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TRANS*: le «coffee table book»

Photo Epicène

Avec TRANS*, Epicène, l’association des personnes transgenres en Suisse, publie un splendide ouvrage optimiste, didactique et apaisé à l’usage du grand public. Loin de l’acrimonie qui sème la division chez les féministes et les LGBT dans le monde anglo-saxon

Commandé il y a des mois lorsque j’avais découvert Epicène et sa fondatrice, Lynn Bertholet, dans les médias suisses, reçu à Londres la semaine dernière: un fort et beau volume de près de 250 pages dont je ne me lasse pas de tourner les pages en découvrant les 46 fiers témoignages à visage découvert qu’il comporte (20 francophones, 20 Alémaniques, 6 italophones1). A mettre en valeur sur la table du séjour pour faire repartir la conversation, voire à offrir!

Comme mouvement social, la reconnaissance des personnes transgenres est au croisement de l’égalité des droits entre femmes et hommes (qui ne se réduit pas exclusivement au féminisme: elle libère aussi les hommes!), d’une part, et de la libération sexuelle qui s’est traduite par l’acceptation publique de l’homosexualité tant par la société que sur le plan institutionnel, d’autre part. Si des groupes féministes2 ont pu s’identifier à certaines situations que rencontrent des femmes transgenres3 et le font savoir par l’usage de l’astérisque, si des gays, dont un courant s’interpelle joyeusement au féminin et trouve plaisir à se travestir dans le sexe opposé, ont pu tout naturellement étendre la solidarité des LGB minoritaires face à l’hétérosexualité dominante aux T, Epicène joue un rôle pionnier en permettant au mouvement transgenre de voler de ses propres ailes.

Je pourrais m’arrêter là… Mais je crois nécessaire d’aborder aussi les questions qui peuvent fâcher. Etre solidaire des personnes transgenres, célébrer leur succès dans la mise en accord de leur apparence avec le genre4 auquel elles s’identifient, ne doit pas faire oublier que les problèmes ne sont pas seulement pour elles, mais aussi pour celles et ceux qui ont eu leur vie brisée par une transition hormonale ou chirurgicale précipitée et qui doivent affronter une « détransition » à vrai dire extrêmement difficile pour ne pas dire impossible: on peut aussi en faire des portraits bouleversants, comme l’a montré Andrew Sullivan.

Elles et ils ont pu y être conduits par un accompagnement psycho-médical inadéquat, mais aussi par deux tendances qui ont de quoi inquiéter féministes et LGB comme d’autres: une idéologie du genre allant parfois jusqu’à prétendre remplacer voire nier le sexe, qui s’appuie sur des stéréotypes du masculin et du féminin que des générations progressistes se sont évertuées à combattre, et la transition vers l’autre sexe par déni, refus, de l’orientation vers les personnes de même sexe plutôt que celles du sexe opposé: non, un garçon qui joue à la poupée, une fille « garçon manqué », ne sont pas nécessairement nés dans un sexe qui n’est pas le leur5. La dysphorie de  genre est une réalité et celles et ceux qui en souffrent doivent recevoir tout l’appui nécessaire, mais les choses se gâtent quand, croyant bien faire entre tolérance et indifférence, l’absence de lucidité critique conduit à des drames.

La Suisse a la chance d’être un petit pays fragmenté et raisonnable, protégé de surcroît contre tout dogmatisme par la prééminence du débat politique sur l’arrêt judiciaire et l’épée de Damoclès de la démocratie directe, où ces problèmes et ces conflits n’atteignent pas l’acuité qu’ils ont aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni6, et tant mieux pour elle. Je n’ai pas creusé le détail de la proposition actuellement en discussion aux Chambres fédérales, comme dans d’autres pays, pour faciliter la procédure de reconnaissance du changement d’identité de genre des personnes trans, mais je suis sûr qu’elle n’atteint pas l’absurdité des dispositions qui ont dû être stoppées en Ecosse et en Angleterre, en particulier par l’engagement de féministes et de LGB (comme aussi de personnes transgenres elles-mêmes). Epicène a bien raison de ne pas jouer ce jeu-là, et le féminisme comme le mouvement homosexuel peuvent se recentrer sur leur mission sans cesser de se montrer solidaires.

Si jadis les personnes qui ne se reconnaissaient pas dans le sexe de leur naissance n’avaient que la ressource  du travestissement, depuis la deuxième moitié du siècle dernier des thérapies hormonales et chirurgicales sont venues à leur aide. Le système administratif s’y est adapté et la société a appris à s’en accommoder. J’ai eu l’honneur de faire mon stage d’avocat chez une star du barreau genevois qui aimait raconter comment, à la fin des années 50, il avait obtenu le premier changement de genre dans un passeport suisse7. Les médias (L’Amour en France, une série de dix émissions et un livre de Pascal Karlin et Thierry Lainé à la fin des années 80), la littérature (Tales of the City / Chroniques de San Francisco avec Anna Madrigal d’Armistead Maupin dès la fin des années 70, Middlesex de Jeffrey Eugenides en 2002), le cinéma (The Crying Game en 2002), pour ne citer que des souvenirs personnels, ont joué leur rôle. Puisse TRANS* apporter une contribution décisive à la reconnaissance des personnes transgenres dans toute leur humanité.

  1. « A la suisse », chacun dans sa langue et débrouillez-vous! []
  2. Qui ont déjà compté des lesbiennes avant même que des groupes spécifiques se créent. []
  3. Nées hommes mais désireuses d’être reconnues comme femmes. []
  4. Utilisés le plus souvent comme synonymes, sexe et genre sont en réalité distincts: le sexe est un fait biologique, le genre est une notion psycho-sociologique. []
  5. Et ne deviendront pas forcément non plus homosexuel-le-s! []
  6. Germaine Greer ou JK Rowling y sont rituellement clouées au pilori sur les réseaux sociaux pour une prétendue « transphobie » qu’elles ne prônent nullement par des hétéros « woke » insouciants qui se veulent à la pointe du progressisme. De même pour des lesbiennes qui déclinent la proposition de coucher avec une femme dotée d’un pénis, ou des gays avec un homme sans, ce qui revient à dénier le consentement comme élément fondateur de la liberté sexuelle. []
  7. Il savait aussi quand une approche non-contentieuse était préférable aux éclats de la « défense de rupture »… []