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Liberté d’expression et droit à  la vie privée

Les juges de Strasbourg interprètent et appliquent un droit transnational qu’aucun législateur ou constituant n’est en mesure de faire évoluer: il y a comme un problème

Max Mosley, l’infortuné rejeton d’une famille britannique célèbre et ancien patron de la Formule 1, dont les pratiques sado-masochistes avec des prostituées avaient été étalées par le News of the World, avait obtenu une belle revanche face aux médias et aux ligues de vertu dans une action en dommages-intérêts: le juge avait établi que la violation (à  vrai dire irréparable) de sa vie privée n’était nullement justifiée par le droit à  l’information.

Autant je m’en étais réjoui, autant je suis toutefois ravi qu’il ait perdu la belle: une improbable action[1] devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour lui arracher une sorte de codicille à  l’article de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CSDH) garantissant la liberté d’expression. Avant tout usage de cette liberté par un média[2], une personne en cause (Max Mosley, p.ex.) devrait se voir notifier les allégations en question. Le but c’est évidemment de lui permettre, le cas échéant, de prévenir l’atteinte illicite à  sa vie privée en obtenant d’un juge une mesure provisionnelle interdisant la publication. Même les juges les plus entreprenants ont dû reculer devant l’audace d’une telle requête qui revient à  leur demander à  eux un acte de législation pur et simple. L’affaire survient en pleine polémique britannique sur une série de mesures provisionnelles (« super-injuctions ») interdisant préventivement une série d’atteintes à  la vie privée de personnalités qui ont depuis été étalées (parfois faussement, pour tout compliquer) sur Twitter, mais je renonce à  traiter ce volet.

Il y a cependant un vrai problème: s’il vient au législateur ou au constituant d’un Etat l’idée d’adopter un dispositif de ce genre, il aura certes pour effet de modifier, préciser, restreindre dans ses modalités pratiques la liberté d’expression telle qu’elle était précédemment garantie par le droit national. Mais elle ne change évidemment pas le contenu de la CSDH, convention internationale de rang supérieur. Et ce sera du gâteau d’obtenir des juges de Strasbourg (ou même d’une juridiction nationale) la condamnation de cet Etat.

Au niveau d’un Etat, les trois pouvoirs sont de même rang sous l’empire d’une Constitution qui peut évoluer. Nombre de jugements annulant telle décision parlementaire peuvent, en toute légitimité, être contournés surmontés soit en réparant les vices de procédure qui auront par hypothèse été constatés par la juridiction, soit en modifiant la législation, voire la Constitution, pour faire prévaloir, dans la hiérarchie des normes, le résultat que le parlement a recherché sur celui que les juges ont défini en fonction du droit antérieur; chacun est dans son rôle.

Avec la CSDH, il n’y a qu’une convention internationale, lourdement négociée puis ratifiée entre Etats (avec son originalité réelle: une autorité d’application dotée de pouvoirs, mais en quelque sorte abandonnée à  elle-même); le Conseil de l’Europe dont elle émane n’est ni une autorité constituante, ni même un parlement… Cf. aussi ce billet. Je ne vois personnellement de solution satisfaisante qu’au travers de la démocratisation d’une UE encore élargie par son accession au statut d’Etat fédéral et l’extinction progressive du Conseil de l’Europe; faute de quoi le danger est grand qu’on finisse par réviser, pour cause d’inadéquation, le protocole additionnel à la CSDH, et soit atténue la portée des arrêts de la CEDH soit, plus probablement, revienne à  une sorte de procédure non contraignante d’amélioration continue (type conventions onusiennes) et interprétation de la CSDH par les seules juridictions nationales.

Notes

[1] J’ai renoncé à  comprendre les arcanes de la procédure utilisée ici, qui n’a rien à  voir avec le traditionnel recours à  Strasbourg après avoir perdu successivement devant toutes les instances inférieures compétentes.

[2] Mais comment délimiter et se tenir à  une telle restriction?