Europe: la Russie plutôt que la Turquie?
D’investissements russes très politiques dans EADS[1] au partenariat stratégique prôné par Schröder, Poutine semble remarquablement parvenir à trouver des oreilles complaisantes chez certains dirigeants européens. Pendant ce temps, la question des rapports entre la Turquie et l’Union européenne se dégrade par touches répétées, de part et d’autre, sans qu’on en mesure les conséquences. Quelques réflexions jetées un peu en vrac sur le clavier.
La Communauté européenne est née après la deuxième guerre mondiale dans le contexte d’une Europe divisée par la guerre froide, en reconstruction tant économique que démocratique avec également les suites de la décolonisation à gérer. Elle peine à actualiser sa vocation alors que deux éléments ont complètement changé la donne: l’effondrement du communisme (qui supprime ce que la menace pouvait avoir de stimulant et permet la démocratisation de l’ensemble du continent) et la globalisation (consacrée par l’OMC et la généralisation du libre échange). Le risque, c’est dès lors que l’Europe comme construction institutionnelle se dissolve, les peuples et les dirigeants croyant qu’elle aurait en quelque sorte perdu sa raison d’être; mais comment ne retournerait-elle pas alors à ses démons fratricides? Et ce d’autant plus sous la menace islamo-fasciste à l’égard de laquelle elle ne sait déjà trop sur quel pied danser.
Que l’Europe se montre frileuse face à l’adhésion de la Turquie, que les élites turques qui ont tout misé sur cette ambition, soient défaites ou refroidies ne peut qu’avoir des conséquences néfastes pour les deux parties: l’ancrage définitif d’un grand pays musulman laïc dans le monde moderne et démocratique serait compromis, l’Europe y perdrait une chance d’expansion démographique et économique dont elle a bien besoin. Refuser la Turquie, c’est d’une certaine façon le début de la fin pour l’Europe, le recroquevillement, l’abandon de l’affirmation d’un modèle de développement différent: pacifique, concerté, organique, privilégiant les équilibres sociaux voire écologiques.
La Russie, elle, est au pire un facteur de division (Chirac et Schröder font bon marché des sensibilités des nouveaux membres de l’UE), au mieux une grande puissance à l’égard de laquelle l’Europe doit avoir des rapports sans complaisance, en particulier du point de vue des droits de l’homme. Entre ce nouvel avatar de la diplomatie metternichienne et la poursuite de la construction européenne, avec des responsables comme Michel Rocard ou Massimo d’Alema, je n’ai pour ma part aucune hésitation.
Notes
[1] Après la pantalonnade de Sevestal appelée au secours d’Arcelor.
C’est justemment parce que Chirac et Shröder font finalement bien peu de cas de la sensibilité des dix nouveaux états-membres, et parce que l’administration des pays fondateurs a toujours du mal à comprendre que d’intenses relations historiques existent entre les pays humanistes d’europe du nord et ces dix nouveaux membres que le projet échouera, finalement, au prix peut-être de quelques dégâts dans nos fleurons industriels.
Mais il est vrai qu’à force de prétendre que l’Europe existe, on en oublie que les grands pays d’europe ont plus souvent résolu leurs différents avec leurs voisins par la guerre que par la négociation, et donc, que la seule raison pour laquelle on faisait plus de cas de l’avis d’un grand pays que d’un petit en Europe était tout simplement militaire et n’a donc rien de naturel. Et donc, que sans construction d’une europe fédérale, ce n’est pas la taille d’un pays qui compte, mais le nombre d’états avec lequel il est allié au sein de l’UE.