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Des réflexions sur l’Etat

Je signale un entretien avec Nicolas Tenzer dans Le Monde de dimanche-lundi, L’inquiétante coupure entre les intellectuels et l’Etat: l’essentiel de ce qu’il dit n’est pas spécifique à  la France mais s’applique à  l’évolution du rôle de l’Etat dans l’ensemble des démocraties libérales. De Google en Technorati ça m’a aussi donné l’occasion d’une plongée dans le monde frustrant, mais aussi passionnant, de l’illusion technocratique où l’on rêve d’un Etat où l’expertise et les bonnes pratiques auraient raison de tout; par exemple ce blog qui rassemble les idées de pas mal de ces hauts fonctionnaires dévoués au service public dans la lignée d’un François Bloch-Lainé (la série de billets sur le thème « Réforme et gouvernance »: 1, 2 et 3).

Du moins en France l’Etat bénéficie-t-il encore d’une certaine révérence. C’est nettement moins le cas au Royaume-Uni où le contrat social à  la scandinave du type « des impôts élevés pour des prestations publiques de qualité » n’a pas gagné d’avance. Or, comme le relève Eric Le Boucher, la politique de Blair joue au moins autant sur la mobilisation de ressources accrues sur des politiques prioritaires que sur les seules réformes d’organisation ou de finalité (à  ressource constante). Pour la santé, l’objectif a été dès le départ d’élever la part du revenu national qui y est consacrée au niveau continental, et maintenant Gordon Brown vient de dire la même chose pour l’éducation (la différence tient encore dans la volonté que le secteur privé en assure une partie directement plutôt que par l’impôt).

Et c’est bien ce qui a été fait… avec des résultats frustrants: jamais autant d’argent n’a été consacré au NHS, qui se développe à  un rythme accéléré et qui n’a plus ces listes d’attente de plusieurs mois, et pourtant les infirmières, dont les salaires ont également augmenté, huent leur ministre; on pourrait croire, à  lire la presse, que la situation s’est dramatiquement dégradée. On en revient toujours à  l’observation lumineuse de Tocqueville dans L’Ancien régime et la révolution: quand la situation est sans espoir d’amélioration, on s’y résigne; le moment le plus dangereux est celui où les choses commencent à  changer, car alors des attentes commencent à  naître, sur lesquelles il faut pouvoir anticiper sous peine de créer des frustrations plus douloureuses que la résignation antérieure. Or peu de leaders ont une réflexion, une stratégie qui intègre cette problématique (comme c’est le cas en France, par exemple, d’un Christian Blanc qui a développé sa méthode avec succès de la Nouvelle-Calédonie à  Air France en passant par la RATP).

Hier Tony Blair a tenu un séminaire sur ce sujet dans lequel il a lancé cet avertissement:

I know that if having put in this extra money we can’t show clearly and demonstrably that the service has got radically better then the consent from the public for investment is in jeopardy.

Ici le problème n’est pas tant du lien entre les intellectuels et l’Etat mais celui du lien entre les politiques et les opérateurs (fonctionnaires, pour simplifier). C’est qu’après 9 ans de gouvernement travailliste la qualité des prestations de l’administration dans nombre de secteurs laisse toujours pour le moins à  désirer. Le scandale du moment, c’est l’incurie de la Direction de la nationalité et de l’immigration qui ne traite simplement pas, administrativement, les dossiers dont elle a la charge, comme celui des étrangers condamnés en instance d’expulsion qui disparaissent dans la nature. Mais avant cela il y a eu l’incurie de la gestion du crédit d’impôt mis en place par Gordon Brown (qui a donné lieu à  des versements indus aussi massifs que prévisibles que l’on entend maintenant faire rembourser par des bénéficiaires qui précisément n’ont aucune marge dans la gestion de leurs ressources). Ou celle du service d’avance et de recouvrement des pensions alimentaires.

S’il est certain que les ministres portent une responsabilité politique lorsque des services qui dépendent d’eux dysfonctionnent, lorsque des mécanismes qu’ils ont fait voter se révèlent impraticables, il n’en demeure pas moins que c’est avant tout une question de management qui est posée: valeurs, autonomie, professionnalisme (le parlement a obtenu la tête du précédent ministre, Charles Clarke, mais il a aussi passé sur le grill[1] déjà  deux hauts fonctionnaires dont les prestations ont été pour le moins pitoyables). Or le point commun des ces trois administrations problématiques, c’est d’exercer des prestations d’autorité, de monopole, dans lesquelles les pires pratiques peuvent se maintenir longtemps car le client n’y est bel et bien qu’un administré… Voir, pour un exemple français, les procédures relatives aux titres de séjour des étrangers, dont parlait récemment Eolas et qu’avait éloquemment illustrées le Bondy Blog.

L’exposé de Blair est passionnant (et lui déclare d’emblée que le problème est global et non britannique) parce qu’il témoigne d’une vraie conscience de la nécessité que l’Etat — son rôle et ses prestations — évolue, faute de quoi son irrelevance ira croissante dans une société où, pourtant, ses fonctions de protection, de régulation et d’arbitrage sont rendues plus nécessaires encore par la complexité du monde moderne.

Notes

[1] Lors de ces séances de commission qui, ici, sont publiques, et dont BBC4 diffuse des extraits intelligemment édités dans son émission quotidienne d’une demie-heure Today in Parliament.

2 commentaires

  1. 7 juin 2006

    Vous avez raison de posser la question du rôle des haut-fonctionnaires non pas comme hommes politiques (c’est souvent sous cette casquette, ou celle de conseillers des politiques, que sont fustigés les énarques en France) mais comme dirigeants des administrations. JE ne connais pas assez finement le système britannique, mais les administrations que vous décrivez (etrangers, pensions alimentaires) sont pour leur équivalent français typiquement des secteurs désertés par les « grands commis de l’Etat », car pour faire court, ce ne sont pas des sujets sexy… Pour nuancer un peu, ce sont des secteurs peu attractifs en terme de carrière.

  2. 7 juin 2006

    je sais bien que c’est difficile, presque impossible, puisqu’en principe ils savent ce qu’ils traitent et lui non, mais n’est ce pas au ministre en charge de veiller à  l’efficacité de ses grands commis ?

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