Tout ça pour ça: élections fédérales 2015 vues de Genève
Instable stabilité pour la vie politique suisse
Tous les 4 ans1 en Suisse, les élections fédérales sont la grande affaire de l’automne pour la classe politique et les médias:
- En octobre, élection au scrutin proportionnel2, dans chaque canton, des 200 membres du Conseil national.
- Election, le plus souvent au scrutin majoritaire à deux tours3, de deux « sénateurs » par canton4 pour le Conseil des Etats, dont la composition est ainsi arrêté au cours du mois de novembre.
- Et la séquence s’achève début décembre avec la réélection quadriennale des sept membres de l’exécutif, le Conseil fédéral, par les membres des deux Chambres réunies en Assemblée fédérale, qui n’est plus depuis quelques années la formalité qu’elle a le plus souvent été.
Pour Genève (comme pour Vaud et Fribourg), c’est aujourd’hui qu’intervenait le deuxième tour de l’élection des députés au Conseil des Etats, après un premier tour le 18 octobre en même temps que l’élection des députés au Conseil national. L’occasion de publier le traditionnel album des photos d’affiches (bien que que particulièrement peu inspirées) et de faire le point. Voir aussi la documentation officielle (informations envoyées à toutes les personnes ayant le droit de vote et résultats) pour les deux scrutins du 18 octobre et du 8 novembre.
Conseil national
En rapport avec sa population, le canton de Genève élit 11 membres sur les 200 du Conseil national5, dans une élection qui est, eu égard à la structure fédérale du pays, mais surtout aux différences nées du multilinguisme qui limite l’émergence d’un véritable débat national, davantage la juxtaposition de 26 scrutin cantonaux qu’un scrutin fédéral.
Le système proportionnel appliqué est particulièrement sophistiqué, aux antipodes des listes bloquées qui prévalent dans la plupart des autres pays, car il ne prend pas en compte les bulletins mais les suffrages: le suffrage est d’abord attaché aux candidats, et l’électeur est libre d’en biffer certains, d’en ajouter d’autres pris sur d’autres listes, voire de ne voter que pour des personnes et pas pour un parti. Par ailleurs, le calcul de la répartition des sièges intervient à plusieurs niveaux car les listes ont la possibilité de se regrouper, et cela à plusieurs étages.
En définitive, tant pour le Parlement sortant que pour le nouveau, les 11 sièges genevois se sont répartis entre trois groupes: la gauche (PS et Verts, appuyés par la gauche de la gauche), la droite (libéraux-radicaux et PDC, appuyés par les Verts libéraux et le PBD dissident de l’UDC) et la coalition anti (UDC et MCG). En 2011 c’était 5 – 3 – 3, en 2015 c’est 4 – 4 – 3, un déplacement d’un siège de la gauche traditionnelle (perdu par les Verts) au profit de la droite traditionnelle (gagné par le PLR).
Mais admirez le déploiement d’énergie déployé, avec une multiplicité jamais vue candidatures sur une déclinaison de listes et sous-listes, pour ce résultat!
Au niveau national, le résultat est un tassement de la gauche (Verts -4, socialistes -3, gauche de la gauche +1, pour 55 au total) et un renforcement du PLR (+3) dans une droite traditionnelle qui se tasse également à 76 sièges6 (Verts’lib -5, PBD -2, PDC -1) et surtout de l’UDC (+11) dont le groupe atteint maintenant un effectif jamais atteint par l’un des quatre grands partis depuis 1919: 65 députés7. Ce qui est sûr, c’est que le fantasme d’une « majorité de centre gauche », agité par l’UDC comme épouvantail pour décrire le Conseil fédéral et par la gauche et des commentateurs qui lui sont souvent proches pour se faire plaisir sans vrai lien avec la réalité, a vécu.
Conseil des Etats
Alors qu’un certain nombre de cantons doivent encore voter pour le deuxième tour dans les prochaines semaines, la tendance du Conseil national se confirme pour le Conseil des Etats: si Genève a encore maintenu les deux sièges de la gauche pour cette législature (on ne voit pas comment cela pourrait se renouveler en 2019), Vaud a remplacé un Vert par un libéral-radical.
Démocratie de concordance et non d’alternance
Mais la Suisse n’est pas un régime parlementaire: les membres du gouvernement sont élus individuellement par les membres de l’Assemblée fédérale et en sont totalement indépendants (le Conseil fédéral ne peut non plus dissoudre le Conseil national). Et le gouvernement n’a pour programme que la résultante de ses membres, qui ne se sont pas choisis, en fonction de leur évaluation de ce que le Parlement et le peuple peuvent accepter: comme les députés, d’ailleurs, ils ne sont assurés de rien et travaillent sous la constante épée de Damoclès du rejet en votation populaire d’une loi laborieusement adoptée après consultations et navettes.
Faute d’entente, de réelle concordance, entre les quatre grands partis et leurs élus au gouvernement8, la législature qui s’ouvre sera donc agitée, la démocratie directe étant appelée à corriger9 un tir qui promet d’être erratique au Parlement, au détriment des dossiers qui comptent: relations avec l’UE, politique sociale, fiscalité, notamment. Bon courage tout le monde!
- Depuis 1931. [↩]
- Depuis 1919. [↩]
- Le Jura et Neuchâtel appliquent le scrutin proportionnel. [↩]
- Un seul dans quelques cantons, pour des raisons historiques. [↩]
- Les plus petits cantons ont droit à un siège, le plus peuplé, Zurich, en pourvoit 35. [↩]
- PLR + PDC + Verts libéraux + PBD + Evangéliques. [↩]
- Avec les élus Lega et MCG, cela représente 69 députés pour le bloc anti. [↩]
- L’âge d’or du bon fonctionnement de la « formule magique » inaugurée en 1960, jusqu’au virage nationaliste et anti-européen de l’UDC sous Blocher. [↩]
- De manière qui pourra fort bien être contradictoire! [↩]