Schadenfreude
Le Temps ou Le Monde persistent à se réjouir de chaque difficulté rencontrée par la coalition et le gouvernement intérimaire irakien avec une indifférence glacée et pour les victimes, qui sont d’ailleurs plus souvent irakiennes qu’américaines, et pour les conséquences de l’alternative: veulent-ils vraiment que la coalition se retire?! Seul importe pour eux de compter les points et que la réalité finisse enfin par confirmer les prédictions de désastres (catastrophe sanitaire, exode, guerre civile…) qui ne se sont pas réalisées. Au point d’en perdre de vue le sens commun: ce n’est pas un pouvoir oppressif que l’insurrection combat, mais l’organisation d’élections démocratiques! Même à propos de ces dernières, il est significatif que ces deux journaux cherchent à imposer une grille de lecture communautariste là où ce qui impressionne plutôt, c’est le souci de l’unité nationale, et le pluralisme des listes comme le rapportait Arthur Chrenkoff.
Et le pathos sur l’occupation
du pays n’en finit pas, quand bien même le gouvernement intérimaire et la présence des troupes de la coalition sont dûment appuyés par des résolutions du Conseil de sécurité. L’actualité rappelle que la Bosnie est dirigée depuis près de 10 ans par les gouverneurs étrangers qui s’y succèdent, et que des troupes étrangères y sont actives, mais là point de rhétorique de l’occupation (tout au plus dans Le Monde une suspicion instinctive de la porte-parole officieuse du ministère français des affaires étrangères, Claire Tréan, lorsque le titulaire de la fonction est Britannique). Et il faut rappeler qu’à cette aune la France a été occupée jusqu’à ce qu’en 1967 de Gaulle la libère
des Américains…
Je dois reconnaître avoir été choqué par les articles publiés hier dans Le Temps. Je n’ai aucune illusion sur Le Monde depuis plusieurs années, mais il est navrant de constater qu’un seul journaliste – en l’occurrence le très militant Alain Campiotti, pour reprendre votre formule – contribue à lourdement discréditer une rédaction honnête et talentueuse. Parler de "résistance" irakienne pour une action revendiquée par un groupe terroriste islamiste visant à s’opposer à des élections démocratiques montre effectivement le gouffre éthique dans lequel le réflexe antiguerre – et antimilitaire – a jeté de nombreux esprits. Comme quoi l’intelligence n’a pas grand chose à voir avec la morale…
Je crois que la gestion de l’après-crise, en ce qui concerne les otages enfin libérés, peut être assez éclairante sur la position, non pas du Temps ou du Monde, mais des Français (pouvoir, partis, opinion publique…).
Moi-même, si je me félicite évidemment de la libération de mes deux confrères, je n’aime pas beaucoup les voir, imitant leur mystérieux chauffeur, faire la promo de leurs ravisseurs en les qualifiant de "résistants". Je n’aime pas non plus entendre Raffarin expliquer que c’est l’attitude de la France qui lui vaut de récupérer ses journalistes (comme si les journalistes italiens ou britanniques, les membres d’ONG humanitaires, voire les ouvriers pakistanais qui on eut moins de chance) étaient coupables, eux, de quelque chose.
La "résistance", en tout cas dans son acception historique française, c’était le combat contre l’occupant. Pas le meurtre aveugle qui touche le maximum de gens de manière indiscriminée. Si la France est heureuse d’avoir obtenu la libération de ses otages pour cause de "bonne conduite" (Saddam Hussein lui-même a demandé leur libération), si elle se croit obligée de nier, contre toute évidence, l’implication des services Américains dans cette libération, je suis un petit peu gêné aux entournures.
Je crois vraiment que tu te trompes sur ce que pense Claire Tréan, elle ne fait ici que rapporter ce qu’on pense à certains endroits au Quai d’Orsay, que je trouve aussi lamentable; mais la vraie bonne nouvelle c’est quand même que Paddy Ashdown est déterminé à agir. Tout de même, tu ne peux pas mettre sur le même plan l’Otan en Bosnie et la coalition en Irak; la comparaison entre Kosovo et Irak serait déjà plus pertinente….