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Bush et la réforme des retraites

L’une des choses qui me fascinent, c’est la manière dont, dans chaque pays, les grandes institutions sociales ont été si rapidement assimilées (c’est le côté positif) qu’elles sont devenues intouchables (et ça me paraît moins positif): des vaches sacrées, vénérées toute tendances politiques confondues. C’est le cas de la Social Security, le système de pension par répartition introduit par Roosevelt et son New Deal dans les années 30 aux USA, du National Health Service, le système de santé étatisé britannique, de la Sécurité sociale française (qui combine retraite et santé) ou de l’AVS suisse introduite en 1948 (assurance vieillesse et survivants: les pensions pour retraités, veuves et orphelins). Or, pour les mettre en place, il a bien fallu secouer le système socio-économique; et il est peu vraisemblable qu’une institution soit parfaite pour l’éternité…

Comme prévu, la réforme des retraites figurait au centre du Discours sur l’état de l’Union prononcé hier par Bush: c’est la grande priorité de politique intérieure du deuxième mandat, combattue avec véhémence par les Démocrates qui n’y voient que démantèlement de l’Etat social et, semble-t-il, inquiétant bien des Républicains. On en parle depuis pas mal de temps déjà , et pourtant même un Jeff Jarvis peut écrire: « I have no idea who’s right about Social Security. »

C’est peut-être présomptueux de ma part, mais il me semble que comme Suisse je n’ai pas de difficulté à  comprendre et me faire une opinion: c’est que le régime de retraite helvétique s’est développé dans une de ces « complications » horlogères dont nous avons le secret et qui renferme à  peu près tous les outils susceptibles d’intervenir dans un débat de ce genre. Si je le résume à  grands traits, il est fondé sur trois piliers (c’est l’expression consacrée):

  • Le premier pilier, c’est l’AVS à  laquelle j’ai déjà  fait allusion: une pension de retraite fonctionnant essentiellement par répartition du produit d’un prélèvement obligatoire affecté (appelez le cotisation ou impôt, comme cela vous chante) pour l’ensemble de la population; c’est un montant de base, qui ne constitue pas à  lui tout seul un revenu décent. Il existe la même chose en Grande-Bretagne.
  • Le deuxième pilier, c’est la caisse de retraite professionnelle: un autre prélèvement, lui aussi obligatoire, sur le revenu du travail est capitalisé de manière à  financer, le moment venu, une pension viagère. C’est donc un système d’épargne forcée, ou un salaire différé.
  • Le troisième pilier, ce sont des formes d’économies personnelles qui ne sont pas obligatoires mais sont encouragées par des déductions fiscales: compte d’épargne ou fonds d’investissement bloqué jusqu’à  l’âge de la retraite et soumis à  des contrôles stricts, police d’assurance-vie.

La Social Security américaine, c’est le premier pilier. Et il paraît évident qu’un système fondé exclusivement sur la répartition est appelé à  se casser la figure lorsque l’allongement de la durée de vie fait que le rapport entre payeurs et bénéficiaires se déteriore; ou, plus précisément, il exige pour être maintenu une augmentation considérable de la ponction sur la génération active au profit de la génération précédente. D’énomes masses d’argent sont alors déplacées directement d’une poche dans l’autre en vue d’être principalement consommées, là  où une part de capitalisation permet à  l’argent de contribuer plus intelligemment à  soutenir l’activité économique.

En Suisse, le débat que Bush lance maintenant a été tranché dans les années 60-70: c’est alors qu’a été gravé dans le marbre de la Constitution fédérale le régime des trois piliers, et en particulier le deuxième pilier obligatoire qui voit une pension par capitalisation s’additionner à  une pension par répartition. Cela s’appelle ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. A l’époque seule l’extrême gauche défendait un système de répartition unique, les socialistes et syndicalistes étant eux de fervents partisans des caisses professionnelles: les travailleurs allaient pouvoir collectivement, par leurs investissements, quasiment s’approprier les instruments de production…

Et ce que Bush propose est une sorte de mixte entre le deuxième et le troisième pilier suisse: de manière progressive (pour les personnes nées après 1950), au prélèvement obligatoire pour la Social Security par répartition viendrait s’ajouter un versement obligatoire ou encouragé par une déduction fiscale sur un compte d’investissement personnel. Si cela passe, les Etats-Unis auront sauté à  pieds joints sur l’une des difficultés auxquelles le système suisse est actuellement confronté: le lien entre caisse de retraite et activité professionnelle (employeur), qui créé une fragmentation rigide nuisible à  la mobilité, donc aussi bien à  l’emploi qu’à  l’économie.

Sur la structure, je donne donc raison à  Bush, ce clintonien de droite, ce réformateur inattendu contre les conservateurs de gauche et de droite. La vraie question, ce sera ensuite le niveau du prélèvement à  maintenir pour la Social Security, du prélèvement à  affecter au compte personnel de retraite. Et là , s’il n’y aura pas de solution indolore, ni aux Etats-Unis, ni en Suisse, ni en Grande-Bretagne, ni en Allemagne ou en France, ce sera quand même plus facile pour des économies et des sociétés ouvertes et dynamiques comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne…

6 commentaires

  1. 3 février 2005

    François : tu es sûr d’avoir vraiment étudié le sujet? Parce que la comparaison avec la Suisse est beaucoup plus intéressante que tu ne le penses, vu que le système américain fonctionne déjà  sur le principe des 3 piliers.

    Aux Etats-Unis, le premier pilier, obligatoire, financé par cotisations sociales (12,8 % du salaire brut – 6,4 pour l’employé, 6,4 pour l’employeur) ne fournit qu’une petite retraite, de l’ordre de 35% du dernier salaire. Le reste est assuré (ou pas) par les plans d’épargne retraite des entreprises (type 401k) et par les comptes retraites individuels et défiscalisés.

    Le plan Bush vise seulement à  changer le mix entre répartition et capi, dans un système où la capi est déjà  très majoritaire. Et il y a beaucoup de très bonnes raisons de ne pas toucher au principe et au niveau de la répartition. Notamment le fait qu’il n’est pas inutile d’avoir un plancher de retraite, que la transition a un coût exorbitant, que les frais de gestion du système sont très faibles (et très en dessous de ce que nécessite la rémunération des intermédiaires financiers dans un système de capi) et que la faillite annoncée dont parlent les Républicains est un mensonge éhonté.

    Sur le sujet, le NYTM avait publié un article absolument remarquable

    Pour une synthèse, cette note d’Alexandre Delaigue (je ne suis pas d’accord avec tout, mais c’est une intro utile)

    Pour une vision de droite, informée, raisonnable : le blog d’Andrew Samwick

  2. 3 février 2005

    Merci de ces liens! Non, je l’avoue bien volontiers je n’ai pas étudié le détail du dossier américain, et je ne suis pas un spécialiste du sujet; ce sont les lignes de force générales qui m’intéressent (et je ne vois pas comment on pourrait soutenir qu’un système fondé sur la répartition ne va pas dans le mur). Je n’ai pas parlé des 401k et de l’épargne individuelle parce qu’ils ne me paraissent pas avoir l’ampleur qu’ils ont en Suisse en raison du caractère obligatoire — et du niveau des prélèvements — mais peut-être en ai-je sousestimé l’importance. De même j’ai tenu à  gommer toute allusion à  la question de savoir ce qui est à  la charge de l’employeur ou du travailleur tant cela me paraît illusoire, purement formel et ne constitue qu’une distraction de l’objet principal.

    Pour élaborer, ce qui me paraît fondamentalement juste, c’est de combiner une pension de base universelle par répartition (et tu sais qu’en réalité je suis partisan d’une allocation universelle) avec un compte obligatoire personnel de capitalisation; à  terme, je verrais volontiers les 401k être absorbés dans un tel système (qui en Suisse devrait se substituer à  notre deuxième pilier), et celui-ci pourrait être alimenté aussi par des contributions en capital (et pas seulement en argent) versées aux salariés. Il restera donc du travail pour les successeurs de Bush…

  3. 3 février 2005

    Comme d’hab’, on est d’accord sur pas mal de choses :

    – La distinction cotisations employeurs/employés est effectivement une fiction comptable. Je ne la mentionnais que par souci du détail.

    – Le mix base universelle + capitalisation est une solution possible : je n’ai rien contre a priori, tout dépend des détails d’application.

    – L’un des gros problèmes du 2e pilier américain est de discriminer entre les employés d’entreprises qui offrent un plan de retraite et les autres (le même problème se pose, en pire, avec la couverture maladie); celui du 3e pilier est que la défiscalisation profite surtout, par définition, à  ceux qui payent beaucoup d’impôt sur le revenu. Un compte obligatoire, personnel, portatif, (éventuellement abondé pour les ménages à  faibles revenus) peut être un bon moyen de résoudre ces problèmes.

    Notre désaccord porte sur l’urgence de la réforme de la Social Security

    – tu dis ne pas voir « comment on pourrait soutenir qu’un système fondé sur la répartition ne va pas dans le mur ». Mais il suffit d’ajuster les recettes et les dépenses aux flux générationnels! En jouant sur les paramètres du système : augmenter les recettes, baisser le niveau des pensions, retarder l’âge de départ en retraite. Dans le cas américain, cela a été fait au début des années 1980, ce qui permet de garantir le paiement des pensions jusqu’en 2042, sans changement de paramètres. En plus, la date de 2042 s’appuie sur des prévisions assez pessimistes, en terme de croissance de la productivité, d’allongement d’espérance de vie et de flux d’immigration. (cette note de Kevin Drum offre un bon tour d’horizon de l’ensemble de ces questions, et renvoie vers des sources complémentaires)

    – à  son niveau actuel, le système public de retraite américain est vraiment une base, qui garantit un plancher de revenu. On peut évidemment soutenir que c’est encore trop, que l’Etat n’a pas à  s’occuper des retraites. Mais je ne pense pas que ce soit ton approche.

    – comme tu le dis, la réforme vraiment nécessaire concerne les 2e/3e piliers (+ éventuellement des ajustements modeste, comme une hausse de l’âge de la retraite pour le 1er pilier). Les démocrates sont d’ailleurs tout à  fait disposés à  ce type de réforme. Mais le projet Bush ne règle rien, coûte très cher et aboutit, volontairement ou pas, à  casser le pilier qui fonctionne le mieux.

  4. 3 février 2005

    Via Matt Yglesias, les propositions en matière de retraites du Center of American Progress (think thank démocrate). On se rapproche beaucoup de ce que tu proposes, non?

  5. 3 février 2005

    Bon, nous sommes bien d’accord sur l’essentiel (et tu dis cela de manière bien plus précise et complète que moi). Le reste est appréciation de style: moi je n’entends pas les Démocrates être ouverts aux réformes, je les sens crispés sur la résistance à  tout changement, et ça m’horripile. Un blocage en attendant que Bush disparaisse ne me paraît pas la bonne solution, alors que dans le système américain une approche bipartisane positive au Congrès est susceptible d’améliorer considérablement le projet de Bush; mais pour cela il faut entrer en matière, pas crier au viol.

  6. 4 février 2005

    « Un blocage en attendant que Bush disparaisse ne me paraît pas la bonne solution, alors que dans le système américain une approche bipartisane positive au Congrès est susceptible d’améliorer considérablement le projet de Bush »

    Ca pouvait être le cas dans le passé : le Tax Reform Act de 1986 en est le meilleur exemple. Aujourd’hui, avec cette administration et cette majorité parlementaire, c’est rigoureusement impossible. Les démocrates sont systématiquement écartés de la procédure législative, et les propositions de lois sont fréquemment défigurées à  la dernière minute par le leadership républicain cf le monstrueux Medicare Bill ou l’abominable Energy Bill (qui n’a heureusement pas été voté). Et tous les démocrates qui ont cherché à  collaborer avec Bush, style Kennedy ou Daschle, se sont retrouvés avec des couteaux dans le dos.

    Dans ce contexte, attendre que Bush disparaisse est la meilleure solution, en tout cas sur le système public de retraites. Ce n’est pas comme si la réforme était urgente.

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