plus large et à plus long terme pour les premiers, plus restreinte et court terme pour les autres. Mais il y a aussi ceux qui perdent de vue leur propre intérêt par fascination devant la force…
J’aime l’analyse de Sardanapale. On a fini par avoir un vrai problème avec l’usage de la force. On semble totalement décontenancé par quelqu’un qui se comporte en bully. Plus nuancé sur l’article du Times. La première partie est solide, dans la même ligne que Sardanapale. Mais sur la fin, l’auteur se laisse aller à ses penchants anti-européens. Rien n’établit en effet que les « threats of tougher diplomatic action » de la part des US auront plus d’effet que le « piece of paper » obtenu par Sarkozy.