Ne pas se fier aux titres
Grande nécrologie de Maurice Couve de Murville dans le Daily Telegraph de mercredi — mais avec ce visage rond et souriant il y avait manifestement erreur sur la photo? En fait, Couve est bien mort en 1999, « homme politique français, protestant, premier ministre pendant 11 mois… ». Son homonyme britannique était lui archevêque catholique romain de Birmingham jusqu’en 1999.
Hier c’est à un tout autre niveau qu’un titre sur toute la largeur de la page, dans Le Monde, induisait richement en erreur:
Royaume-Uni – Dans le discours du Trône, le premier ministre a présenté un programme axé sur la sécurité
M. Brown rompt avec la société libérale de M. Blair
Tout entier fondé sur un entretien du correspondant à Londres, Marc Roche, avec Howard Davies, un ancien dirigeant du patronat recruté par Gordon Brown dans son gouvernement, l’article obscurcit encore le sens, déjà pauvre, du mot « libéral » dans le vocabulaire politique français. Le titre restaure le sens classique: anti-autoritaire sur les questions de société. Mais c’est une absurdité[1]: sur la sécurité, les mesures policières, le contrôle de l’immigration Brown ne fait que continuer l’action de Blair[2]. Qui ne mériterait par ailleurs pas d’être décrite comme exclusivement sécuritaire. On retombe sur la triangulation familière à la Troisième Voie clinto-blairienne, très bien expliquée dans la fascinante biographie de l’ancien ministre David Blunkett (par Stephen Pollard) que je suis en train de terminer: l’action répressive se doit d’être efficace (comme l’école ne doit plus former des jeunes qui ne savent pas lire, écrire et compter, comme l’action sociale doit remettre au travail de préférence à payer des indemnités) pour inspirer confiance, car sans celle-ci il est illusoire de croire que la société peut accepter une politique ouverte.
En réalité, les quelques exemples donnés par Roche / Davies (ouverture de casinos, heures de fermeture des pubs) renvoient plutôt à l’autre sens du mot « libéral », celui usuel en France: c’est bien sur le matérialisme mercantile, l’acceptation de la société de consommation et de la place de l’argent que l’on peut plus utilement évoquer une différence d’accent entre Brown et Blair[3] (au demeurant modeste, Brown est probablement personnellement plus austère, mais il ne communie pas moins dans l’admiration vis-à -vis des entrepreneurs privés et de leurs méthodes; il a simplement davantage tendance à croire qu’il peut avoir le beurre et l’argent du beurre). Mais les allers-retours sur le canabis ou les heures de fermeture des pubs ne sont que l’application d’un autre principe du New Labour: il ne faut pas y lire une étiquette idéologique mais la recherche de ce qui marche (pour lutter contre la toxicomanie et la culture de la cuite), et si ça ne marche pas on change. C’est vrai que Sarkozy semble avoir retenu pas mal de leçons du blairisme…
Notes
[1] Le discours du Trône contient par ailleurs ces archétypes du libéralisme sociétal que sont l’extension à l’homophobie du dispositif pénal antiraciste et l’ouverture de l’insémination artificielle aux couples de même sexe.
[2] Il a en particulier repris à son compte la mise en place, enfin, de pièces d’identité (et titres de séjour pour les étrangers) pour tous, à laquelle il était précédemment réticent — pour des raisons de coût, comme ministre des finances.
[3] Mais, contrairement à ce que raconte Davies, c’est bien Blair qui est plus en phase avec l’opinion que son successeur!