L’ami français
Dans le torrent malveillant que charrie Le Monde ces temps-ci, il y a heureusement quelques consolations. Même avec retard, je tiens à signaler la tribune d’André Glucksmann, Oui, l’ami américain, parue dans l’édition du 6-7 juin.
« On parle à tort et à travers, par les temps qui courent, de ‘légitimité internationale’ . La seule, la vraie, fut inaugurée sur les plages normandes. (…)
Le droit des peuples à être libérés d’un despotisme extrême – droit au Jour J – prime sur le respect ordinaire des frontières et le principe séculaire de souveraineté. Eu égard à la Déclaration universelle des droits de l’homme, expérience des totalitarismes aidant, le très essentiel droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne doit ni garantir ni impliquer le droit des gouvernants à disposer de leurs peuples.
Le débarquement en Normandie fonde les interventions récentes au Kosovo, en Afghanistan et en Irak, même sans couverture du Conseil de sécurité. Pour une raison décisive: la légitimité inaugurale qui présida à la constitution de l’ONU l’emporte en autorité sur la jurisprudence ordinaire des institutions issues de cette légitimité fondatrice. D’autant qu’en ce dixième anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda le souvenir d’épouvantables fiascos dans la gestion onusienne n’échappe à personne et surtout pas à Kofi Annan, qui prêche, en vain, l’urgence d’une réforme radicale des institutions et de la législation internationales.
Les Etats-Unis peuvent-ils encore se réclamer du droit d’ingérence baptisé dans le sang versé pour libérer l’Europe? Oui. Malgré les ignominies récentes commises dans les prisons irakiennes, insupportables moralement, politiquement contre-productrices et stratégiquement absurdes dont ils portent l’entière responsabilité? Oui.
Car dans le pire comme pour le meilleur, les Etats-Unis demeurent une démocratie. Et même la plus exemplaire des démocraties. La seule à ma connaissance qui n’ait pas censuré, en pleine guerre, la publication des crimes commis par ses soldats. La seule où la presse et la télévision dévoilent en quelques semaines l’ampleur des exactions et scrutent librement les tenants et les aboutissants du désastre accompli. La seule où les commissions d’enquête parlementaires citent à comparaître un président, des ministres, des généraux, les chefs des services secrets en les interrogeant sans ménagement ni restriction.
Je rappelle que la France, si généreuse donneuse de leçons, n’a jamais en quarante ans inculpé, jugé ou condamné un seul des militaires qui torturèrent pendant la guerre d’Algérie. »
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