"Da Vinci Code": mieux qu’un James Bond
Je n’avais aucune intention de lire le livre: même Le pendule de Foucault de Umberto Eco m’est tombé des mains après un tiers, tant un scepticisme rationaliste me protège, Dieu merci, des théories du complot et autres secrets qui mènent le monde (des notions extrêmement malsaines comme le rappelle Koz en citant de bons auteurs). Mais je me réjouissais de voir le film car la théologie-fiction n’est au fond une variante de la politique-fiction que j’aime bien: vous avez lu Fatherland (en v.o.), avec le vieux chancelier Hitler qui accueille dans le Berlin de Speer, en 1964, le vieux président américain Joseph Kennedy venu faire la paix? Lu ou vu Archange (en anglais, Archangel), la résistible ascension du fils secret de Staline dans la Russie post-1989? Tous deux de l’excellent Robert Harris, très au-dessus de Dan Brown.
Je n’ai pas été déçu. On aura compris que je ne suis pas un de ces cinéphiles à l’affût des « citations » cultivées. Je suis « bon public » pour le meilleur et pour le pire, films commerciaux comme comédies déjantées, m’arrangeant pour voir le film au premier, au deuxième ou au troisième degré… Une fois dans le bon registre, ça passe très bien. Il faut surmonter un certain nombre d’invraisemblances et de retournements mais ce n’est pas pire que n’importe quel James Bond ou Guerre des étoiles (auxquels j’ai tendance à m’ennuyer): qu’est-ce que ce Sénéchal du Prieuré de Sion, héritier de 20 siècles de tradition sacrée, qui se met bêtement à lâcher le morceau simplement parce qu’il est menacé d’un pistolet? Puis se peinturlure et laisse un jeu de piste pour Tom Hanks? Comment McKellen, quand même handicapé, se débrouille-t-il une fois qu’il a empoisonné son homme à tout faire qui en sait trop? J’ai aussi adoré les archives de 2000 ans de filiation christique ouvertes à tout vent dans une crypte de la chapelle de Rosslyn, derrière une chaîne « défense d’entrer », ou l’idée que le sarcophage de Marie-Madeleine est maintenant sous la pyramide du Louvre (je vois très bien Ieo Ming Peï et Mitterrand, dont le goût des cimetières prend ainsi une autre tournure, prêter leur concours au conservateur!): ils n’ont pas trop de malades qui tentent de la déterrer, j’espère?
Mais l’intrigue centrale soutient l’intérêt, entre l’Opus Dei et son improbable et homoérotique moine albinos, éprouvé par les souffrances qu’il s’inflige mais néanmoins fit comme un marine, acharnée à liquider la descendance du Christ et de Marie-Madeleine, et le Prieuré de Sion qui la protège, avec McKellen en troisième force désireuse d’exploser la mystification (je songe à bien d’autres développements, mais peut-être sont-ils dans le livre, comme « l’assassinat » de Jean-Paul Ier Luciani qui voyait Dieu comme un Père et une Mère…). On se promène dans de belles villes et de belles églises. Et les flashbacks historiques sont bien enlevés.
Plus sérieusement, ce qui m’a fasciné dans cette histoire c’est la confusion entre filiation biologique (quel que soit le degré de dilution, en quelque sorte) et succession héréditaire dynastique, en l’occurrence matrilinéaire: Jésus et Marie-Madeleine (qu’il aurait évidemment désignée pour lui succéder à la tête de l’église naissante) comme un couple royal de droit divin (évidemment) et leur lointaine descendantE appelée à (re)monter un jour sur le trône… Le Vatican d’aujourd’hui en paraît carrément démocratique avec son pape élu par le Conclave! Mais ça m’a aussi fait penser à … Nelson Mandela. S’il est bien sûr un leader extraordinaire par ses propres mérites, à l’occasion d’un dîner que la reine lui offrait à Londres j’ai appris que sa fille portait le titre princesse car, comme le hasard fait bien les choses, Mandela est aussi de rang royal Xhosa. Vertigineux, non? Mais la morale anti-légitimisme est sauve: c’est par adoption et éducation, pas par le sang!
Il est dommage que tu n’ais pas fini le pendule de Foucault car Umberto Eco y démontre très bien comment les adeptes du secret et autres propagateurs malsains raisonnent, en considèrant toute coincidence comme une preuve Ceci dit, on peut s’appuyer sur des thèses farfelues et faire un livre plein de rebondissements, la preuve, le Da Vinci Code, alors que Eco est parfois très ennuyeux
La Bible est très friande de filiations biologiques, mais prône aussi la filiation par adoption dans quelques grands textes fondateurs. Une hérésie appelée adoptianisme pense que Jésus est devenu fils de Dieu seulement à son baptême, et par adoption, quand la voix venue du ciel a déclaré qu’il était le fils bien-aimé. Autre scandale potentiel: dans la généalogie du Christ proposée par Matthieu figurent quatre femmes – dont une prostituée (à côté d’une goy, de la femme dont le roi David a envoyé le mari à la mort pour pouvoir l’épouser et… d’une fille-mère vierge!).
Jésus pour sa part a déclaré que sa mère et ses frères n’étaient pas sa parenté biologique (qui le traitait de fou), mais ceux qui le suivaient. Aujourd’hui, seul un chef de secte tiendra ce langage – ou plutôt, on qualifera de sectaire tout discours allant dans ce sens. L’Armée du Salut, à ses débuts, a essuyé ce genre de critiques, qui étaient très violentes (accompagnées de jets de pierres).
Pour ce qui est du film, je ne pense toujours pas aller le voir. A mon corps défendant, je dois avouer que je regarde un film plutôt en esthète critique qu’en bon public, avec cependant une larme facile qui me rachètera peut-être. Mais y a-t-il matière à pleurer dans ce film, à part la beauté des églises?
@Verel: j’étais probablement déjà convaincu!
@Guillaume: lol, non, je dirais que c’est émotion zéro (comme sexe zéro, ce qui n’est pas fréquent au cinéma il me semble), ou alors à la fin Amélie Poulain retrouvant sa grand-mère à Rosslyn, mais c’est tellement grotesque que ça ne m’a pas touché; un peu de violence… C’est un film d’action plutôt cérébral, donc 😉
« qu’est-ce que ce Sénéchal du Prieuré de Sion, héritier de 20 siècles de tradition sacrée, qui se met bêtement à lâcher le morceau simplement parce qu’il est menacé d’un pistolet? »
Meuh non, il ne lache pas le morceau, il renvoie le moine sur une fausse piste « tu n’ira pas au delà « .
Je crois qu’il ne faut pas mal interpréter le Pendule de Foucault: c’est une apologie du rationalisme et du sens critique. C’est un livre qui, curieusement, donne une perspective ironique et lucide sur le DaVinci Code et sur les best-sellers de cet ordre. Sans parler de ceux qui cultivent la théorie du complot. Le Pendule de Foucault est certainement un livre difficile, mais c’est sans doute là une partie de sa valeur.
@Antoine: Oups pardon, quand je disais que l’intrigue était cérébrale… 😉
@ià±igo: Oui, j’avais bien compris que c’était le propos, mais comme il utilise pour ce faire la forme du roman et les armes de ceux qu’il veut dénoncer… Mais je m’y remettrai peut-être: après tout j’avais adoré Le nom de la rose que j’avais lu deux fois de suite (la première fois pour l’intrigue, la deuxième pour le texte), ou le recueil d’articles L’art du faux.