Un islamisme sans judéophobie est-il possible?
Bien sûr il ne fait pas souvent les gros titres, et l’Asie c’est loin de l’Europe. Mais je me souviens parfaitement d’au moins deux épisodes dans lesquels le premier ministre de Malaisie, le Dr Mohamed Mahathir, s’était illustré de manière totalement odieuse: l’élimination d’un héritier politique devenu rival au travers d’une accusation d’homosexualité et une longue polémique envers l’ancienne puissance coloniale, la Grande-Bretagne (sur ces deux thèmes, il a été imité par le tyran du Zimbabwe, Robert Mugabe).
C’est dire que je n’ai pas été surpris de lire qu’il avait inauguré la dernière session au sommet de l’Organisation de la conférence islamique par une tirade antisémite (ou plus précisément judéophobe, puisqu’il a par la suite recouru à la défense éculée qu’il ne saurait être antisémite puisque les Arabes sont aussi sémites…). Les extraits que la presse en a donné étaient clairs, même Le Monde a prononcé une condamnation sans ambiguïté dans un éditorial. Il n’y a avait plus qu’à rigoler sur Chirac qui n’en rate pas une: il est remercié par Mahathir pour avoir obtenu (pas forcément seul) que la condamnation de l’UE ne soit pas dans le relevé des conclusions du Conseil européen (qui en revanche critique le mur érigé par Israël en Cisjordanie occupée), mais seulement au nom de celui-ci par la présidence italienne, cette intervention est furieusement démentie, et Chirac se rattrape avec une lettre personnelle d’admonestation à Mahathir.
Mais le Net en général et la blogosphère en particulier ont cet avantage qu’ils permettent de dépasser l’écume ressassée par toutes les radios et toutes les quotidiens. On y trouve le texte intégral du discours de Mahathir (en anglais, pas en français malheureusement). Et à partir de là, les commentaires divergent:
— Pour les uns, les médias n’ont une fois de plus pas fait leur boulot, les propos judéophobes de Mahathir ont été atténués, l’original intégral est encore pire que ce qu’on en a dit.
— Pour d’autres commentateurs (ici Robert Krugman, mis en pièces par Oliver Kamm), il s’agit avant tout d’excuser la judéophobie islamique: elle ne serait due qu’à l’Occident en général et à Bush en particulier (refrain connu: s’il n’y avait pas de Juifs, il n’y aurait pas de judéophobie…).
— Pour d’autres encore, (Andrew Sullivan, repris et développé en français par Laurent de Polyscopique), il y a quelque chose d’intéressant dans ce discours à côté même de sa judéophobie caractérisée (et qui, chez Mahathir, est attestée de longue date): une tentative d’autocritique sur l’évolution de l’islamisme à travers les siècles (rappel de cet âge d’or du sultanat de Grenade auquel on prête volontiers une cohabitation harmonieuse des Musulmans et des Chrétiens, voire des Juifs), un appel à la modernisation, à l’ouverture et à l’effort sur soi (plutôt qu’à l’auto-apitoiement).
Je ne vois pas tant de la perfidie dans la référence de Mahathir à un traité conclu par Mahomet pour gagner du temps, avant de reprendre la bataille et de la gagner, qu’un salutaire rappel que la paix ne signifie pas qu’il faut désarmer et abandonner toute vigilance… Le pari à faire, c’est qu’une transformation intérieure de l’Islam, le retour à une certaine dignité et à l’ouverture sur le monde aura aussi pour effet de dissiper le démon de la judéophobie qui aujourd’hui sert de dérivatif au tragique échec économique et politique de l’islamisme pour le monde arabe.
C’est l’un des enjeux de la bataille d’Irak et pourquoi il est si important de réussir l’établissement d’une démocratie ouverte dans ce pays.