Echangisme dénaturé
Je l’avoue, j’avais pris du plaisir à déguster quelques épisodes de On a échangé nos mamans, que j’estimais plutôt inoffensif, tout en me disant, comme maintes productions de télé réalité, cela ne pouvait prétendre à label bio, mais être au contraire enrichi d’additifs en tout genre. Le concept est en effet séduisant. (Pendant deux semaines, deux mères de famille très différentes sont échangées, chacune devant prendre la place de l’autre – sauf dans le lit du mari. La première semaine, la nouvelle mère doit s’adapter sans mot dire et la deuxième semaine, elle doit imposer ses règles, notamment par rapport aux enfants.)
Une fois de plus, Arrêt sur images de Daniel Schneidermann aura mis à jour un cynisme télévisuel ordinaire. D’une part, les personnages sont reconstitués. Comme le jambon « modèle » ou les rondelles d’oeuf sur les canapés. On a par exemple décidé de construire une opposition mère économe – mère dépensière, ce qui fait qu’on monte en épingle une petite et unique déclaration, au besoin suscitée artificiellement, et qu’on garde les séquences qui vont dans ce sens. D’autre part, la plupart des scènes sont jouées, ce qui nécessite plusieurs prises. Un réveil qui dans la réalité a eu lieu entre 6 et 7 heures est filmé bien après quand l’équipe de tournage arrive dans la matinée. Des situations de conflits sont provoquées. Par exemple, les aléas de la production ont empêché un papa substitué (car, à une reprise, ce sont les pères qui ont été échangés) de préparer le repas, ce qui a permis de filmer quelques remontrances et de renforcer l’idée (construite pour les besoins du scénario) qu’il était un macho paresseux. Comme il était Corse, il avait suffi qu’il s’allonge quelques minutes sur le canapé (en attendant qu’on remédie à un problème technique) pour qu’au montage – c’est-à -dire dans le récit et le commentaire – cela devienne un sieste de plusieurs heures.
Ce qui m’exaspère, c’est ce mépris de la réalité, du public – et des candidats. Surtout, bien sûr, que je me suis fait en partie avoir. En partie parce que je me disais bien qu’il était peu vraisemblable pour bien des séquences d’avoir été prises sur le vif. C’est l’aspect à la limite diffamatoire pour les candidats qui est révoltant. D’autant plus qu’ils ont eux aussi témoigné avoir été abusés jusqu’à la dernière minute sur la nature de l’émission…
Toutefois l’émission serait mensongère à un autre niveau, puisqu’elle serait construite sur des différences autres que celles qu’elle proclame. En effet, un des participants d‘Arrêt sur images a utilisé un concept qui pourrait sembler d’un autre âge. Il a parlé de lutte des classes. Pour dire que ce qui opposait les familles de On a échangé nos mamans, ce n’était pas les caractères, les tempéraments ou les conceptions de la vie, mais le revenu, qui détermine l’aménagement intérieur et le style de vie. Ce qui fait que le téléspectateur serait invité à occuper, sur le mode voyeur, la position d’un bourgeois snob qui s’épouvante avec délectation à propos du mauvais goût du bas peuple. Je ne sais pas si le concept de lutte des classes s’applique au jugement allant dans l’autre sens, à savoir celui des classes populaires stigmatisant le snobisme bourgeois. En tout cas, une des anciennes candidates a raconté comme on l’a incitée à marquer ses exclamations au moment où elle découvrait son nouvel intérieur, et elle estimait que cela la faisait injustement passer pour méprisante et hautaine. Je ne crois pas être foncièrement marxiste, mais je dois reconnaître qu’il y a des cas où le recours aux gros grands mots n’est pas totalement dénué de pertinence.
C’est une excellente émission. La télévision française est d’ailleurs étonnante en diffusant Arrêt sur images et Le vrai journal (c’était une spéciale Mitterrand dimanche) à la même heure! Au-delà de l’horaire, je partage ton opinion mais j’ai été surpris que personne de M6 ou de la société productrice ne soit là pour se défendre, ce qui est normalement le cas chez Schneidermann. Refus devant l’obstacle ?!
En principe, je ne rate aucun épisode d’ASI, toujours intéressant et même succulent, bien que l’émission ait aussi ses pièges et ses contradictions dans lesquels elle tombe, comme Pierre Carles l’a bien montré dans Enfin pris?. Quant au Vrai journal, je ne lui pardonne pas son appétit sensationnaliste qui l’a amené à surenchérir dans la tentative de lynchage de Dominique Baudis. (Cf. cet article du Nouvelobs où Baudis raconte comment il a vécu cet enfer au jour le jour)