Un Swissroll RSS

Webmix

Commentaire de l'actualité (gaie ou non!) sur terre, au ciel, à gauche, à droite, de Genève, de Londres ou d'ailleurs
News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

La légèreté délicieuse qui sous-tend la Création

Il y a plusieurs manières d’évoquer le mystère de la venue du Fils de Dieu dans le monde. Matthieu et Luc ont inséré dans leurs évangiles des récits sur la naissance de Jésus, qu’ils ont fait entrer en résonance avec l’Ancien Testament, et avant tout avec les prophètes. Matthieu et Luc font intervenir des anges. Marc ne parle pas de la naissance de Jésus. Ses premiers mots sont: « Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus ». Une irruption presque brutale de la parole de Dieu présente dans le message de Jésus adulte.

Quant à  Jean, il parle aussi de Jésus comme la Parole de Dieu. Mais en plus, il médite, il contemple la double relation que la Parole entretient avec Dieu, d’une part, et qu’elle entretient avec les humains d’autre part. Jean est celui qui a le plus thématisé la notion de Père et de Fils. Innovation absolue dans la pensée théologique? Pas sûr, si on se réfère à  un très beau texte poétique de l’Ancien Testament qui met en scène un personnage féminin se présentant comme premier « enfant » du Créateur. Ce personnage fait les délices du Créateur et trouve ses délices parmi les humains.

Voici d’abord le début du Prologue de Jean:

Au commencement, lorsque Dieu créa le monde, la Parole existait déjà ; celui qui est la Parole était avec Dieu, et était Dieu. Il était donc avec Dieu au commencement. Dieu a fait toutes choses par lui; rien de ce qui existe n’a été fait sans lui. En lui était la vie, et cette vie donnait la lumières aux humains. La lumière brille dans l’obscurité, et l’obscurité ne l’a pas reçue. (…) Celui qui est la Parole est devenu un homme et a vécu parmi nous, plein de grâce et de vérité. Nous avons vu sa gloire, la gloire que le Fils unique reçoit de son ère.

(Evangile de Jean, chapitre 1, versets 1-5 et 14)

Et maintenant, voici un texte de l’Ancien Testament qui a probablement inspiré Jean – du moins la tradition dont il émane.

Le Seigneur m’a créée la première de ses oeuvres, / Avant ses oeuvres les plus anciennes.

J’ai été établie depuis l’éternité, / Dès le commencement, avant l’origine de la terre.

Je fus enfantée quand il n’y avait point d’abîmes, / Point de sources chargées d’eaux;

Avant que les montagnes soient affermies, / Avant que les collines existent, je fus enfantée;

Il n’avait encore fait ni la terre, ni les campagnes, / Ni le premier atome de la poussière du monde.

Lorsqu’il disposa les cieux, j’étais là ; / Lorsqu’il traça un cercle à  la surface de l’abîme,

Lorsqu’il fixa les nuages en haut, / Et que les sources de l’abîme jaillirent avec force,

Lorsqu’il donna une limite à  la mer, (pour que les eaux n’en franchissent pas les bords), / Lorsqu’il posa les fondements de la terre,

J’étais à  l’oeuvre auprès de lui,

Et je faisais tous les jours ses délices, / Jouant sans cesse en sa présence,

Jouant sur la surface de sa terre, / Et trouvant mes délices parmi les humains. »

(Livre des Proverbes, chapitre 8, versets 22 à  31)

Dans ce passage du livre des Proverbes, c’est la Sagesse éternelle qui parle.

En effet, au début du livre des Proverbes, on a souvent la sagesse qui est personnifiée. C’est Dame Sagesse. Elle est opposée à  Dame Folie. Toutes les deux, elles cherchent à  attirer les humains, à  les courtiser. La première conduit à  la vie. Tandis que la maison de la seconde est l’antichambre de la mort. Or Dame Sagesse invite les humains à  un festin. On a déjà  là  la notion implicite des délices. Dans le livre des Proverbes, la relation à  Dieu, c’est-à -dire à  la vie en plénitude, n’est pas associée à  l’austérité ou à  la privation.

Mais dans le passage que nous avons lu, la Sagesse emploie un autre argument pour persuader les humains, elle se présente sous d’autres traits:

Le Seigneur m’a créée la première de ses œuvres…/ J’ai été établie depuis l’éternité… / Je fus enfantée quand il n’y avait point d’abîme

Il y a un argument d’ancienneté (j’étais avant toutes choses – on peut donc me faire confiance), mais il y a des arguments qui ne relèvent pas de la morale raisonnable: la présence de la Sagesse aux côtés du Créateur est caractérisée a) par le jeu et b) par les délices,

a) Le jeu: la Sagesse joue sans cesse en la présence de Dieu / elle joue sur la surface de sa terre

Voilà  qui peut aider à  une « représentation » beaucoup plus dynamique des relations du Père et du Fils. On n’a pas le Père et le Fils immobiles de toute éternité: on a la création, la création qui est une joie, un jeu, un jeu d’enfant. La création est sous-tendue par la joie

b) Les délices: la Sagesse est aussi présentée comme quelqu’un qui fait les délices du Créateur elle est comme un enfant chéri, comme une fille chérie. Et de même qu’elle fait les délices du Créateur, les humains font ses délices

C’est exactement la relation qui est thématisée à  propos de Jésus dans l’évangile de Jean: le Père aime le Fils et le Fils aime les humains comme il est aimé du Père. Sauf que dans les Proverbes, c’est plus léger. Il y a l’idée du jeu qui accompagne l’évocation poétique de la création depuis ses débuts.

Et peut-être qu’on aurait besoin de redécouvrir cette légèreté qui est associée à  la grandeur de la création. Comme lorsque l’œuvre d’un tout grand artiste apparaît comme un jeu d’enfant. Ainsi, la délicieuse et joueuse fille aînée de Dieu offre peut-être une troisième voie entre, d’un côté, prendre la religion trop au sérieux, mener une guerre sainte pour Noël, et, d’un autre côté, rejeter le tout parce que c’est trop lourd ou trop kitsch ou trop infantilisant ou antimulticulturaliste.

D’après un message délivré lors d’une célébration de Noël entre amis