Réalisme
Un petit reportage bien intéressant, encore dans Le Monde de samedi:
La douloureuse conversion à la vidéosurveillance d’un collège difficile de l’Yonne
(C)haque enseignant pense, en son for intérieur: « En acceptant les caméras, on a le sentiment de se trahir soi-même. C’est le premier pas vers une société à l’américaine », résume Corinne Mathieu, professeur de lettres. « Par réalisme » face à « une société qui change », elle a toutefois soutenu le projet « à contrecoeur » .
Monique Petitot, conseillère principale d’éducation (CPE), a mal vécu cet épisode. Elle en parle encore avec émotion. « Moi qui me situe plutôt à l’extrême gauche, je me trouve d’accord avec une politique de droite quand je défends la vidéosurveillance », regrette-t-elle.
L’idéologie s’efface néanmoins derrière le pragmatisme: la CPE établit un parallèle avec… l’informatique. « On pourrait continuer à écrire à la main, ça marche. Mais l’informatique, c’est aussi très pratique. » Pourquoi se priver, alors, d’une nouvelle technologie?
Même chose côté élèves:
D’un côté, il y a des bénéfices évidents  qui ont conquis leurs parents, d’après ce qu’ils en savent. « C’est bien pour les tout-petits, les sixièmes, qui ont peur de se faire taper », glisse Rajda, une déléguée de classe de troisième. « ça évitera les punitions collectives quand les profs ne trouvaient pas les coupables », estime Julien, élève de troisième. « ça empêche les dégradations », note Christopher, en quatrième.
De l’autre côté, il y a des craintes quant à la dimension « policière » du dispositif. « Vingt-deux caméras, ça fait un peu flipper », dit Damien, en quatrième. « Le collège va ressembler à une prison », pense Benjamin.
Où l’on voit aussi que le problème est surtout dans la représentation mentale, plus que dans la réalité: pourquoi « policier » serait-il péjoratif, en quoi les caméras sont-elles « de droite », sauf à soutenir que l’impunité des violences et dégradations de locaux serait souhaitable et de gauche? Les enseignants ont fini par le reconnaître, qui ont approuvé la proposition à 60% (les agents d’entretien et de service, qui sont en première ligne, l’ont soutenue plus nettement encore).
Mais cela oblige à sortir d’une anesthésie euphorique dans laquelle tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil et c’est de l’Etat et de la police seulement que peuvent venir le mal, en refusant de voir les atteintes bien réelles à la liberté, et d’abord celle des plus faibles, des incivilités au terrorisme. Cela prendra du temps, comme a pu s’en rendre compte l’autre jour le ministre de l’intérieur du Royaume-Uni (et, pour l’occasion, de l’Union européenne), lorsqu’il s’est fait prendre de haut au Parlement européen, par des gens qui se croient manifestement plus démocrates que lui, pour les propositions de bon sens qu’il défendait. Un autre exemple est la pétition lancée en France par la Ligue des droits de l’homme, notamment, contre la carte d’identité électronique biométrique: le droit au flou, mais en fin de compte le droit à la fausse identité, comme nouveau droit de l’homme?
C’est le premier pas vers une société à l’américaine », résume Corinne Mathieu Peuvent pas s’empêcher de dire des conneries, ces franchouilles! ;o)
J’avoue avoir la plus grande répugnance pour ce projet de carte d’identité électronique biométrique. J’ai l’impression que vous confondez droit à la fausse identité et droit à l’anonymat. Certes, lorsque quelqu’un a commis un délit, il est urgent de l’identifier mais faut-il pour autant sombrer dans le big brother, ie savoir à tout instant où est la personne et qui il est? Actuellement, le risque me paraît trop important.
C’est bien vu: je ne crois pas tellement au droit à l’anonymat, qui me semble une fausse réponse à un vrai problème. Nul ne doit subir de conséquence négative de ce qu’il fait, pense ou dit, mais la garantie de l’anonymat a surtout pour effet de faire sortir ce que l’homme a de plus mauvais en lui (on le voit rapidement dans certains commentaires sur les blogs!).
Pour prendre deux exemples:
Bon, j’ai pratiquement la matière d’un prochain billet, merci! Que la conversation continue…
Je ne revendique pas le droit à l’anonymat : la preuve! Par contre, je revendique le droit à ma sphère personnelle, à ce que ni l’Etat ni une auutre autorité n’intervienne dans ma sphère privée sans que cela soit motivé par un intérêt public, prévu par une loi et proportionné. En Suisse, les vidéosurveillances sont la plupart du temps installées sans base légale, c’est-à -dire sans un débat démocratique préalable : ce n’est pas normal (cf. le dossier qu’avait publié l’Hebdo il y a 3 semaines mais qui n’est plus en ligne hélas). Il y a bien sûr un intérêt public évident à diminuer le nombre des incivilités et à confondre les coupables. Je doute toutefois que l’installation de caméras dans tous les préaux soit la mesure la plus adéquate et la moins attentatoire à la sphère personnelle pour y parvenir. Je ne suis notamment pas d’accord avec l’argument selon lequel le fait de fréquenter un espace public suppose que l’on soit d’accord d’être filmé. Serait-on toujours d’accord qu’un quidam nous prenne en photo? Si tout le monde est muni d’une puce électronique indiquant à la police où l’on se trouve en tout temps, on peut parier sur le fait que le nombre de délits deviendra pratiquement inexistant…et pourtant on le fait pas. L’atteinte à la sphère personnelle serait trop importante; on toucherait même là au « kerngehalt », à l’essence même de cette liberté. Je crois (hélas) que ce genre d’argumentation n’est plus ni de gauche ni de droite à l’heure actuelle. La droite libérale (au sens du mot anglais) a pratiquement disparu des échiquiers politiques. Et la gauche a abandonné ce terrain pour la défense de valeurs morales par l’action de l’Etat, ce qui suppose que « tout ce que fait l’Etat est forcément bon » (je caricature bien-sûr). Elle n’est plus tellement libertaire. Bon il y a de la matière pour plusieurs billets maintenant….!