Rocard et le congrès du Mans
Un lecteur de ce blog s’est étonné que je ne parle pas de la déclaration de Michel Rocard sur une éventuelle scission au sein du PS après le Congrès du Mans. La vérité est que je n’étais pas encore remonté au texte, et les compte-rendus me laissaient un peu désabusé: une de ces phrases bizarres dont il le secret sur la minorité qui devrait « se soumettre ou se démettre », formule appliquée normalement à un exécutif qui a perdu sa légitimité (il était une fois venu à Genève faire un discours, et je suis idéologiquement un fan, mais comme orateur je ne l’ai vraiment pas trouvé terrible), l’évocation de la scission en se plaçant dans l’éventualité où lui et ses amis seraient minoritaires, ce qui me semble tactiquement malheureux: mieux valait évoquer la victoire de son camp et pousser les autres à partir! Et puis, je ne pouvais qu’être d’accord, évidemment, sans avoir grand-chose à ajouter…
Depuis, Damien de Samizdjazz m’a poussé à lire l’interview elle-même. Il y a je trouve encore une troisième arrête du même type: une remarque vaguement aigrie sur Emmanuelli qui l’aurait empêché d’être le candidat du PS en 95 contre Chirac, « et, qui sait, de gagner ». Je me souviens de 69, candidat du PSU, de 74, quand Rocard inculquait des rudiments d’économie à Mitterrand, puis des vraies-fausses candidatures de 81 et 88, mais 95, vraiment? Entre Emmanuelli et Jospin?
Mais pour le reste, quel bonheur! C’est le Rocard du parler vrai, menant joyeusement la charge contre les paléosocialistes et autres altermondialistes sans souci pour le « politiquement correct » de gauche:
Il faut régler ce débat centenaire entre pseudo-marxistes et vrais réformistes. Entre les héritiers de Jaurès et les continuateurs de Guesde, cet idéologue marxiste qui n’avait sans doute même pas lu le Capital… Le PS comprend des néo-guesdistes, qui croient aux changements décrétés et aux protestations impuissantes, et des jaurésiens, qui savent qu’on ne peut avancer que dans le compromis concret. Nous vivons depuis 1905 dans cette confusion.
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Il faut jeter à la poubelle ce patois marxiste qui fait écran à la réalité. Nos camarades européens l’ont fait avant nous, et de manière spectaculaire, flamboyante! Ils ont bien plus influencé et amendé leur société que nous-mêmes.
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Ce qui est important, c’est de ne rien céder sur l’essentiel. Nous sommes sociaux-démocrates. Nous voulons construire en Europe un modèle économique et social fait de liberté, d’efficacité et de protection. Nous ne pensons pas que l’on puisse faire des réformes de structure rapides et définitives. Nous sommes partisans de petites avancées, de petits progrès, de choses tenables. Tout cela doit être affirmé dans nos textes de congrès. Le pire serait de rester dans la confusion.
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Quand je lis les tenants du non à la Constitution européenne, je me rends compte à quel point des gens comme moi sont un boulet pour eux. Ils pensent que le choix de l’Europe est un piège qui nous entraîne dans le néolibéralisme en nous privant de nos leviers de commande. Ils croient au retour de la politique nationale. Je pense exactement le contraire. Au fond, nous devenons de jour en jour insupportables les uns aux autres. Nous nous paralysons mutuellement. Nous devons nous libérer.
(…)
Comment peut-on être intelligent, participer à des cercles universitaires et créer Attac, ce monument de bêtise économique et politique? Cela me sidère et me navre. Je vois évidemment d’où vient cette influence. Elle est liée au fétichisme marxiste et à l’inculture économique française. On n’enseigne pas l’économie réelle à nos enfants. Mais des enseignants adhèrent au fatras d’Attac? Il faut s’affirmer face à ces simplismes et ne plus les subir. (…) [On peut] parler aux gens d’Attac. Mais l’important est ce [que l’on] dira aux altermondialistes. Si l’on fait la moindre concession, alors on s’égare et on se suicide. Et on ne résout pas les problèmes des gens. Quand il y a un conflit social, gauchistes comme populistes réclament toujours un peu plus, un peu trop pour être sûrs que ça ne marche pas.
Mais tout ça pour déboucher sur quoi? Sur l’idée qu’en cas de victoire réformiste au Congrès, Hollande et Strauss-Kahn devraient avoir leur dîner au Granita pour savoir lequel des deux sera le candidat à la présidentielle: je ne veux pas être méchant, mais ni l’un ni l’autre n’est Blair ou Brown. Entre les deux je préfère DSK mais, dans la situation française et face à Sarko, Kouchner me paraît plus approprié. Pour continuer cette parenthèse de comparaison internationale, je note d’ailleurs que la gauche démocratique britannique ne fonctionne pas, elle, à la scission: la démarche de la Bande des Quatre fondant un parti social-démocrate face à la dérive travailliste d’alors a fait long feu, et aujourd’hui Blair (qui est parmi ceux qui ne les avaient pas suivis tout en étant sur la même ligne) incarne, sans céder sur rien, un parti dans lequel subsistent pourtant des dinosaures à côté desquels Emmanuelli est une guimauve néo-libérale: c’est ce qu’on appelle ici l’esprit tribal du parti travailliste, auquel Blair est d’ailleurs visiblement imperméable. Quant aux socialistes allemands, la scission s’est faite dans l’autre sens, avec le départ de Lafontaine. Mais ceux qui croient à une gauche de rupture contre la sociale-démocratie devraient méditer sur l’échec brésilien: après le succès, réel mais non sexy, du président social-démocrate Fernando Henrique Cardoso, l’illusion romantique l’avait emporté avec Lula — et maintenant tout est à reconstruire. Qui va s’y coller? Le successeur manqué de Cardoso, José Serra, maire de Sao Paulo, avec un peu de chance.
C’est dire que la (petite) blogosphère francophone libérale de gauche est en effervescence! Outre Samizdjazz déjà cité, Jules, qui est un socialiste partisan du oui au Traité constitutionnel dont le blog Diner’s room trouve sa source dans ce débat fondamental, renvoie aussi à une excellente interview de Bernard Kouchner dans le Figaro (qui confirme sa posture « présidentielle »). Et je suis d’accord avec la typologie de Versac, qui ne voit comme vrais sociaux-libéraux que Rocard, Kouchner et Bockel, et renvoie Strauss-Kahn et Hollande, comme Fabius, dans le « ventre mou » du parti, à côté de la gauche de rupture.
Dans un autre genre, à signaler l’approche un brin cynique de Paxatagore: le conflit est même moral plus qu’idéologique, mais il ne mérite pas qu’on se batte…
COMPLEMENT DU 26.08 à 17h45: C’est le genre de texte où je profite sans vergogne de la possibilité qu’offre le blog de corriger l’expression de sa pensée; je n’aimais pas qualifier les « guesdistes » de gauche radicale comme plusieurs blogs: ça me semblait leur faire trop d’honneur. Et j’ai retrouvé chez Eric Dupin (via phnk) gauche de rupture qui me convient mieux.
COMPLEMENT DU 29.08 à 23h45: Rocard détaille son analyse historico-idéologique dans une interview au Figaro.
Petite précision : si je suis effectivement partisan du traité constitutionnel, je ne suis pas socialiste.
En tout état de cause, je suis sceptique sur une quelconque scission, et pessimiste quant aux orientations du PS et au delà , de la gauche française.
« Pas socialiste », mais de la gauche libérale: en quelque sorte, c’est bien dommage! 😉
Scindre le Parti Socialiste
Michel Rocard a présenté la scission du Parti Socialiste comme une éventualité. Le langage employé dans l’interview accordée au Nouvel Obs est suffisamment plurivoque pour que l’on ne sache pas s’il agit d’une recommandation ou juste d’une…
Qu’est-ce qui est dommage ?
La gauche libérale ?
Que je ne sois pas socialiste ?
😉
J’ai bien peur que le « parler vrai » reste un simple ensemble de formules ordurieres, a moins que j’ai raté un « vrai » programme (précis et détaillé) dans un camps ou dans l’autre d’ailleurs.
Laurent
Jules: dans la lutte autour des idées, la gauche libérale est affaiblie par l’inclination de certains de ceux qui la constituent à préférer la position du spectateur, même engagé, à celle du militant (alors que la gauche de rupture, elle, attire tout naturellement les militants pathologiques)… C’est particulièrement frappant dans les pays comme la France où la sociale-démocratie est plus intellectuelle que nourrie de pratique de terrain.
Mais c’est le point de vue de quelqu’un qui est tombé dans la marmite quand il était petit: j’ai adhéré au PS à 15 ans, je tiens le militantisme associatif pour la continuation naturelle du scoutisme. Et l’adversité ne me fait pas peur, il faudrait vraiment un tremblement de terre pour me faire le quitter (du type, évoqué par Rocard, où le PS français ne pourrait plus être reconnu comme membre par le parti socialiste européen, ce qui exigerait la création d’un nouveau parti). C’est le scénario que nous avons connu à Genève quand le PS local, où les deux lignes étaient présentes comme elles le sont en réalité dans tout PS (et c’est très bien ainsi, la pureté idéologique est une maladie trotskyste) a approuvé le pacte germano-soviétique sous l’impulsion de Léon Nicole: le parti genevois a été exclu du parti suisse, celui-ci a reconnu une dissidence qui a rapidement reconquis l’électorat (les nicolistes ont disparu une douzaine d’années plus tard) et qui est l’actuel PS genevois.
Je reconnais que le militantisme n’est pas exactement ma tasse de thé. Je suppose que c’est en ce sens que tu faisais valoir des regrets sur ma correction supra.
Cependant, je dois avouer que je demeure circonspect sur le Parti Socialiste. Supposons que je souhaite m’engager dans un tel mouvement, il me faut adhérer à des valeurs communes qui soudent la comunauté des adhérents.
La question que je me pose aujourd’hui est précisément celle de ces valeurs communes, comme je l’ai exposé dans le billet auquel tu fais référence.
Autrement dit, sur un plan symbolique, est-ce bien le socialisme dans lequel je me reconnais ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une certaine conception de la justice sociale ? Et si c’est le cas, celle-ci est-elle partagée par la communauté du PS ?
Autre question : admettons, pour les besoins de la discussion, que le PS soit un parti social-démocrate, et non plus socialiste. Le terme « socialiste » ne demeure plus guère que pour résonner symboliquement dans l’imaginaire des électeurs et des adhérents. Mais d’une certaine façon, c’est ce qui m’inquiète le plus. La force du symbole est telle qu’elle interdit pratiquement un certain nombre d’options pratiques.
Et puis, j’ai également des aspirations symboliques. Je suis attaché à la liberté individuelle, et je dois avouer que j’ai quelque difficulté à entendre le libéralisme présenté comme l’archétype de l’idéologie du mal.
Autre chose, encore (peut-être l’objet d’un futur billet) : j’observe que le champ lexical des discours du PS (de la gauche en général) appartient, pour le mieux, à une optique protectrice. Pour faire vite, le vocabulaire comme les arguments employés, consistent à présenter le monde comme l’objet de menaces contre lesquels il convient de se protéger.
Je préfèrerai que le monde soit conçu comme un champ d’opportunités individuelles et collectives ; un environnement dans lequel les hommes peuvent trouver leur réalisation.
J’admets cependant que mes préventions sont réversibles : pourquoi ne pas m’efforcer d’intégrer la machine pour en infléchir le fonctionnement ?
Et bien, pour l’essentiel, à cause de cette question des valeurs communes que j’ai évoquée plus haut. Et puis également parce que je m’offre le temps d’affiner également mes opinions (voire ma pensée) ; l’objet de mon blog, du reste.
Bref, moins qu’un observateur engagé, il me semble davantage que j’appartiens à la catégorie des observateurs sceptiques.
Jules: oh, je partage bien des points de ta réflexion et comprends parfaitement ta position! Voir p.ex. (sur un point qui curieusement ne fait guère débat dans la gauche française, en tout cas au sein du PS) ce billet.