Couples de même sexe (mariage gay)
Une nouvelle étape est franchie en Suisse: une commission du Conseil national (chambre basse) approuve le projet de « loi fédérale sur le partenariat enregistré pour les couples de même sexe » présenté par le gouvernement. J’ai l’honneur d’avoir participé au comité qui a lancé, en 1994, la pétition à l’origine du processus, et d’avoir publié dans Domaine Public (mais il n’est pas en ligne) l’un des premiers articles sur le sujet dans la presse suisse, le 3 août 1989 — c’était au moment de l’adoption, en première mondiale, d’un statut de partenariat enregisté au Danemark (fin de l’auto-congratulation). Mon site perso présente une chronologie générale du sujet.
Depuis lors, bien du chemin a été parcouru. Et la Suisse est cette fois moins en retard que lorsqu’il s’est agi de reconnaître les droits politiques aux femmes (à l’échelon local, entre la fin des années 50 et les années 80, à l’échelon fédéral en 1971 seulement). Mais ici, pour le meilleur et pour le pire, la décision n’appartient ni à un tribunal (comme au Canada, deux amies viennent ainsi de s’y marier, les veinardes) ni à une classe politique éclairée (comme la France de Mitterrand et Badinter, supprimant la peine de mort en pleine connaissance du fait que le peuple souverain était majoritairement favorable à son maintien), mais au corps électoral se prononçant lors d’une votation. C’est un surmoi toujours présent, particulièrement nocif à l’épanouissement, si naturel à coup d’alternance dans les démocraties parlementaires, de celles et ceux qui vivent de politique… Aujourd’hui, le soutien des élites est acquis (hommage soit rendu à la conseillère fédérale Ruth Metzler, démocrate-chrétienne!), la majorité dans l’opinion publique paraît solide: quel progrès le bon sens a-t-il fait en peu d’années pour reconnaître que gays et lesbiennes n’y peuvent davantage et ne sont pas plus contagieux que les hétéros, qu’ils et elles sont des êtres comme les autres et ont autant droit à la poursuite du bonheur, y compris dans le couple si ça leur chante!
Restent au fond deux questions en débat: le mariage et l’adoption.
C’est pour moi un constant sujet d’étonnement que de suivre les termes de la discussion en cours aux Etats-Unis: non pas tant sur les couples de même sexe mais sur un amendement à la Constitution visant, si j’ai bien compris, à proclamer que le mariage est réservé aux couples formés d’un homme et d’une femme (c’est la jurisprudence constante en France ou en Suisse, le législateur n’ayant pas songé alors à le préciser). Il s’agit d’interdire aux Etats (dont relève là-bas le droit civil) d’étendre simplement le mariage aux gays et aux lesbiennes. Cet amendement, s’il était adopté, supprimerait-t-il aussi les statuts de partenariat tel que le Vermont (en anglais), par exemple, l’a institué? J’avoue trouver passablement byzantine la querelle entre mariage ou partenariat, et d’une géométrie excessive la revendication du mariage en tant que tel. D’un autre côté, la campagne de l’Eglise catholique romaine qui prétend protéger le caractère spécifique du mariage entre un homme et une femme attaque en réalité tout autant le partenariat pour les gays et les lesbiennes…
Il est vrai que je n’ai pas encore lu Virtually Normal, d’Andrew Sullivan, auquel Oliver Kamm adresse le plus bel hommage: celui de l’avoir convaincu que rien moins que le mariage n’était acceptable. Mais il fait lui-même la confusion en citant en exemple le pays d’origine de sa femme: or le Danemark a, justement, adopté un statut de partenariat distinct du mariage. A ma connaissance, seuls à ce jour les Pays-Bas, la Belgique et, par voie judiciaire, le Canada ont étendu le mariage aux gays et aux lesbiennes. Les autres pays qui ont légiféré ont adopté un statut de partenariat. Comme de juste, la France se distingue avec une solution particulièrement hypocrite: un statut de partenariat moins étendu que dans les autres pays et ouvert aux hétéros rétifs au mariage comme aux couple de même sexe; cela ne satisfait pas les besoins réels de ces derniers tout en maintenant l’inégalité de choix, entre deux statuts — l’union libre ou le partenariat — plutôt que trois — le mariage en plus.
Quant à l’adoption par des gays ou des lesbiennes, seuls ou en couple, cela reste un sujet chaud: le Danemark l’avait expressément exclue dans sa loi pionnière de 89 (la question a-t-elle été revue depuis?). Les anglo-saxons sont plus pragmatiques, qui la connaissent de cas en cas depuis longtemps (et la Grande-Bretagne, qui ne fait rien comme tout le monde, a même légiféré pour reconnaître l’adoption par un couple de même sexe avant même d’avoir un statut de partenariat — il est en cours au parlement). Pour la Suisse, la commission du Conseil national a maintenu par 12 voix contre 9 l’interdiction stipulée dans le projet de loi. En séance plénière, deux propositions de minorité seront présentées: permettre l’adoption seulement dans des situations spécifiques (enfant de la ou du partenaire, p.ex.), ou ne rien stipuler à ce propos et laisser la décision, de cas en cas, aux autorités compétentes; après tout, l’adoption n’est pas le droit d’adultes à adopter un enfant, mais le droit d’enfants à se voir attribuer un ou des parents adoptifs lorsque les parents naturels font défaut.
Peut-être bien qu’un débat de société sur l’adoption par des couples de même sexe serait utile. Et peut-être bien qu’il ne suffirait même pas à faire dérailler la loi en votation populaire. Mais j’avoue ne pas avoir envie de prendre le risque, et préférer la politique des « petits pas », à la suisse. Que la minorité parlementaire soit la plus élevée possible, bien sûr. Que les organisations de gays et de lesbiennes revendiquent, c’est dans leur rôle (mais attention, pas au point de laisser penser qu’un échec sur ce point rendrait la loi moins digne de soutien!). Mais je préfère une interdiction dans la loi, qui limitera le débat au partenariat lui-même. Elle n’empêchera pas de revenir spécifiquement sur la question, d’ici quelques années, à l’occasion d’une révision générale des dispositions sur l’adoption. Ce genre de position, c’est le confort du commentateur sur son blog, qui n’a pas (ou plus, du moins pas en ce moment, dans mon cas) de mandat électif…
MISE A JOUR DU 22.09.03: Andrew Sullivan indique que l’amendement en discussion aux Etats-Unis annullerait également les statuts de partenariat. Cet amendement a au demeurant fort peu de chances de succès (outre le vote du Congrès, il faut un vote d’une majorité de législatifs des Etats). Mais personne ne l’aurait imaginé si la revendication des gays et des lesbiennes était un statut de partenariat et non le mariage lui-même.