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Commentaire de l'actualité (gaie ou non!) sur terre, au ciel, à gauche, à droite, de Genève, de Londres ou d'ailleurs
News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

Un titre, sa forme et ses coulisses

Après 58 ans, Domaine Public a mis fin à sa publication. Ma contribution à l’ultime numéro

Un journal sans publicité, c’est-à-dire payé exclusivement par celles et ceux qui le font, leurs lectrices et lecteurs et leurs amies et amis. C’est une idée qui émerge à nouveau, par exemple avec Heidi.news.

Un journal qui privilégie le texte. Longtemps, il n’y a que cela, et pour une bonne raison: l’écriture, l’explication à autrui, est en définitive le meilleur moyen de comprendre soi-même ce que l’on étudie ou ce que l’on veut dire – c’est un principe que Jeff Bezos applique au fonctionnement d’Amazon: pas de réunion sans une brève note, lue silencieusement par l’assistance, pour chaque point de l’ordre du jour. 

Par la suite, des collaborations s’établiront pour publier des dessins riches de contenu (Martial Leiter), voire des photos (Helena Mach); mais pas d’image prétexte, seulement lorsqu’elle «vaut mille mots» à l’appui d’un article. 

L’exception, dans les dernières années de l’édition numérique, c’est la vignette d’appel pour chaque article qui est pratiquement un incontournable de la diffusion sur les réseaux sociaux… Cela ne veut certes pas dire que le podcast, la vidéo ou TikTok n’ont pas aussi leur place dans le futur médiatique; certaines personnes à DP s’y seraient d’ailleurs brillamment prêtées, par leur voix et leur expression, mais la compétence et le temps ne se sont pas trouvés.

Un journal qui, comme Monsieur Jourdain, a pratiqué d’instinct la philosophie des communs, du logiciel libre ou de la licence Creative Commons: la reprise des textes n’a jamais été soumise à autorisation (et moins encore à redevance), leur republication étant au contraire encouragée, pas tant pour la publicité faite au journal que pour faire circuler les idées. 

Depuis 2007, le journal n’est même plus vendu: tout est gratuitement accessible à quiconque, et la confiance placée dans les lectrices et lecteurs pour que certains d’entre eux apportent la contribution volontaire de leur choix s’est vérifiée au-delà de toutes les espérances.

Un journal sans journalistes, essentiellement écrit et dirigé par des amatrices et amateurs bénévoles, et cela pendant 58 ans. Si DP respecte et encourage le professionnalisme et l’éthique dans la profession, il ne croit pas que celle-ci doit viser un monopole que l’Internet a explosé s’il a jamais existé, ni même représente un magistère. 

Jusqu’en 1972 préparé avec le seul appui (certes considérable au temps de la typographie: la copie se finalisait au «marbre») d’imprimeurs dévoués, puis toujours sous la haute main de l’équipe lorsqu’un support professionnel permanent s’est imposé à partir du passage à l’hebdomadaire qui a suivi la disparition du quotidien socialiste Le Peuple-La Sentinelle. Laurent Bonnard, venu de la Gazette de Lausanne, a fortement contribué à forger pour celles et ceux qui lui ont succédé ce rôle délicat et solitaire. 

DP a aussi choisi en précurseur de saisir les opportunités technologiques de reprendre le contrôle de la publication, de la préparation des articles sur les premiers ordinateurs personnels à la mise page sur écran envoyée électroniquement pour impression et envoi, jusqu’à la dématérialisation complète dès 2007.

Un journal qui se tient dans les limites de ses moyens financiers et rédactionnels: quatre pages bimensuelles au début, huit pages hebdomadaires ensuite – mais longtemps d’un petit format oblong dû à l’ingénieuse récupération de chutes utilisées pour une autre publication – et pour les dernières années la souplesse en accordéon de la publication numérique pour laquelle le format n’est pas une contrainte (et l’édition PDF est à pagination variable). 

À verser aussi à ce chapitre l’étonnante rapidité avec laquelle la décision est prise, en 2006, de renoncer à l’impression et la distribution physique en raison de son coût pour faire le saut du web – comme, le mois dernier, de mettre fin à la publication, sans tambour ni trompette.

Article paru sur Domaine Public (DP 2331).