La condamnation de la police londonienne: le vrai sens de "responsable mais pas coupable"
Après le non-lieu (ou équivalent) prononcé à l’égard des des agents qui ont abattu le 22 juillet 2005 dans le métro de Londres un innocent, l’électricien brésilien Jean-Charles de Menezes, 27 ans, en le prenant pour le terroriste islamiste Hussain Osman[1], originaire d’Afrique du nord, impliqué dans la tentative d’attentat de la veille et susceptible de récidiver, c’est une improbable poursuite pour violation des procédures de sécurité qui a été engagée contre la police londonienne. Entre-temps, il y a également eu une enquête administrative, qui a abouti à un rapport sévère (un second doit maintenant être révélé). Et l’on s’attend encore à une procédure civile de la famille contre la police. Le jury a donné raison à l’accusation, tout en relevant qu’aucune des personnes en cause n’avait commis de faute, et le juge a prononcé des peines d’amendes (modérées compte tenu de l’absurdité qu’îl y a à un tel jeu d’écriture sur l’argent public).
J’avais trouvé insensée à l’époque cette procédure, de nature à entraver, désécuriser la police dans sa mission avec des conséquences potentiellement bien plus générales et graves que l’accident, tragique mais ponctuel, qui en était la cause (je l’ai d’autant plus en mémoire que je m’étais laissé allé à un rare cas de blog spontané en direct sur un aspect particulier[2] qui, quelques heures plus tard, avait évidemment perdu la plus grande partie de son opportunité[3]). Mais finalement cette procédure n’est pas si mauvaise. Elle a un effet cathartique [4]. Et le fait qu’elle distingue ainsi la responsabilité de l’organisation et la culpabilité individuelle me paraît finalement concilier les deux impératifs de faire toute la lumière pour en tirer les enseignements nécessaires et de ne pas diminuer la capacité opérationnelle de la police en lui faisant perdre ses moyens.
Au demeurant, qu’il n’y ait pas de coupable individuel ne signifie pas qu’il ne va pas y avoir quelqu’un qui va personnifier cette responsabilité de la police: les appels à la démission du chef de la Metropolitan Police, Ian Blair, se multiplient. Et c’est là où Georgina Dufoix avait tort lorsqu’elle a lancé, à propos du sang contaminé par le VIH qu’on continuait d’écouler sur les hémophiles parce qu’ils étaient « moins dommage », le temps de mettre en place de nouvelles filières, sa formule « responsable mais pas coupable »: elle n’en a pas tiré la suite logique, qui était la démission-purification. Autant sur le plan individuel je m’indigne de cette tendance à vouloir chercher une responsabilité extérieure à tout malheur qui survient, autant dans la sphère publique il est juste que toute responsabilité de l’Etat soit assumée par quelqu’un et reconnue par un acte symbolique fort, qui permette de tourner la page.
Notes
[1] Arrêté et condamné par la suite.
[2] Non, je ne dirai pas « détail »!
[3] J’en suis pourtant toujours fier sur le fond! Le désastre est que si je n’avais pas tort sur le principe, les auteurs du communiqué que j’attaquais ont pu, eux, se trouver confortés dans la certitude qu’ils avaient raison dans leur raisonnement pervers par le déroulement des événements…
[4] Auxquels participent les médias, exemplaires dans leur exhaustivité documentaire.
J’avais pensé moi aussi laisser une note sur ce verdict qui a fait la une des journaux cette semaine. pas eu le temps, j’avais d’autres fers au chaud.
Ton article me donne ici l’occasion de réagir. Et surtout de dire que contrairement aux titres sensationnels que la presse a affichés, il faut bein voir que le verdict de culpabilité n’est pas que la Police n’aurait JAMAIS du tuer de Menezes, mais qu’elle a faillit dans la protection du public lors de l’opération, ce qui n’est pas la même chose.
Je pense au contraire que la grosse erreur est d’avoir tué. Pourquoi? Parce que au final, d’après l’enquête (et contrairement aux dires de la Police qui, cela a été prouvé, a cherché, comme souvent les coupables, a dissimuler la vérité) on a un jeune homme, portant une fine veste en jeans (pas l’épais manteau dont on a parlé), ne dissimulant donc rien, marchant tranquillement, calmement, payant son métro (et non pas sautant par dessus la barrière comme a voulu le faire croire la Police ici encore pour se justifier), montant dans la rame et s’asseyant bonnement sur un siège, se faire plaquer par un policier, et ALORS QU’IL NE POUVAIT PAS BOUGER (et donc sans danger) être tué sans sommation. Quoi qu’on en dise, pour moi cela a un nom: assassinat. Le fait que cela soit commis au nom de l’Etat n’en est que plus inquiétant.
Que le juge ne reconnaisse aucune faute dans cet acte, que les policiers qui l’ont commise n’aient pas fait preuve du plus petit discernement auquel on doit s’attendre de la part des autorités, et surtout qu’a aucun niveau personne n’ait l’impression d’avoir commis la moindre erreur, voila ce que je trouve révoltant. Voila ce qui déligitime la Police, ce qui lui fait beaucoup plus de tort qu’un quelconque verdict de culpabilité pour ne pas avoir respecté des règles de protection du publique (ou Health and Safety).
La démission du plus haut responsable de la police, Ian Blair, aurait pu permettre en effet de personnaliser cet échec la Police aurait pu – peut être – regagner cette confiance perdue, au moins de la crédibilité en assumant ses responsabilités. Il semble que, tout comme son homonyme n’a jamais voulu reconnaître any wrong doing dans la conduite de la guerre en Irak, Ian Blair ne veut pas pas reconnaître sa responsabilité en tant que chef, de l’échec de cette politique ‘shoot to kill’. On accepte les honneurs et les médailles en cas de victoire, on se lave de toute critique en cas de défaite… tel semble être le cas de nombreux responsables de nos jours.
Les réponses aux questions ici soulevées ne sont pas judiciaires, mais politiques.
Il aurait été dommage que l’administration, qui ne faisait ici qu’obéir aux ordres eux-mêmes conséquences de décisions politiques soit blâmée pour les choix faits par leurs élus. Je comprends bien tout ce que dit à juste titre Vonric, mais l’homme qu’est chaque policier ne devient pas facilement un assassin : il faut beaucoup d’erreurs, d’approximation et d’incompétence de sa hiérarchie fonctionnelle et politique pour parvenir à équiper d’armes de guerre et d’ordre de tir à vue pour tuer au milieu des foules denses des réseaux de transport d’une capitale de modestes fonctionnaires. Et d’ailleurs ceci explique en grande partie pourquoi dans leur très grande majorité, les fonctionnaires ayant collaboré avec le 3ème Reich n’ont été que très peu inquiétés.
Et là est une différence importante avec le scandale du sang contaminé : dans le cas présent, c’est une décision politique explicite qui est à l’origine de ce désastre et de ceux prévisibles qui surviendront tôt ou tard tant que les politiciens s’imagineront qu’il existe des solutions militaires à des questions morales.
Pour caricaturer, la polémique en revient toujours au même point: vaut-il mieux des coupables en liberté ou des innocents en prison. Comme on ne peut pas être sur que Sadam n’ait pas de WMP, il vaut mieux le tuer de manière préventive. Terry Jones y répondait par son article dans le Guardian: http://observer.guardian.co.uk/iraq/story/0,,882526,00.html
Bref, pour revenir a mon point de vue, je ne pointe pas la police qui tue un innocent pensant protéger le public. Dans toute son horreur, l’erreur est malheureusement humaine. Mais la faute de discernement est coupable, et cette erreur tragique se doit d’être sanctionnée. Car n’importe quel soldat a le droit de refuser un ordre si il le juge impropre a la situation. C’est « une » des différences entre l’homme et le mouton 😉
« Il faut rappeler l’évidence qu’on ne voit même plus: le coupable, ici, c’est le terrorisme islamo-fasciste. »
Evidemment, vu comme ça…. Bon : je crois m’être trompé de crèmerie
Sur le site de la BBC aujourd’hui: http://news.bbc.co.uk/1/hi/uk/7084829.stm Le rapport semble tres critique sur l’attitude de la police et cite: « The body’s chair said Metropolitan Police Commissioner Sir Ian Blair had tried to prevent its investigation. » Je vois mal après ça comment le chef de la police pourrait demeurer a son poste, même en s’accrochant désespérément a son fauteuil….
http://www.theregister.co.uk/2007/11/11/stockwell_one_systems_failures/
« It would be accurate for police to complain that the death of Jean Charles de Menezes was ‘beyond our control’, but how did this, and effectively the entire operation, get ‘beyond our control’? The answer lies in the intersection of a number of systems and procedures, faulty ones, several of them virtually pre-programmed to fail. Here we examine how that happened. »