Petite excursion dans le droit constitutionnel palestinien
Je ne sais ce qui mérite le plus d’être souligné: le progrès du sens critique fondé sur le respect de l’Etat de droit en Palestine? Ou le sens de la litote du Monde qui évoque le débat sur la dissolution du Conseil législatif palestinien et les nouvelles élections annoncées par le président Abbas comme s’il s’agissait d’une querelle théologique, voire d’une question de goût où toutes les opinions se valent?
Reprenons posément. Mahmoud Abbas, dirigeant du Fatah, est depuis janvier 2005 le président, élu au suffrage universel, de l’Autorité palestinienne, proto-Etat recouvrant la bande de Gaza et la Cisjordanie. Le Hamas a toutefois renvoyé le Fatah dans la minorité lors des élections de mars janvier 2006 au Conseil législatif qui constitue le parlement de cette entité. Depuis lors (après déjà de frénétiques décrets pour déplacer en faveur du président quelques délimitations de compétences entre le gouvernement et le président) un gouvernement dirigé par Ismaïl Hannyeh, premier ministre issu du Hamas, est en place. La situation ne cessant de se dégrader sur le plan international, sur le plan des rapports entre le président, d’une part, le gouvernement et le Conseil législatif, d’autre part, et sur le plan civil avec des affrontements armés répétés, le président Abbas annonce samedi, dans un discours télévisé en direct qu’il souhaite des élections anticipées.
Mais c’est davantage qu’un souhait, à lire Le Monde du 16 décembre:
Selon Saëb Erekat, proche conseiller d’Abbas, des élections anticipées ne pourront pas être organisées avant le milieu de l’année prochaine pour des raisons légales et pratiques. M. Abbas, a-t-il expliqué, doit dans un premier temps signer un décret pour l’organisation des scrutins anticipés, après quoi 90 jours seront nécessaires pour mettre à jour les listes électorales. Yasser Abed Rabbo, membre du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestinienne (OLP) et proche collaborateur de M. Abbas, a ajouté que « les élections anticipées auront lieu d’ici trois mois. Toute opposition juridique à ces élections sera examinée conformément aux pouvoirs du président ».
La dernière phrase, particulièrement contournée, est la seule allusion du Monde à un obstacle évident que le Hamas ne se fait pas faute de souligner: ce qui tient lieu de constitution à l’Autorité palestinienne ne prévoit nullement un droit de dissolution du Conseil législatif par le président (ni même par le premier ministre, ou par le président à la demande du premier ministre). Ce qui nous vaut le morceau d’anthologie du Monde de ce jour: Les limites constitutionnelles de la dissolution du Conseil législatif palestinien, dans lequel un juriste de l’Institut de droit de l’Université de Bir Zeit, nourri au lait de l’Université de Fribourg (Suisse) et de l’ENA à Strasbourg, Asem Khalil, énonce doctement:
« Il n’y a aucun article dans notre Loi fondamentale qui autorise le président à renvoyer le Parlement et aucun article qui l’en empêche aussi »
avant de concéder qu’un raisonnement du type « tout ce qui n’est pas explicitement interdit est permis » n’est pas valable pour les autorités[1]. Il poursuit néamoins:
« Pour éviter que la Loi fondamentale ne devienne un obstacle à la régulation de l’action publique, il est possible d’outrepasser la lettre du texte et d’invoquer l’esprit de la Constitution. C’est un peu ce qu’avait fait le général de Gaulle avec le référendum de 1958. »
On trouvera léger (ou alors révélateur d’une conception pour le moins limitée de la démocratie) l’affirmation du Monde que « la victoire du Hamas aux élections de janvier a imposé une situation de cohabitation qui n’avait sûrement pas été envisagée par les concepteurs de la Loi fondamentale ». Car cette question est au coeur du choix entre régime parlementaire (l’exécutif procède du parlement), régime présidentiel (l’exécutif et le législatif ne dépendent pas l’un de l’autre pour leur désignation) et la variante intermédiaire que le monde entier envie à la France, comme dit Le Canard enchaîné, dans laquelle président et gouvernement ont des pouvoirs et des légitimités à géométrie variable. Une variante intermédiaire manifestement retenue par l’Autorité palestinienne, mais elle de manière déséquilibrée en faveur du parlement puisque celui-ci peut retirer sa confiance au gouvernement mais que l’exécutif ne dispose pas de l’arme de la dissolution.
Le régime parlementaire allemand s’est trouvé dans une situation similaire en 1982: la majorité SPD-FDP du chancelier Helmut Schmidt était chancelante sans pour autant que l’opposition parvienne à lui élire un successeur selon la procédure de la motion de défiance constructive[2]. Il a fallu faire preuve d’imagination pour hâter les choses: une partie de la majorité s’est abstenue lors du vote d’une motion de confiance dont l’échec est la condition pour permettre la dissolution par le président à la requête du chancelier; un simulacre qui a conduit des esprits sourcilleux à saisir la Cour constitutionnelle (qui n’a, Dieu merci car on peut tout craindre du dogmatisme des juristes, particulièrement germaniques, pas donné suite!).
Il serait certes préférable que ce soit le Conseil législatif qui proclame son auto-dissolution[3], mais on a connu des abus de pouvoir confinant au coup d’Etat pires que de convoquer de nouvelles élections législatives[4]. De sorte qu’il n’y a pas vraiment lieu de les cacher aux lecteurs du Monde.
COMPLEMENT DU 21.12 à 10h40: A lire Le Monde de ce matin, c’est en fait une double élection anticipée, législative et présidentielle, que Mahmoud Abbas entend convoquer, dont acte! La tentation plébiscitaire…
Erreur de date sur la dernière élection législative corrigée le 23.12 à 14h07.
Notes
[1] Dans un Etat de droit (expression lourde importée de l’allemand Rechtstaat, rendue à peine mieux par « Etat fondé sur le droit » là où le français dirait « Etat libéral » si ça ne paraissait pas pornographique — et en tout cas pas « état de droit », ainsi qu’on le lit parfois comme on parlerait d’état de nature), c’est pour le citoyen qu’il vaut, pour les autorités au contraire toute action doit être explicitement autorisée par le droit.
[2] Ou, plus récemment lorsque Gerhard Schöder a provoqué des élections anticipées car les décisions que requérait la situation socio-économique ne se prêtaient pas une fin de législature.
[3] Même si ce n’est pas non plus prévu.
[4] Une autre solution, qui ne viole aucun texte celle-là , pourrait consister pour Abbas à démissionner et se représenter, en défiant le Hamas de présenter et de faire élire un candidat contre lui. Mais cette solution est plutôt moins démocratique, sur le fond, dans son alternative « moi ou le chaos » et dans son aspect plébiscitaire, suggérant qu’après réélection Abbas serait légitimé à s’arroger (encore plus) tous les pouvoirs.