"Mariage gay": pourquoi je suis un menchevik
A voir comme évolue le débat autour du statut des couples de même sexe, je pense à L’Ancien Régime et la Révolution, de Tocqueville, ou à l’admonestation de Gorbatchev aux dirigeants de la DDR: « Malheur à celui qui vient trop tard! ». Si le mariage civil finit par être ouvert aux couples de même sexe, je l’accepterai (je ne crois d’ailleurs nullement que cela aurait des conséquences notables); et pourtant je reste convaincu qu’un statut spécifique de partenariat est préférable.
Le débat a d’abord commencé dans les années 80 parmi les gays, contre ceux (et surtout celles, en tout cas en Suisse) qui ne voulaient pas en entendre parler. Le SIDA avait été un catalyseur (par ce qu’il avait révélé, à la fois de la réalité des gays au quotidien et de la capacité intégratrice de la société occidentale là où l’on avait pu craindre un rejet) mais il y avait encore une forte influence d’esprit révolutionnaire post-soixante-huitard qui critiquait l’embourgeoisement, la volonté de singer le modèle dominant. Un statut de partenariat avait l’avantage de se démarquer du mariage « patriarcal » tout en représentant une reconnaissance institutionnelle que n’offraient pas les « solutions » plus modestes fondées sur une approche contractuelle ou des aménagements ponctuels de la législation.
Encore fallait-il, pour qu’il y ait véritablement reconnaissance des couples homosexuels, que ce partenariat ne soit pas banalisé mais leur soit bien réservé, comme c’est le cas depuis le modèle danois de 1989. Car un statut comme le PACS français, qui ne nomme même pas les couples de même sexe, est en réalité une codification minimale du concubinage pour hétéros réticents au mariage; c’est parfait pour ceux-ci, mais justement insuffisant pour les homos à qui le choix d’un statut plus complet reste fermé (ce qui perpétue l’inégalité entre les deux types de couple, l’homo et l’hétéro). Et je vois par ailleurs toujours à un statut de partenariat exclusivement réservé aux couples de même sexe l’avantage qu’il ne concurrence ainsi pas le mariage pour les couples hétéros.
Car après le débat parmi les gays, il fallait gagner à la cause la classe politique et l’opinion en général (particulièrement en Suisse ou tout finit par une votation). De ce point de vue aussi, ne pas revendiquer l’égalité géométrique du mariage civil pour les couples de même sexe permettait l’économie d’un affrontement émotionnel, comme on le voit justement aux Etats-Unis, qui m’apparaît profondément stérile. Je n’ai pas d’état d’âme à ce que quelque chose s’appelle mariage pour les couples de sexe opposé et partenariat pour les couples de même sexe, et que les effets de l’un ou de l’autre statut aient quelques différences; j’avoue même reconnaître sinon une supériorité du moins une antériorité au couple de sexe opposé, dont toute vie est issue (même si évidemment il n’est nullement nécessaire d’être marié, ni même hétéro, pour cela).
Mon choix n’est donc pas tactique, comme c’est le cas à propos de l’adoption (pour laquelle mon acceptation d’une clause d’interdiction visant le partenariat, en elle-même choquante, se fonde sur la conviction que cette question pourra être reprise ultérieurement — c’est d’ailleurs exactement ainsi que cela s’est passé au Danemark); je ne veux pas le partenariat aujourd’hui pour revendiquer le mariage demain.
Oui, il est regrettable que la monarchie constitutionnelle n’ait pas pu s’établir en France, comme elle a su le faire en Grande-Bretagne. Et la phrase de Gorbatchev me paraît bien s’appliquer à ces homophobes arc-boutés sur la défense du mariage traditionnel sans réaliser qu’un statut de partenariat pour les couples de même sexe leur éviterait des lendemains judiciaires douloureux… Pour ma part, je ne rejoins pas les fondamentalistes (parmi lesquels je range Andrew Sullivan, par atavisme politico-religieux probablement) et autres bolcheviks à qui cela ne déplaît pas de banaliser le mariage (et je dois probablement citer InstaPundit et autres néo-conservateurs favorables au mariage gay parmi les « idiots utiles », si je veux poursuivre la métaphore jusqu’au bout…).