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Retour sur les élections britanniques

Un gouvernement pour 5 ans et l’espoir d’un renouveau travailliste

C’était il y a une semaine tout juste… Cameron est toujours premier ministre, aucun des principaux ministres n’a changé et pourtant tout est différent.

Des scénarios que je décrivais, c’est l’un des moins vraisemblables qui s’est réalisé: ni gouvernement minoritaire, ni coalition majoritaire, ni grande coalition, mais une majorité parlementaire pour le parti conservateur1 pour la première fois depuis John Major, battu par Tony Blair en 1997.

Alternance et coalition

Le discours de Nick Clegg semblait pourtant imparable: on ne pouvait pas faire toute confiance aux deux grands partis, si dogmatiques, c’était le rôle des libéraux-démocrates d’être au fond le parti de gouvernement par excellence, donnant du coeur à la droite ou plombant la cervelle de la gauche selon les besoins.

Après les élections de 2010, confirmant une érosion progressive des partis traditionnels, on avait proclamé un peu vite l’âge des coalitions à la continentale et du proportionnalisme.

Eh bien non, ce sont les Lib-Dems qui passent d’une bonne cinquantaine à 8 députés. La parenthèse est refermée, c’est bien plutôt le bipartisme qui retrouve toute sa place, entre un parti de centre-droit et un parti de centre-gauche. D’autant que l’émergence d’un parti à la droite des conservateurs, avec l’UKIP, s’est révélée un mirage, avec un seul député, comme les Verts à gauche2, tous deux victimes de l’efficacité impitoyable de la majoritaire à un tour qui est là pour dégager un gouvernement, pas psychanalyser un peuple.

Pompes et circonstances

Avec ce respect inné des traditions, le vendredi matin, Miliband (qui avait téléphoné dans la nuit à Cameron pour le féliciter) et Clegg avaient démissionné3 – pour se retrouver l’après-midi une dernière fois côte à côte avec Cameron pour la journée d’hommage aux anciens combattants qui cette année représentait le 70e anniversaire de la victoire en Europe4.

Les travaillistes, en particulier, semblent bien partis pour fermer une autre parenthèse, celle de la gauche crispée et détachée de la réalité qu’incarnait Miliband, afin de renouer avec un état d’esprit pragmatique et réformateur – et retrouver le pouvoir5.

Une performance remarquable

Depuis 1983, la stabilité gouvernementale britannique tranche sur d’autres pays démocratiques plus portés sur le yo-yo: quatre législatures conservatrices, puis trois législatures travaillistes, et maintenant un premier ministre conservateur se voulant centriste qui est réélu malgré (ou grâce à!) une politique d’économies.

Rétrospectivement, ce n’est pas un résultat surprenant: le premier ministre jouit d’une image de compétence bien supérieure à celle du leader de l’opposition, et l’économie repart. Et pourtant du début à la fin de la campagne tout semblait beaucoup plus indécis, c’était ce qui se dégageait tant des sondages que de l’impression général des commentateurs6. Après avoir été tant caricaturé, Miliband paraissait au fond moins inepte que cela, les travaillistes finalement pas si déraisonnables qu’en 1987 (Michael Foot).

La victoire conservatrice est aussi celle de la discipline et du professionnalisme, un triomphe personnel pour le consultant qui a dirigé la campagne, et su ignorer tous ceux qui prédisaient qu’il allait dans le mur, l’Australien Lynton Crosby7 (en face c’est une défaite pour David Axelrod, venu de l’équipe Obama): épurer le message à marteler (l’économie, Cameron plutôt que Miliband), procéder quasi-scientifiquement par messages ciblés en concentrant la campagne sur les 60 circonscriptions qui feraient la différence8. En visant impitoyablement celles de l’allié de la législature sortante, les libéraux-démocrates, en un quitte ou double audacieux qui s’est révélé payant.

Le SNP et la question écossaise

Le seul élément de surprise, finalement, de cette élection, a été l’apparition dès les premiers sondages d’un élément qui a aussi fortement aidé les conservateurs: un curieux effet boomerang du référendum écossais. Après avoir sèchement rejeté la sécession proposée par le SNP et choisi de demeurer au sein du Royaume-Uni, les électeurs écossais paraissaient massivement décidés à élire des députés SNP pour les représenter au Parlement de Westminster. Sentiment de culpabilité par rapport à l’identité écossaise? Agacement à l’égard de l’accent mis par Cameron sur la « question anglaise » en parallèle avec une dévolution plus importante envers les autorités d’Edimbourg? Impression que l’intérêt écossais serait mieux défendu par le parti nationaliste plutôt que par les branches nationales des partis traditionnels (qui avaient gagné la campagne référendaire)?

La perspective de voir le SNP passer d’une dizaine à une cinquantaine de sièges, en privant les travaillistes d’une quarantaine de sièges, rendait non seulement impossible une majorité absolue pour Miliband, mais en faisait l’otage des nationalistes pour devenir premier ministre d’un gouvernement du royaume qui devait aussi être celui de l’Angleterre (84% de la population) comme, dans les domaines qui n’ont pas été dévolus aux autorités respectives, du Pays de Galles et de l’Irlande du Nord. Un auto-goal fantastique par comparaison avec une hypothétique majorité travailliste dans laquelle les Ecossais ont toujours été très influents, même si à court terme elle est bonne pour l’image interne du SNP.

Comme souvent les mouvements de « libération », le SNP est un mélange instable de nationalisme profondément réactionnaire, de messianisme trop souvent hélas confondu avec la gauche et d’apolitisme9, qui rend la reconversion et l’adaptation difficile une fois l’objectif principal atteint10.

Je crois personnellement que ce résultat se révélera une anomalie exceptionnelle, les prochaines élections écossaises étant l’occasion de revenir aux réalités quotidiennes du gouvernement des Ecossais par les Ecossais, sans commode bouc-émissaire conservateur anglais. Cameron a d’ailleurs immédiatement réaffirmé sa volonté de respecter et d’approfondir la dévolution, comme aussi son intention de desserrer la centralisation administrative de Whitehall en faveur des autorités locales en Angleterre aussi (mais ce sera là un combat épique contre la haute administration!).

La question européenne

La marginalisation de l’UKIP est aussi à verser au crédit de Cameron, qui est parvenu à éviter que la question européenne joue un rôle dans l’élection11. Mais évidemment, la majorité maintenant obtenue rend inévitable l’organisation du référendum promis, d’une manière particulièrement ambiguë: présenté aux adversaires de l’UE comme l’occasion de larguer les amarres, il vise en réalité à leur clouer le bec en confirmant l’intégration du Royaume-Uni dans une UE réformée.

L’échéance unilatéralement fixée à 2017, si elle a l’avantage de la clarté, ne facilite certes par les choses, mais il faudrait vraiment que la Commission et les Etats membres (poussés par les éléments plus plus conservateurs au sens propre, dont la France) fassent preuve d’une intransigeance délirante pour forcer Cameron à manger son chapeau et non pas prendre la tête de la vaste coalition en faveur du oui à l’UE mais celle du non (essayé, pas pu) – ou alors d’une démission.

L’objet européen qui est un vrai retrait n’est pas l’UE, mais la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme. Regrettable tant pour le symbole que sur le plan de l’efficacité pratique (le Royaume-Uni manquera terriblement dans les négociations en cours pour recadrer le pouvoir des juges de Strasbourg, dans lesquelles la Suisse qui partage largement les préoccupations britanniques est très active, aiguillonnée par plusieurs votations populaires), la décision n’est pas si déraisonnable sur le fond. Il ne s’agit évidemment nullement d’affaiblir les droits humains ou le contrôle juridictionel sur les autorités britanniques. Ce qui est en cause, c’est une Cour européenne en roue libre faute d’une Constitution, d’un Parlement et d’un Gouvernement de même niveau. Or elle ne s’impose pas la réserve qu’exige une telle circonstance, car ses juges sont humains et cèdent à la tentation de l’interprétation extensive et créative de « droits » qui n’ont plus grand chose à voir avec le texte en sanctionnant des « abus » qui n’en sont guère. La CEDH sera la victime sacrificielle pour permettre le maintien dans l’UE.

Lendemains de la veille

Dans mon souvenir, cette élection rejoint d’autres nuits mémorables:

  • les élections législatives françaises de 1967, où ce qui devait être une victoire aisée du gouvernement Pompidou ne lui a donné qu’une majorité de justesse;
  • les élections britanniques de 1992, où non seulement les sondages préalables, mais aussi les estimations « sortie des bureaux de vote » donnaient Kinnock vainqueur de Major;
  • l’élection présidentielle française de 1995, où c’est l’interdiction de la publication des sondages en fin de campagne qui a empêché l’émergence de Le Pen au détriment de Jospin d’apparaître en temps utile pour ramener à la discipline l’électorat de gauche;
  • l’élection présidentielle américaine de 2000, où je suis allé me coucher en sachant que la Floride avait donné la majorité à Gore… on connaît la suite.

Par comparaison, l’erreur des sondages qui structurellement surestimaient le vote travailliste et sousestimaient le vote conservateur restait dans une marge raisonnable, mais surtout l’estimation « sortie des bureaux de vote » s’est montrée, elle, globalement exacte. Pendant toute la soirée, politiciens des deux bords et commentateurs plaidaient la prudence, estimant qu’elle exagérait probablement la tendance, alors qu’en réalité elle était encore un peu en-dessous de la réalité.

Sachant que les résultats, eux, ne tomberaient pas avant l’aube, j’ai pu aller me coucher à une heure raisonnable et sans être surpris le lendemain en allumant la radio!

  1. Une majorité parlementaire travailliste était l’hypothèse la plus invraisemblable. []
  2. Les deux partis marginaux ont chacun été une fois le plus grand parti du pays à l’occasion de l’élection Parlement européen: elle est au système proortionnel et regrettablement considérée comme sans enjeu. []
  3. Farage aussi, pour l’UKIP, mais c’était une vraie-fausse démission typique du personnage. []
  4. Au Royaume-Uni, on n’oublie pas que la guerre n’était alors pas encore finie dans le Pacifique. []
  5. Je pourrai alors reprendre à mon compte le mot de Kinnock à la désignation d’Ed Miliband: « I’ve got my party back! » []
  6. Les uns influençant et renforçant les autres… []
  7. Avec Jim Messina, venu de l’équipe Obama. []
  8. C’est l’élément que je trouve le plus déprimant dans la démocratie britannique: non seulement le peuple vote remarquablement peu souvent, mais dans plus de 500 circonscriptions sur 650 le résultat est absolument couru d’avance, toute voix autre que pour le parti sortant est irrémédiablement sans aucun effet. []
  9. De « surpartisme », la cause devant être prééminente par rapport aux enjeux droite-gauche usuels – dont populistes et idéalistes naïfs aiment à nier la pertinence. []
  10. Pour tous ses défauts, Roland Béguelin, le leader charismatique du Rassemblement jurassien qui a obtenu la création d’un canton suisse francophone propre par sécession des cantons de Berne et de Bâle, a su refuser qu’il devienne un « simple » parti politique. A une autre échelle, certes, la place qu’occupe l’ANC dans le système politique sud-africain empêche celui-ci d’évoluer vers un vrai débat démocratique. []
  11. Au total, dans son rôle de parti populiste, l’UKIP a en réalité probablement davantage nuit aux travaillistes. []