Couples de même sexe: le chemin parcouru
L’approbation par le peuple (c’est une première mondiale) du partenariat enregistré pour les couples de même sexe (la loi en français, en allemand, en italien) à une nette majorité de 58% après un débat parfaitement serein, et cela dans un pays profondément conservateur qui n’a accordé le droit de vote aux femmes qu’en 1971 et n’a rejoint l’ONU qu’en 2002, est un symbole frappant du chemin parcouru dans l’ensemble des sociétés occidentales — mais n’oublions pas les autres, où beaucoup reste à faire! Et cela en fort peu d’années.
Je me souviens des préparatifs, au début des années 1990, de ce qui est devenu la pétition « Les mêmes droits pour les couples de même sexe », alors que j’avais rejoint un comité alémanique désireux de lancer ce débat; il se réunissait d’abord à Olten, centre du triangle Zurich – Bâle – Berne, avant de se déplacer à Berne comme il convient à un projet national. Nous contactions, selon l’habitude, des personnalités du monde politique, économique ou culturel pour leur demander si elles seraient disposées à donner leur nom à titre de liste initiale de soutien (tout en cherchant évidemment à conserver à certain équilibre représentatif). Nombre de personnes qui ont répondu non alors, ou ne se sont pas engagées sans peser prudemment le pour et le contre pour leur carrière, ont certainement voté oui aujourd’hui sans le moindre état d’âme.
Au demeurant, un non vaut parfois un oui. J’avais sollicité, fin 1993 ou début 1994, l’un des députés de Genève au Conseil des Etats, le radical Gilles Petitpierre, parlementaire écouté, que je connaissais personnellement notamment parce qu’il avait été mon professeur de droit de la famille; il m’avait répondu négativement, avec l’honnêteté scrupuleuse qui le caractérise, estimant que la pétition allait trop loin en stipulant: « Les couples de même sexe qui construisent une relation durable doivent pouvoir obtenir fondamentalement les mêmes droits que ceux conférés aux couples hétérosexuels par le mariage. » Mais le 15 mars 1994, il déposait une question écrite:
Plusieurs pays ont légiféré sur la situation des couples de même sexe, en particulier pour ce qui touche ses aspects sociaux. Le Danemark, la Norvège, la Suède indirectement, lui ont conféré des effets semblables à ceux du concubinage entre personnes de sexes différents. Etant donné que le droit suisse ne régit formellement pas cette dernière situation, l’analogie est évidemment exclue. Le Conseil fédéral entend-il approfondir l’étude de la question et peut-il nous faire part de ses intentions en la matière?
Une semaine plus tard, le 22 mars 1994, avait lieu la conférence de presse de lancement de la pétition (j’ai eu l’honneur d’y être l’orateur francophone, si d’aventure quelqu’un détient l’article du Tages Anzeiger avec photo qui manque à mes archives…), et cette démarche parlementaire, la toute première du genre, qui était une complète surprise pour nous, a d’emblée contribué à notre crédibilité au vu de son auteur. La pétition a été déposée en décembre de la même année avec 85’000 signatures, dont la récolte a déjà témoigné d’un accueil bien moins hostile que nous ne le craignions. Et je suis certain que Gilles Petitpierre a voté oui.
Un autre exemple de cette évolution est la célébration de la Gay Pride en Suisse romande. La première (dans la période récente) a été organisée à Genève en 1997, ville internationale et cosmopolite où cela ne devait pas poser trop de problème. La manifestation s’est néanmoins tenue bien à l’écart du centre, et il n’était d’un tacite accord pas question d’y associer les autorités. Mais déjà en 2000 à Fribourg, les autorités locales étaient présentes; et la présidente de la Confédération, Ruth Dreifuss, socialiste, a fait lire un message de solidarité par son collaborateur personnel François Wasserfallen, qui a souligné en préambule être lui-même gay. Et l’année suivante, à la traditionnelle manifestation zurichoise du Christopher Street Day (Gay Pride en allemand), Moritz Leuenberger, président de la Confédération suivant, lui aussi socialiste, est venu en personne prononcer un de ses fameux discours.
Durant ces 12 ans, les gays et les lesbiennes ont fait un chemin considérable sur le plan de la visibilité, et la société un chemin considérable pour ne plus les accepter seulement s’ils sont invisibles: c’est la fusion du droit à la différence et du droit à l’indifférence. Comme cela a fort bien été dit à la CSD d’hier qui devait clore en apothéose la campage en faveur de la loi sur le partenariat:
Le succès de cette campagne tient d’ores et déjà au fait que lorsque l’on parle aujourd’hui de lesbiennes et de gays, on pense à sa gentille voisine, à son facteur ou à son chef.
Le choix initial du pragmatisme et de la recherche de consensus, plutôt que du maximalisme et de la confrontation, s’est donc avéré juste. Ce qu’il faut souligner, c’est qu’il est imposé par la démocratie directe, qui ne permet pas de se satisfaire de majorités conjoncturelles ou d’un travail sur les seules élites supposées éclairées. Mais ce oui n’en est dès lors que plus solide!
Toutes mes felicitations (en retard) pour la reconnaissance de plus de droits pour les couples de même sexe Suisses !
Laurent