Votations du 12 février en Suisse
Un point pour la gauche, un point pour le Parlement, un point pour le Conseil fédéral
Trois objets fédéraux se prêtant bien à l’illustration, aucun objet cantonal ou communal à Genève: un scrutin qui est un plaisir à présenter! L’album des affiches est en ligne, et l’on pourra se référer également au site officiel qui présente à la documentation officielle envoyée sous pli individuel à chaque électrice et électeur il y a quelque trois semaines, avec le bulletin à retourner par la poste (ou à déposer dans une urne près de chez soi ce matin, entre 10h et 12h)1, ainsi que les résultats détaillés.
Naturalisation facilitée
Le premier objet est une modification de la Constitution fédérale approuvée par les deux Chambres du Parlement. En tant que telle, elle est obligatoirement soumise à votation populaire et doit recueillir une double majorité des votants: sur le plan fédéral d’une part, mais aussi dans une majorité des 23 cantons fédérés2.
L’attitude à l’égard de l’étranger ou des étrangers est l’un grands enjeux de la vie politique suisse – et il faut souligner que l’identité suisse est elle même abstraite et non fondée sur un nationalisme de langue ou de sang: elle repose sur une idée commune (Willensnation) unissant un petit pays bordé de grands voisins3 composé de trois identités linguistiques et culturelles4, dont les habitants sont avant tout rattachés à leur canton5. L’acquisition de la citoyenneté suisse est essentiellement l’affaire des autorités locales et cantonales, elle n’est jamais automatique et peut être difficile voire coûteuse. Avec le film Die Schweizermacher, les Suisses ont montré qu’ils savent même rire de ce travers.
D’un autre côté, la Suisse compte traditionnellement un nombre important d’étrangers, qui pour la plupart prennent racine. Nombre d’entre eux se naturalisent… et eux-mêmes ou leurs enfants se retrouvent aussi dans la classe politique, où les noms de famille de consonance italienne, espagnole ou portuguaise sont désormais fréquents6, et c’est une de ces Secundos, élue vaudoise au Conseil national d’origine italienne, qui a porté le projet. Mais s’ils ne le font pas, leurs descendants, souvent impossible à distinguer de leurs pairs suisses, sont traités de la même manière que l’immigré originaire. Non seulement ces étrangers, souvent sans vrai lien avec le pays dont ils portent la nationalité, gonflent quelque peu artificiellement la part de la « population étrangère » dans la statistique, mais c’est une paradoxale manière d’achever leur assimilation que de la rendre aussi difficile que pour celui qui vient réellement de l’étranger.
Une première tentative de porter l’affaire sur le plan fédéral et de mettre en place une procédure simplifiée pour les étrangers nés en Suisse avait buté, en 2004, tant sur une majorité du peuple (51,6%) que sur une majorité des cantons (18,5). Remis sur le métier au Parlement en 2008, limité à la troisième génération et après un très long parcours en commission, le nouveau projet obtient cette fois, 13 ans plus tard, une franchement inattendue double majorité très nette: 60,5% des voix et 17 cantons. Une victoire qui n’est pas seulement celle de la gauche, mais celle du Parlement, des élites, contre la droite xénophobe…
Financement pour les routes et le trafic d’agglomération
Un autre de ces projets emblématiques de la manière « suisse » d’aborder les questions controversées en mettant sur pied un compromis qui satisfait tout le monde. Le projet Forta est lui aussi une modification constitutionnelle soumise à votation obligatoire, dans un domaine de clivage traditionnel entre la droite et la gauche.
Après la mise sur pied et l’adoption par le peuple d’un Fonds doté de ressources fiscales et budgétaires affectées au rail, il était tout naturel de vouloir créer un équivalent pour le trafic routier. Il aurait néanmoins été délicat de paraître véritablement opposer, mettre en concurrence les deux modes: raison pour laquelle, sous la dénomination de trafic d’agglomération, des projets relevant du financement des transports publics locaux ou de la modération du trafic individuel ont été intégrés au Fonds routier. Si les ayatollahs de la bagnole l’ont accepté (et avaient précédemment loyalement soutenu le Fonds pour les transports collectifs), cela n’a pas suffi pour mollir les ayatollahs antibagnoles: la gauche, les Verts et les organisations écologistes ont fait campagne contre le projet Forta. Mais sans conviction7 et sans convaincre: victoire pour la stratégie du Conseil fédéral. Porté par une conseillère fédérale démocrate-chrétienne que l’on peut rattacher au centre ou à la droite au sens large, le projet aurait d’ailleurs pu tout aussi bien émaner d’un ministre socialiste, qui aurait mené campagne avec ou sans le soutien de son parti.
Régime fiscal des entreprises
Mais la belle et au départ inespérée victoire de la gauche et du bon sens a porté sur le domaine le plus difficile: la crédibilité économique et la politique fiscale. Cette réforme de l’imposition des entreprises faisait suite à deux précédents trains d’allègements fiscaux pour les entreprises et les actionnaires (d’ou son nom: RIE III) en vue de valoriser la compétivité de l’économie suisse. Mais la RIE II a laissé, en particulier, le souvenir d’une démarche au mieux incompétente et au pire délibérément trompeuse, le coût des cadeaux faits aux entreprises et actionnaires étant dans la pratique dix fois plus importants qu’annoncés avant le vote.
RIE III avait un objectif de départ précis: mettre fin aux privilèges consentis aux entreprises étrangères pour les attirer en Suisse, qui étaient devenus inacceptables pour l’UE et l’OCDE, représentant les Etats dont la substance fiscale était ainsi détournée par la Suisse. Cela impliquait de réduire le taux d’imposition des entreprises suisses pour le fixer à un niveau qui, certes supérieur à ce que les entreprises étrangères payaient avant, était néanmoins suffisamment attrayant pour ne pas les faire fuir. En y ajoutant des mesures compensatoires, c’était parfaitement possible et c’était ce que le Conseil fédéral avait proposé.
Le malheur a voulu que le Parlement (en particulier le Conseil national qui a connu une poussée à droite aux dernières élections) s’écarte de la prudence consensuelle qui a inspiré le projet de naturalisation facilitée ou du donnant-donnant caractéristique du projet Forta pour succomber à l’idéologie de l’appauvrissement de l’Etat pour enrichir les entreprises en vue de la prospérité commune… Le miracle est que cela n’a pas pris, malgré l’ampleur de la campagne déployée par la droite et les milieux économiques, après que les socialistes ont récolté les signatures nécessaires à la soumission du projet au vote populaire. Et la netteté du résultat montre que ce n’est pas seulement l’emballement de la campagne du non dans les deux dernières semaines qui a convaincu.
La prime du contrepied revient au canton Vaud et au machiavélique président de son gouvernement, le lider maximo des socialistes locaux Pierre-Yves Maillard, qui se sont crus plus malins que tout le monde et se retrouvent dans le camp des perdants aujourd’hui.
Au demeurant, le plan B est clair: au Conseil fédéral de reprendre son projet initial et au Parlement de l’adopter cette fois sans barguigner pour qu’il soit sous toit rapidement, sans référendum ou avec un vote cette fois positif. Et si, en prime, tant la droite que la gauche pouvaient enregistrer la leçon pour rechercher dorénavant une politique de compromis et non de confrontation autour de la réforme de la prévoyance vieillesse 2020, ce serait parfait…
- Le vote par Internet est aussi possible à Genève, dans certaines communes ou sur inscription. [↩]
- 26 en réalité, dont six n’ont, pour des raisons historiques, qu’une demi-voix. [↩]
- Outre l’Allemagne, la France et l’Italie, l’Autriche, l’ennemi héréditaire depuis 1291 si l’on peut dire, était un empire jusqu’en 1918. [↩]
- Voir quatre avec le romanche, langue de quelques milliers de personnes. [↩]
- Et du temps où cela avait plus d’importance qu’aujourd’hui, ceux-ci pouvaient être fortement catholiques ou protestants. [↩]
- La vague plus récente des Kosovars est encore confinée à l’équipe nationale de football et à la culture populaire. [↩]
- Comme l’illustre l’absence d’affiches pour le non, les partis s’étant concentrés sur les deux autres objets et personne ne se donnant la peine de coordonner une campagne anti-Forta. Il faut toutefois préciser que les affiches présentées dans l’album sont seulement celles qui bénéficient d’emplacements officiels mis gracieusement à disposition par les autorités genevoises (qui fait beaucoup pour la prospérité des arts graphiques locaux en encourageant ce mode d’expression); les campagnes nationales, elles, recourent à des emplacements commerciaux, et là on trouvait au moins des affiches pour le oui illustant la complémentarité entre transports individuels et collectifs. [↩]