Abolitionnisme indécent
Si vous vous livrez régulièrement à des exécutions capitales et que vous êtes la Chine ou les Etats-Unis, vous pouvez exécuter en paix. Il faudra juste de temps à autre écouter poliment les sermons d’Amnesty International et consorts. Si vous préférez les tueries extrajudiciaires à plus grande échelle et que vous vous appelez Soudan, vous n’aurez qu’à faire preuve d’une mâle résolution à l’encontre de tout représentant de la communauté internationale tenté par l’ingérence et on vous laissera massacrer en paix, en vous faisant grâce de tout sermon[1]. En revanche, si vous êtes une jeune et fragile démocratie et que vous condamnez légalement à la pendaison un pauvre hère dont la seule vue émeut aux larmes les âmes les plus endurcies, il faudra s’attendre à des réactions de sainte Nitouche et de vierge effarouchée comme la Suisse et la Finlande.
Pour que les choses soient claires: le châtiment appliqué après des années de non-vie et d’angoisse avilissantes passées dans un couloir de la mort (pire que la mort), m’apparaît une barbarie, une torture et révèle un fond sadique et pervers, même si ce traitement est appliqué de bonne foi. Mais, ceux que la mise à mort légale de Sassam Hussein révulse tant, ne pourraient-ils pas avoir une indignation proportionnée à l’ampleur d’autres massacres? Question rhétorique. La métaphore du concert des nations, où la Suisse joue enfin pleinement[2], qui enveloppe le concept de partition, est affligée du concept de prévisibilité. Qui est rarement compatible avec la décence, ou alors c’est qu’un moratoire en la matière aura été consenti.
Notes
[1] Si on tient à s’émouvoir à propos d’assassinats commis à l’échelle d’une population, on privilégiera des événements suffisamment éloignés dans le passé, comme le malheur des Arméniens. Mais les meurtres d’innocents perpétrés par la nature conviennent aussi.
[2] Maintenant qu’elle est à l’ONU et qu’elle a, qui plus est, en la personne de Micheline Calmy-Rey, une ministre des affaires étrangères ambitieuse.
D’accord, on devrait s’indigner et protester vis-à -vis de la Chine, des EU et d’autres. Mais aucune condamnation à mort ne se justifie! Ce n’est pas parce qu’on ne proteste pas ou trop mollement ailleurs que cette exécution-ci se justifie!
Ce n’est pas que telle ou telle exécution se justifie plutôt que telle ou telle autre. C’est telle ou telle indignation qui perd en force d’indignation et en force de légitimité, dès lors qu’elle se fait sélective.
D’un autre côté, tuer Saddam n’est-ce pas en faire un martyr? Quand on sait ce que ce mot représente pour certains, n’est-ce pas une porte ouverte aux futurs Saddam?
Bien entendu je ne cherche nullement à sauver ce tyran, mais juste à essayer de voir quelles conséquences négatives peut avoir sa condamnation à mort.
Bien sûr que la question du martyre se pose. J’imagine qu’elle a été prise en compte par les juges. Mais je constate que les protestations officielles des pays n’invoquent que les principes abolitionnistes.
Effectivement, quand j’ai entendu cette nouvelle j’ai été légerement surpris, jusqu’a ce que je me souvienne que les EU utilisent cette peine dans leur système juridique, et qui rien ici ne doit les choquer.. Pire, je suppose que cette action va amener un sentiment de mission accomplie, de l’ordre de « ca y est, on l’a eu, il ne fera plus de mal a personne ».
En y repensant, je me demande quelle serait l’alternative : la prison a vie ? Sans doute, mais où ? Peut on être certains qu’une incarceration de l’ancien dictateur ne serait pas suivie d’une évasion musclée orchestrée par un groupe de ses sympathisants ? D’un autre coté, il serait difficile de le garder en prison à vie dans un autre pays..
Guillaume, je m’émeus régulièrement du Darfour, et arrive quand même à ne pas accepter la peine capitale appliquée à Saddam Hussein. Evidemment, je place un génocide réalisé par un gouvernement quasi dictatorial sur un autre plan qu’une peine capitale décidée selon des voies judiciaires, mais je pense qu’on peut avoir le droit de condamner, malgré tout.
Ceci-dit, oui, la crédibilité de celui qui condamne est importante. Celui qui n’aura jamais condamné un crime de Saddam Hussein et n’aura vu en lui qu’un rempart laïc contre le monde n’a pas aujourd’hui beaucoup de force pour condamner son sort…
Ce qui était le plus important, c’était de signifier sa désapprobation à la réintroduction de la peine de mort en Irak, et tous ceux qui l’ont fait l’ont fait avec légitimité, ils devaient le faire, et j’ai souscrit à cette réprobation. Une fois que cette peine est inscrite dans la loi, faut-il vraiment s’émouvoir de ce que Saddam Hussein y soit condamné?
Moralité: Commettez un seul crime aux Etats-Unis (ou moins que ça en Chine) et quelques personnes seront émues de la sentence prononcée contre vous. (Vous pouvez attirer l’attention de plus de monde, et, c’est paradoxal, mettre le Pape dans votre poche en devenant en prison un evangelical born again Christian, comme Carla Tupper – mais même le Gouverneur du Texas de l’époque, le born again Christian Bush, était resté de marbre.) En revanche, commettez un génocide sans oublier les tortures les plus atroces et la moitié du monde protestera contre la même sentence. C’est vraiment ce message qu’on veut envoyer?
J’avoue être surpris de la passion que soulève cette question (j’en ai encore eu une illustration ce matin avec un ami). Manifestement certaines personnes sont de toute bonne foi et ne le font pas juste par antibushisme primaire… J’ai un peu tendance à mettre ça sur le compte de l’absence de vision historique qui va avec une culture politique lacunaire. Les Français p.ex. oublient qu’ils exécutaient encore sous Giscard (mais seuls les plus de 35 ans s’en souviennent comme président)!
Comme pour beaucoup de choses, mon point de vue anti-peine de mort est passablement cérébral, donc je peux vivre avec des exceptions – et les cas de guerre et de renversement des tyrans me semblent compréhensibles. (Je comprends mieux maintenant par quel raisonnement pervers on en vient à critiquer les Israéliens qui tuent des terroristes: des morts sont encore à peu près tolérables dans le cadre d’un bombardement massif et dans le feu de l’action, mais paradoxalement un bombardement ciblé, donc qui fait moins de victimes collatérales, à l’aveugle, c’est une exécution, donc c’est mal.) Si je ne craignais de donner dans le relativisme culturel que je fais profession de condamner, j’ajouterais la prise en considération du fait que ne pas exécuter serait perçu comme une faiblesse par l’opinion arabe; et, d’une certaine façon, que le gouvernement irakien exécute Saddam sera la preuve de sa véritable indépendance à l’égard de ses soutiens occidentaux.
« et, d’une certaine façon, que le gouvernement irakien exécute Saddam sera la preuve de sa véritable indépendance à l’égard de ses soutiens occidentaux. »
Vous êtes sérieux ?
Je sais que je vais passer pour un idéaliste vivant aux pays des merveilles et donneur de leçons, mais pour moi, si le principe de la peine de mort est relatif (on peut, quand le type est vraiment vilain), c’est qu’il en va de même pour la valeur de la vie humaine (oui, j’emploie des grands termes pompeux). Et si c’est le cas, on a déjà perdu. Enfin, François, je trouve ton argument sur l’absence de vision historique et de culture politique hors-sujet. Qu’est-ce que le fait que la France sous Giscard appliquait la peine de mort peut-il bien avoir à faire avec la question de savoir si on a raison d’appliquer cette peine. Ce que tu contres là c’est l’argument de ceux qui ne font que prendre des postures. Et remarque, ça ne doit pas être inutile. Mais le fond n’est pas là .
Avant de se demander si la peine de mort est acceptable ou non en l’espèce, ou pourrait aussi se demander si la simple condamnation pénale est acceptable ou non. Autrement dit si on ne croit pas vraiment au talion ou aux lois éternelles de justice, comment justifier la condamnation d’un dictateur ? Qu’est-ce que la condamnation (à mort ou à perpétuité) de Saddam peut apporter de bon ? J’essaie de répondre à cette question sur http://xavier.typepad.fr/