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Commentaire de l'actualité (gaie ou non!) sur terre, au ciel, à gauche, à droite, de Genève, de Londres ou d'ailleurs
News and views (gay or not!) on earth, in heaven, left or right, from Geneva, London or elsewhere

Pas facile de mettre fin à  l’Etat-Providence

C’est maintenant la conférence annuelle des Tories qui a pris fin, et elle a été marquée par la confusion dans la quête du Graal pour toutes les démocraties occidentales: par quoi et comment remplacer l’Etat-Providence? On en parle depuis au moins 40 ans. Bill Clinton l’a proclamé mort et engagé vigoureusement une approche de ce qui devrait lui succéder (poursuivie également par Tony Blair), sans que l’on puisse vraiment dire qu’on a encore changé de système nulle part.

C’est aussi l’objectif de David Cameron et Nick Clegg, et pas seulement, soutiennent-ils, parce qu’ils ont fixé un objectif d’économies budgétaires d’ici 2015 auquel le Welfare ne saurait échapper du seul fait de son coût, mais pour des raisons de principe: libérer les individus asservis par les subsides et leurs effets pervers, accroître le rôle de la société civile (et pas seulement réduire celui de l’Etat). Au demeurant, la droite est divisée, une bonne partie d’entre elle n’ayant cure du social engineering de la Big Society, comme la gauche entre conservateurs du pas-touche-aux-acquis et réformateurs de la deuxième gauche, de la troisième voie ou tout simplement dès qu’elle est confrontée aux responsabilités gouvernementales.

C’est pourquoi le gouvernement de coalition et le parti conservateur cabotent sans vraiment trancher.

La conférence s’ouvre avec l’annonce que le projet réformateur de Ian Duncan Smith, ministre des affaires sociales de tendance droite sociale-chrétienne, est adopté: il consiste à  remplacer une myriade d’allocations par une seule (simplification administrative considérable), mais surtout à  mettre fin à  la désincitation au travail qu’entraîne sa simple révocation dès qu’un revenu personnel dépasse un seuil (par un système de réduction dégressive, à  court terme coûteux mais fondé sur le pari qu’à  long terme il permettra enfin de stopper, puis réduire le nombre d’assistés à  vie en augmentation continue). Le ministre des finances, George Osborne, obtient toutefois un étalement sur huit ans plutôt qu’une mise en oeuvre sur trois: double pari, encore, sur la ténacité dans la durée et/ou sur un consensus possible autour de cette idée car il y aura des élections dans l’intervalle.

Mais le lendemain George Osborne annonce, à  la surprise de beaucoup y compris au gouvernement, une mesure qui se veut également réformatrice et courageuse et se révèle au contraire irréfléchie et perverse: sous la vertueuse résolution que l’arrosoir pour tous a vécu et que les plus favorisés doivent prendre leur part de la politique d’économies, il plafonne l’allocation pour enfant versée aujourd’hui sans condition de revenu. Désormais (enfin, en 2013) plus d’allocation si l’un des deux parents gagne plus de 44’000 £. Et un effet de seuil brutal, un! Car ici pas de savant coulissement pour rendre la chose indolore et éviter les stratégies d’évitement. Par ailleurs, si le couple dont l’un seulement a une activité lucrative et gagne 45’000 perd, celui dont les deux gagnent chacun 43’000… gagne: aux 86’000 s’ajoutera l’allocation pour enfant! Car Osborne (et les services particulièrement bureaucratiques du ministère des finances) trouvait bien trop compliqué et surtout « fouineur », « illibéral » de fixer un plafond par ménage. Ce qui est ironique, car dans le même discours il en a justement fixé un, et qui lui est populaire: un ménage assisté par les services sociaux verra désormais l’ensemble de ses prestations, quelle qu’en soit la nature, plafonné à  25’000 £ par an, soit le revenu moyen du ménage dont les adultes travaillent et qu’il s’agit de ne pas décourager.

Après cela Cameron n’a eu plus qu’à  tenter de calmer les esprits (notamment ceux qui s’indignent que le gouvernement défavorise les ménages dont l’un des parents s’occupe des enfants[1]) en ressortant le gadget (qui a néanmoins un coût…) d’une déduction fiscale symbolique pour les couples mariés / partenariés avec enfants, cette fois sans condition de revenu: mais les libéraux-démocrates y sont expressément opposés… Et il réaffirme sa promesse de campagne effrontément clientélaire de ne pas toucher à  deux subsides grotesques dont tous les seniors sont arrosés: l’allocation chauffage pendant les mois d’hiver et la réduction de la redevance TV!

Toute cette incohérence (qui n’est bien sûr pas propre au Royaume-Uni, ni même à  la droite) souligne aussi une caractéristique spécifique de l’Angleterre (avant les devolutions à  l’Ecosse et au Pays de Galles sous Blair, cela touchait même toute la Grande-Bretagne): son degré extrême de centralisation étatique[2]. Non seulement il n’y a pas de décentralisation territoriale à  des autorités élues (les autorités communales tiennent la majorité de leurs ressources du ministère des finances et sont soumis à  des directives tatillonnes de tous les ministères), mais il n’y a pas non plus de pôles publics distincts de l’Etat (soit le Parlement et le gouvernement à  Westminster et l’administration à  Whitehall). Pas de Sécurité sociale gérée par les partenaires sociaux, comme en France, pas d’AVS dont tant les ressources que les droits aux prestations sont liés à  l’individu ou au ménage et ne peuvent faire l’objet d’un hold-up par le ministre des finances, comme en Suisse (sans parler des allocations pour enfants qui sont, pour le moment encore, du ressort des cantons). Cela a ses avantages pour remplacer une myriade d’allocations par une seule et trancher dans le vif, mais aussi ses inconvénients…

Notes

[1] Sans parler des deux autres objections annexes: une politique d’encouragement à  la procréation n’a-t-elle pas une raison d’être pour elle-même et pas seulement pour la charge financière que les enfants représentent? Quelle cohérence y a-t-il à  avoir à  la fois une fiscalité progressive et des prestations plafonnées voire des contributions proportionnelles au revenu (ce qui fait passer trois fois à  la caisse les revenus « supérieurs » qui concernent une bonne partie de la classe moyenne)?

[2] Démocratique, certes, encore que cela commence à  pouvoir se discuter puisque les décisions touchant la seule Angleterre sont prises avec le concours des élus écossais et gallois, alors que ni ceux-ci ni les élus anglais n’ont quoi que ce soit à  dire sur les décisions équivalentes prises par les autorités d’Edinbourg et de Cardiff.